Avais-je suffisamment d'arguments pour, cette fois-ci, la demander en « ami » sur Facebook et ainsi garder le contact avec elle ? Rien n'était moins sûr si je ne voulais pas paraître étrange à ses yeux, et me poser cette question en boucle nourrissait mon envie de fracasser mon smartphone contre un mur... L'énergie dégagée par mon poignet pour lancer l'objet était nourrie par le fonctionnement spécifique et absurde des réseaux sociaux.
J'explorai les autres univers digitaux dès leur popularisation et mon compte Twitter me plut instantanément, je dois me l'avouer. J'aimais découvrir les nouveaux contenus par un simple rafraîchissement de la page : nous avions accès à d'innombrables redirections vers des articles plus intéressants les uns que les autres, nous avions aussi la possibilité de suivre les aventures de nos artistes préférés en presque direct. Nous pouvions même leur parler et avoir la chance de recevoir une réponse de leur part. Cela nous rapprochait encore plus. Mais je me retrouvai vite devant les limites que pouvaient nous proposer les réseaux sociaux.
Comme les autres, parti d'une volonté d'extension à la vie réelle, l'oiseau gazouillant devenait progressivement un monde à part entière où l'anonymat prenait le dessus. Rester incognito ne dérangeait pas une grande partie des utilisateurs, qui s'attachaient toujours à crier leur admiration à leurs personnalités préférées où à donner leur opinion plus ou moins argumentée... Mais cette option de l'anonymat était devenue obligation pour certains qui imposaient leurs comportements malsains et jugeurs au profit de leur rationalité. On les suivait bêtement, eux qui s'apparentaient au « cool » mais qui ne l'étaient pas du tout. On s'identifiait à ses harceleurs professionnels et devenir leur égal revenait à devenir aussi influent qu'eux, et ainsi on assouvissait son terrible besoin de reconnaissance que l'on n'avait pas dans la vie. On se déconnectait totalement de l'impact réel que les comportements pouvaient avoir et on devenait une autre identité. Les communautés toxiques, trolleuses, moralisatrices et bien-pensantes continuellement présentes dans les commentaires accélérèrent, sans regret, ma désinstallation de l'application et la suppression de mon compte.
On pouvait appliquer les mêmes codes à Instagram que j'essayai en même temps, mais qui m'apparut encore plus dénué d'intérêt et étranges et qui flirtait avec le narcissisme. C'était la course à l'exposition de sa vie privée embellie par le filtre de la mise en scène. Il n'y avait aucun échange intellectuel à avoir. C'était l'exposition universelle mais sans la culture, une avalanche d'images fausses et d'impressions erronées pour paraître, encore une fois, « cool » aux yeux des autres. La recherche de reconnaissance par ses pairs et ce réflexe contemporain d'immortaliser chaque instant de son quotidien étaient les raisons d'être des réseaux et ils n'étaient vraiment pas pour moi.
Facebook me paraissait toujours comme un formidable service, mais il rejoignit au bout du compte, lui aussi, la liste des outils créés d'une bonne intention mais déviés de leurs sens originels... Son utilisation au quotidien évolua naturellement par habitude et une meilleure connaissance du produit, mais cela lui fit perdre cruellement en intérêt. Notre innocence liée à la nouveauté du service fut lentement remplacée par une lassitude puis une méfiance. Les publicités se faisaient plus nombreuses, les grandes entreprises s'étaient accaparés le réseau en exploitant ses capacités incroyables de communication et elles achetaient même nos données personnelles selon les dernières révélations... Les contenus devenaient encore plus stupides, comme un concours des plus grosses conneries et la désinformation prenait de l'ampleur. Dans le passé, nous pouvions nous connecter à n'importe qui sans devoir présenter un justificatif et nous avions le plaisir de découvrir des nouvelles personnes. Mais les mentalités évoluèrent et il était désormais complexe de gagner la confiance de l'autre. Mes simples échanges avec Hélène et le fait que nous étions chargés de réaliser notre partiel ensemble n'étaient pas un argument suffisant et j'en étais terriblement conscient et attristé. Cela était vraiment une balle que l'on me tirait dans le pied : je me savais plus à l'aise par écran interposé, dans ces mondes parallèles et digitaux, mais je devais me résoudre à utiliser la méthode traditionnelle, supposée plus naturelle et normale... pour les extravertis, uniquement. Il me manqua cette habileté de lui souffler mon numéro ou lui demander poliment le sien.
Deux jours terribles à attendre nos retrouvailles, et qui firent autant de dégâts qu'une tempête décidée à ravager tout un quartier, et je la voyais toujours de cet œil lointain, agir comme si nous ne nous étions jamais parlé, comme si elle ne me connaissait pas. Je ressentais déjà la crainte me ronger en voyant à l'horizon notre deuxième cours, qui s'était comme métamorphosé en rancard forcé à mes yeux, et qui pouvait très bien fonctionner comme tout aussi bien nous éloigner et me blesser.
La météo de ce jour particulier, pourtant clémente, était dépossédée de sa force guérisseuse sur mon humeur. Notre professeur lisait les dernières lignes de son journal alors que mes camarades s'installaient aux côtés de leur binôme et je les regardais faire, redoutant des nouvelles piques, cette fois-ci plus sévères et douloureuses, sur ma poupée vaudou manipulée par un esprit paniqué.
J'eus longuement le temps de m'y préparer, d'anticiper, d'interpréter, et ces actions firent jaillir en moi un stress hors norme, qui me dévorait terriblement depuis mon arrivée sur le campus. Je pris pourtant mes précautions en prolongeant le plus possible ma dernière nuit, profitant d'un emploi du temps allégé de sa matinée. Mais réveillé par deux fois durant mon sommeil, en sueurs, je surpris le soleil arroser de ses violents rayons l'ensemble de mon studio et il me tira définitivement de mon lit vers dix heures et demie.
Cette fin d'examen était mon premier cours de l'après-midi et je fus le premier assis dans cette enceinte encore creuse et dépourvue de vie. Mon estomac gargouillait à tout va, victime collatérale d'une gorge violemment nouée par ma nervosité. Alors pour essayer d'esquiver mes tensions nerveuses et musculaires, je laissai travailler intensément mon imagination, qui observait, omnisciente, des millions d'êtres humains vivre paisiblement autour du globe, tous détendus par cette belle journée et entraînés par leurs occupations. à l'instant même où la première âme vint s'installer une rangée plus haut. Mais me transposer mentalement dans des pays étrangers aux côtés d'inconnus n'eut aucun effet. J'étais bien dans cet amphithéâtre, face à mon supposé destin, comme on dit. J'ai choisi de venir. J'ai choisi de travailler. J'ai choisi d'affronter Hélène.
La pendule continuait sa course effrénée et la grande aiguille se rapprocha du douze fatidique. Chaque étudiant, dès le franchissement des portes, devint une source d'angoisse et ils me donnèrent involontairement des premières piques. Je tressaillis quand le professeur prit soudainement la parole : « J'espère que vous avez bien avancé, dit-il debout devant son bureau, les mains dans les poches de son pantalon. Je vous laisse vous mettre au point ensemble et je passerai ensuite dans les rangs pour voir l'avancée des travaux. »
Le français du professeur m'apaisa et me laissa admiratif, même s'il se faisait toujours trahir par son accent qu'il n'arrivait pas à correctement dissimuler. Il vint vers moi.
« Hélène n'est pas arrivée ?
- Non.
- Tu as de ses nouvelles ?
- Non. Je n'ai aucun moyen de la joindre...
- Bon... Elle devrait bientôt arriver. Tu as quand même avancé ?
- Oui, j'ai tout ce qu'il faut de mon côté. Mais je ne sais pas où elle en est...
- Continue de travailler sur ce que tu as à faire. Je vais aller voir tes camarades et je reviendrai lorsqu'elle sera là pour faire le point. »
De la nervosité naquit soudainement une résignation bienvenue, qui me permit de relâcher mes muscles et relativiser sur la situation devenue absurde par mes propres moyens. La conviction qu'elle ne viendra pas gagna doucement son duel face à ma volonté de la voir arriver. Des minutes pleines inutilement passées à ressentir le bout de mes doigts se secouer naturellement, couplé à un fort tiraillement abdominal qui secouait mon corps sur son strapontin... Comme si un vent d'air frais soufflait entre ma fine peau et mes chauds vêtements et déclenchait en moi des tremblements douloureux face aux éléments.
En récupérant un esprit dégagé de négativité, l'absence d'Hélène prit des airs très suspects. Son bus avait-il pris du retard ? Cela était bien possible... Rennes ne pouvait se passer d'importants travaux. Avait-elle oublié de venir ? Cette supposition paraissait hautement improbable. Hélène était une fille sérieuse et studieuse, qui n'allait pas consciemment louper le premier examen de l'année. Était-elle contrainte de s'absenter à cause d'affaires personnelles ? Peut-être. Finalement, je n'en avais aucune idée.
Ses expressions corporelles du cours précédent revinrent à moi et son attitude réservée, en contradiction avec son naturel observé en présence de ses copines, m'interpella. Et si elle ressentait, elle aussi, la nervosité suffisante pour la convaincre de rester chez elle ? Cette idée prit des proportions aussi grandes que mon ego sur l'instant, mais nous ne réalisons pas l'impact que nous pouvons avoir sur nos semblables. Cela me sembla plausible, au même moment où on entendit le claquement sec d'une porte du dessus. Je fis un bond énervé tout en me retournant précipitamment, mais la porte se referma aussitôt dans un bruit sourd. Cette vilaine montée d'adrénaline me mit paradoxalement dans les bonnes dispositions pour attaquer mon travail. Hélène ne viendra pas.
Il était quatorze heures et quinze minutes passées. « Hélène ne viendra pas, continue de te concentrer sur ton partiel », me répétais-je dans des exercices d'auto-persuasion. Et cela fonctionna. Mes sens et ma concentration se focalisèrent sur mon devoir mais il y avait néanmoins une pointe de frustration perturbatrice qui vagabondait dans un coin de mon esprit. Ce petit pincement à l'idée de laisser passer une formidable chance de rapprochement entre nous deux, pour ainsi mettre en route une amitié qui ne demanderait qu'à se développer... Le premier contact était toujours le plus risqué et le plus difficile, et il avait miraculeusement existé par une main tendue par le hasard. Ou le destin ? Peu importe, quel gâchis cela pouvait être !
Mes camarades vivaient leur examen, ils échangeaient hautement leurs idées et leurs tournures de phrases et je les entendais construire notre journal. Je sentis soudainement une présence et je me retournai d'une manière nonchalante pour échanger avec mon professeur. Mais ma poupée vaudou fut violemment attaquée par une épée impeccablement aiguisée et l'intense douleur ressentie dans mon cœur transpercé me coupa la voix, à l'image du souffle étouffé d'Hélène. Ses joues toutes rouges trahirent une grande fatigue et elle ventilait puissamment au point d'en cracher ses poumons. Elle se colla à moi tout en se débarrassant de ses affaires et elle se recoiffa hâtivement, en passant ses longs cheveux sur sa poitrine, comme je l'aimais terriblement la voir faire... Elle arborait un visage magnifique dans la fatigue et je ne parvenais plus à me détacher de ce spectacle ravissant... Les sensations si particulières ressenties l'avant-veille aux côtés de cet être unique revinrent tendrement. Elle pénétra dans ma bulle fortifiée d'une douceur incroyable, et avec elle disparut instantanément toute nervosité et interprétations stupides, comme on efface d'un simple geste un grand tableau longtemps imprégné des mêmes annotations. Me voici en tête-à-tête avec le temps présent et la pure réalité.
Elle me chuchota un « salut » réservé tout en s'abstenant de me faire la bise, comme retenue par une timidité à demi-apparente et elle s'excusa.
« Désolé Martin, je suis un peu en retard.
- Ce n'est rien, répondis-je tout en raclant bizarrement ma gorge.
- Je n'ai pas trouvé grand-chose, s'excusa-t-elle encore en me montrant ses notes.
- Nous trouverons bien un moyen de compenser, la rassurai-je tout en ayant conscience du travail à effectuer en si peu de temps. Au pire des cas, je le ferai à ta place et nous dirons que nous avons chacun fait la moitié. Je m'en fiche. »
Ses notes se composaient de mots gribouillés qui représentaient péniblement des lignes. Ma lecture en diagonale ne présagea rien d'utile en complément de mes travaux... Quelle était donc la raison d'un travail aussi lamentable ? Une multitude de documents sur la Corée du Sud pouvaient lui permettre d'avancer aisément dans ses recherches, mais devenu compatissant à son égard, je m'imaginai simplement que d'autres occupations diverses la privèrent de son temps. Je lui montrai mes notes. « J'ai rédigé quelques notions de sociologie dans mon texte sur l'aspect politique nord-coréen. » Elle les lut attentivement et sans les commenter. Sa forte présence me permit de flairer ses mouvements et son humeur sans même la regarder. Elle était encore fatiguée par son effort physique et elle bougeait nerveusement, trahie par ses tics que j'observais maintenant, comme sa main passée dans ses cheveux ou ses regards automatiques vers son smartphone, posé sur la table. Elle me rendit mes notes. « Ah, oui, c'est bien. » dit-elle accompagnée d'un léger sourire en coin qu'elle avait l'habitude de me montrer.
Elle ne put se retenir de passer le doigt sur l'écran tactile et j'aperçus, cette fois-ci, la page Wikipédia de la Corée du Sud. Elle tentait vainement de rattraper son retard et elle me posait ses questions relatives au sujet d'un timbre de voix différent à celui que je pus entendre avec Maud et Aline. Je prenais le plus grand soin à lui répondre le plus amicalement possible. Il m'était impensable de la vexer ou la contredire.
Le professeur vint nous voir.
« Alors, où en êtes-vous ?
- L'article avance bien, répondis-je presque enthousiasmé.
- Puis-je voir ?
- Bien sûr. »
Je lui tendis nos travaux et il lut rapidement et il acquiesça de la tête, l'index sur ses lèvres, comme pour se donner l'air concentré. « Oui, c'est intéressant », dit-il, et il continua de hocher la tête. « Attention aux fautes de grammaire, pensez à ce que nous avons évoqué en début d'année » nous précisa-t-il. « Oui, nous allons relire notre texte » lui répondis-je d'une assurance certaine, comptant sur Hélène pour mettre ses qualités en avant. Je me tournai vers elle, l'air fier, et elle me regarda une joue plus relevée que l'autre, en dessinant son léger sourire affectif, les yeux verts brillants et charmeurs. « Allez voir votre rédactrice en chef et montrez-lui votre article, c'est elle qui définit la ligne à suivre. Elle vous dira s'il est en accord. Si c'est bien le cas, il vous restera une heure pour terminer. Ce devrait être suffisant. »
Monsieur Williams laissa retomber la feuille sur la table. Hélène se leva. « Je reviens. » Je la suivis des yeux jusqu'à la sortie en observant ses courbures se déformer à chaque nouvelle marche franchie. Je compris mes intenses sentiments amoureux à l'instant où une profonde sensation de manque vint m'attraper au vol alors qu'elle venait simplement de s'absenter. J'en devenais dépendant. Ma surprenante confiance me donnait la force nécessaire pour affronter la situation délicate, rendue glissante par mon inexpérience, ce qui revenait à marcher sur du verglas avec des chaussures lisses. Tout pouvait se jouer dans les prochaines minutes.
La traditionnelle pause de mi-séance fut ma plus grosse occasion. Hélène sirota son café du bout des lèvres puis elle posa son gobelet. Aspiré par mon smartphone, je fus frappé par une soudaine inspiration qui pouvait me donner l'élan nécessaire pour engager une véritable conversation. Je tournai l'écran en sa direction et j'attirai son attention. « Devines où a été prise cette photo. » La photographie en question représentait un alignement de maisons colorées de plusieurs teintes de jaune et rouge, au bord de ce qui ressemblait à un lac ou à la mer. Derrière elles émergeaient des hautes collines verdoyantes et rocailleuses au sommet. A la surface de l'eau, des pneus usés, collés au long mur séparant la terre de la surface de l'eau empêchaient les bateaux de venir se fracasser sur le bord. Deux petits bateaux de plaisance mouillaient, accostés aux quais en bois. Le soleil éclairait cette belle scène sous un grand ciel bleu nettoyé de ses nuages. Hélène s'y pencha brièvement puis elle répondit laconiquement : « Je ne sais pas. » Je la relançai avec un indice : « C'est un pays d'Europe. »
Elle regarda l'écran une seconde fois dans une attitude indifférente.
« La côte italienne ? me répondit-elle comme pour se débarrasser de la question.
- Ça peut paraître surprenant mais elle a été prise en Norvège, dans la ville de Bergen. C'est vraiment super beau, non ?
- Oui, ça donne envie. »
Et elle replongea dans son smartphone. Sentant la conversation m'échapper, je la relançai comme je pus, persuadé de mes capacités à lancer un véritable échange entre nous deux.
« Tu as déjà fait quelques beaux voyages dans ta vie ?
- Tout dépend ce que tu appelles beau... (Elle réfléchit). Je suis déjà allé sur la côte catalane... et aussi sur les îles anglo-normandes. Mais c'est tout.
- C'est déjà pas mal. Qu'y-a-t-il de beau à voir à Jersey ?
- Pas grand-chose, répondit-elle en haussant les épaules. Mais faire le tour de l'île en vélo était très sympa.
- Ça pourrait être ma prochaine idée de voyage. Ce n'est pas si loin. »
Notre conversation cala, la faute à une Hélène décidée à ne pas me relancer. Alors je fis toujours l'effort de garder une phrase de secours en tête. Je fis une nouvelle tentative.
« Un autre pays qui me fait vraiment envie, c'est la Nouvelle-Zélande. Mais il faut avoir un sacré budget pour s'y rendre.
- Oui, c'est sûr, acquiesça-t-elle sans véritable enthousiasme. Mais le voyage peut valoir le coup. »
Elle parlait toujours d'un ton de voix léger et bas et elle se mit à l'aise sur son bras droit plié qui lui servait d'appui-tête. Elle me montrait son visage mais ses yeux alternaient entre son smartphone et le reste de l'amphithéâtre.
Je l'imitai, fatigué de la voir insoucieuse et j'étais très craintif d'exprimer des propos maladroits. Puis elle se retourna vers nos camarades et elle saisit mes notes. « Je vais voir si notre texte lui convient. » Je la surveillai échanger avec Julie, qui exprima tout d'un coup un visage contrarié. Hélène grimaçait en redescendant les quelques marches.
« L'article lui plaît mais nous devons nous recentrer sur l'histoire actuelle de la Corée, et moins sur son passé. Sinon, l'article est hors-sujet sur une trop grande partie.
- Donc si je comprends bien, Julie nous demande de refaire entièrement notre article ?
- Oui.
- Pourquoi ne nous a-t-elle pas présenté la ligne éditoriale avant ?
- Je n'en sais rien. »
Nous fûmes soudainement dépourvus de motivation et nous fîmes le point sur les minutes restantes avant la fin de l'examen. Autant dire que la mission s'annonçait complexe. Un silence passa. Hélène soupira. Je plongeai mon visage dans la paume de mes mains et je frottai mes yeux.
« Bon... il nous reste cinquante minutes pour limiter les dégâts. Commençons maintenant au lieu de nous lamenter sur notre sort.
- Oui. »
Cet examen devint fondamental pour mon avenir. Obtenir la meilleure note possible pouvait parer une éventuelle catastrophe dans une autre unité d'enseignement, et partager une excellente prestation avec elle pourrait nous permettre de terminer ces partiels en bons termes et garder un faible espoir de sympathiser sur le moyen terme.
Muets et focalisés sur nos feuilles, nous travaillâmes d'arrache-pied, solidaires, et cela nous fîmes remarquer notre complémentarité : mes connaissances des actualités coréennes se liaient à son excellent niveau d'anglais. Mais la fin du cours nous sauta violemment aux yeux à l'instant où le professeur nous pria d'arrêter.
« L'examen est terminé jeunes gens, coupa-t-il court. Mais votre rédactrice en chef m'a raconté la mésentente que vous avez eue. Je vous donne la possibilité de rendre votre article demain, par mail, sans avoir de pénalité. »
L'amphithéâtre était vide et monsieur Williams sortit à son tour, me laissant seul avec Hélène. En me retournant, j'aperçus encore ce grand homme frisé qui patientait au sommet des escaliers, appuyé contre l'embrasure de la porte. Elle le remarqua et lui fit un signe discret de la main, comme pour lui signaler qu'elle n'en avait plus pour longtemps.
« Je termine l'article ce soir, la rassurai-je en ramassant son travail.
- Tu lui enverras ?
- Oui dès que je l'aurais terminé. Je te le ferais relire. » Par ces mots innocents et spontanés, mon but était presque atteint : trouver un moyen numérique de rester en contact avec elle. Mais sa réponse fut à la fois décevante et plaisante, comme on rigole d'une blague drôle mais triste. « Non, je te fais confiance. »
Je la laissai sortir de notre rang en première et nous fûmes désormais immobiles au beau milieu des escaliers, face-à-face et toujours observés par ce mystérieux homme. Les secondes passèrent et nous nous regardâmes intensément, plongés dans les yeux de l'autre, dans l'âme de l'autre, comme pour ressentir au plus profond de l'autre ses sentiments les plus enfouis et les plus inavouables.
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La passion des sentiments
Mystery / ThrillerEnvoyé au front, Martin est amaigri, miséreux. Son état physique et mental l'interroge sur sa situation : et s'il était, finalement, le seul responsable de son sort, et que le destin n'avait eu aucun rôle ? Au cours d'une journée, le jeune homme fai...