L'atmosphère est calme. Le bruit de la guerre ne résonne pas. J'observe notre stock de munitions entreposé dans la grange, tout en repensant nostalgiquement et tendrement à Fanny... Je secoue avec mes lèvres une brindille de paille comme Lucky Luke. L'ennemi est loin... Toujours invisible... Existe-t-il au moins ? Sûrement. Mais j'aimerais bien essayer ce semi-automatique. Quelle mauvaise idée, cela dit. Ce n'est ni le lieu ni le moment de tester la machine. Je ne gagnerais qu'une balle dans le derrière ou même pire, alors autant m'abstenir.
J'aperçois au loin un léger nuage de poussière qui vacille dans le sillage du convoi de ravitaillement. Je me relève précipitamment et secoue mon uniforme. Les premiers véhicules se garent devant moi. Le passager de la première voiture saute.
« Livraison. T'es tout seul ?
- Ouais. Les autres surveillent.
- Viens nous aider à décharger. »
Un autre soldat, sorti de la deuxième voiture, vient me voir et me parle d'un ton formel, le torse bombé, képi bien en place.
« Que faites-vous ici soldat ? Vous n'êtes pas au front à surveiller la frontière comme les autres ? » Je regarde son insigne et réalise l'importance de son grade. Qu'est-ce qu'il fout là, lui ? Il va me mettre dans un sacré pétrin s'il découvre que je ne fous rien... Je me mets au garde-à-vous très rapidement et trouve la parfaite excuse en un clignement d'œil.
« Non mon capitaine. J'ai été missionné par mon adjudant de surveiller notre stock pour qu'il ne tombe pas dans les mains des civils, mon capitaine.
- Quel imbécile cet adjudant... Où est-il ? Appelez-le.
- Je ne peux pas, mon capitaine. Il est au front avec ses soldats, mon capitaine. » En réalité, je n'ai aucune idée de ce qu'il est en train de faire. J'espère pour lui qu'il n'arrivera pas... Dans le dos du haut gradé, j'aperçois pourtant un homme en uniforme venir vers nous. C'est William. Je lui fais un signe discret de la main pour qu'il aille vite se planquer mais il ne comprend pas mes gestes. Il continue d'avancer vers nous... Mais qu'est-ce qu'il fout, lui aussi ? Ça devient n'importe quoi. Je le vois se joindre tranquillement au groupe qui décharge sans que le capitaine ne le remarque. Les autres soldats ne se posent aucune question. Dix sur dix en discrétion involontaire. Un bel exploit. Je souffle.
Le capitaine n'a pas de temps à perdre. Il surveille le déchargement. Plusieurs locaux viennent nous voir et nous demandent quelques rations. C'était désormais ancré dans leurs habitudes. Ils vivent en autarcie, comme nous, et nous leur cédons quelques vivres en échange d'un logement et de leur sympathie. Le capitaine n'en tient pas compte.
Nous entreposons les caisses de rations dans cette même grange puis le convoi fait demi-tour. William se sert de boîtes de conserves et va déjeuner dans son coin. Je me remets sur mon tas de paille à l'abri des regards alors que les civils se servent dans les deux caisses que nous leur avons cédées. Cela me rappelle mes souvenirs du déménagement.
Plongé dans une marée de cartons, j'ouvris nerveusement l'enveloppe cachetée de mon lycée marseillais, qui avait mis une éternité à nous parvenir. Le dépliement du papier me laissa apparaître un vingt-deux discret, synonyme de nombreux points d'avance inespérés. Mon bourreau d'examinateur aux dents acérées s'était révélé être plus doux qu'en apparence, m'offrant un jugement légèrement supérieur à la moyenne, récompensant une prestation semble-t-il honnête. Le projet de recherche scolaire, co-écrit avec Max, termina sur la première marche du podium de notre classe selon les rumeurs, en affichant un superbe dix-huit sur vingt. Il faut dire que nous l'avions bouclé tôt dans l'année, notre amitié encore en pleine osmose.
Deux grands gaillards aux imposants biceps passaient dans le dédale de cartons éparpillés et me prièrent d'éclaircir le chemin pour plus de facilité. Ils enchaînaient les allers et les retours, piétinant de leurs chaussures l'ensemble de notre villa en direction de leur camion stationné près de la porte d'entrée. Un homme plus petit, au visage ridé par l'expérience, s'adonnait quant à lui à une partie géante de Tetris, impressionnante à observer. Après une analyse des pièces, il planifia l'ensemble des tâches à effectuer et coordonna le chargement d'une solide main dirigeante sur une durée de trois heures. Mon père et moi étions stupéfaits de ce jeu à taille réelle et du résultat obtenu : la partie se termina sur un score parfait. Nos meubles tenaient parfaitement et la porte arrière ne rencontra aucune résistance à sa fermeture.
La fine équipe se mit en route dans la foulée et nous abandonna aux dernières tâches ménagères ; les vitres brillaient à tel point que l'on pouvait passer à travers et les derniers stigmates de gestes maladroits imprégnés sur les murs disparaissaient d'un coup de chiffon et d'huile de coude. La maison réverbérait d'une sonorité pesante nos chuchotements et le choc de nos verres festifs. Nous restions debout, au centre du salon dépouillé de son âme et nous nous attendions à recevoir le propriétaire de la villa d'une minute à l'autre.
Passer ma dernière nuit dans une chambre d'hôtel revêtit une saveur particulière, rendue plus douce sur les premiers instants par la délicatesse d'un soleil couchant sur la Méditerranée. La sphère s'effaçait dans la mer dans un rouge splendide. Cette ultime vision du scintillement de la lumière sur les rides aqueuses me fit difficilement réaliser que trois années s'étaient écoulées, et qu'une nouvelle aventure allait prochainement débuter.
Ce mélange de nostalgie et d'excitation fut vite évanoui dans l'infini du voyage, rendu pénible par sa longueur et l'inconfort de notre voiture vieillissante. Le paysage hexagonal devenait progressivement plus verdoyant, tel un dégradé appliqué au décor par un long coup de pinceau habile. Mais mes pensées, elles, ne changeaient pas de couleurs. Elles restaient noires. Observant les lignes se déformer par la vitesse, accoudé à la porte et retenant mes lourdes préoccupations, je voyais le malheur de Fanny danser autour de moi tel un fantôme aux idées malsaines. Il désordonnait mes neurones et mes nerfs à des fins sadiques, mais je le laissais faire et je m'infligeais cette punition. J'acceptais mon rôle de créateur maléfique d'un monstre prêt à m'accompagner indéfiniment vers mes futures péripéties.
Mes regrets nourris par mes mots durs se conjuguaient à la fuite de mes responsabilités. Cela aggravait cette certitude de figer une image dégoûtante de ma personne dans les pensées de Fanny. L'initiative correctrice d'une visite amicale ou d'un mot gentiment dessiné sur une lettre pleine de remords m'avait à peine effleuré, préférant ne plus inverser la fresque chronologique de mon existence comme je le faisais avec Léa. Envisager sincèrement l'impossibilité de nos retrouvailles, pas même par le biais numérique, était comme jeter à l'eau cette histoire, bien ficelée à un lourd rocher comme le ferait un gangster à son ennemi. Ayant définitivement tourné la page marseillaise avant cet épisode malheureux et orienté vers le prochain horizon, je mesurais pourtant tout le poids douloureux de cet épisode et je comptais sur le temps pour l'effacer progressivement.
Les membres de ma famille paternelle patientaient notre arrivée au crépuscule, sous le porche d'un élégant restaurant du centre-ville rennais. Si nous n'étions qu'une dizaine à partager les bulles, l'enthousiasme de nos retrouvailles dépassait allègrement l'énergie dégagée par un puissant concert. Mis en valeur en bout de table, mon père se leva, plein d'entrain, et souleva sa coupe à la santé de sa retraite et d'une longue carrière satisfaisante. Comme moi, ce repas copieux et festif marqua pour lui l'occasion de remettre les compteurs à zéro.
Cette troisième maison m'évoquait vaguement dans l'architecture et l'agencement celle connue en Alsace. Elle se situait dans un petit quartier agréable à l'écart du centre-ville et de la circulation. Je m'y sentis à l'aise et je trouvai facilement mes premiers repères dans le quartier, même si nos voisins n'étaient que des petits vieux.
Nous commençâmes peu après à vivre nos premières expériences respectives de ce nouveau chapitre. Conscient de ne connaître, dans mon nouvel établissement, une seule année d'études, je me convainquis de l'inutilité de nouvelles amitiés, si ce n'est de les perdre à nouveau et de me rendre encore malheureux. Et puis elles seraient particulièrement encombrantes et gênantes pour mon objectif principal : réussir mon bac.
Le tout premier cours, dont la matière m'échappe, partit à contre-courant. Notre professeur principal nous contraignit à nous présenter individuellement face au groupe, sacrifiant au passage une bonne heure, probablement mieux utilisée si elle avait été sujette à la présentation du programme. Je trouvais la pratique absurde et notre professeur n'était pas le seul à l'employer. Comme si nous, adolescents encore fragiles et inconscients de nos vrais caractères, nous ne pouvions nous découvrir seuls, au rythme naturel des affinités naissantes à travers les cours. Nous devions, en plus, exposer nos défauts d'élocution, notre timidité ou notre arrogance en public, à d'autres camarades intimidants et occasionnellement profiteurs de nos points faibles. Qui sait.
A l'évocation de mon nom, tous m'observèrent d'un œil particulier. Personne n'ignorait qu'il s'agissait là, pour moi, d'une découverte totale de la région. Marseille en titilla quelques-uns. « Comment se fait-il qu'un marseillais vienne terminer son baccalauréat dans un lycée rennais ? Est-il comme tous ces personnages grotesques que l'on voit un peu partout ? J'ai hâte d'entendre son accent, qu'on rigole un peu. »
Fort heureusement, mes caractéristiques se différenciaient beaucoup d'un marseillais typique qui débordait sur le cliché : s'il m'arrivait de m'amuser de cet accent avec Max, je n'en avais pas été contaminé, et je n'arborais, sobrement, qu'un jean bien repassé et un sweat à capuche noir discret, contredisant le look jogging-casquette sorti des quartiers nord qu'ils attendaient probablement.
Justifiant tant bien que mal mes vraies origines bretonnes et alsaciennes, je laissais pendre mes bras et je fixais mon professeur, comme pour me cacher des yeux qui venaient s'accrocher à mes lèvres. Tous mes autres sens surveillaient les réactions de mes camarades. Cela me laissait paradoxalement me concentrer de toutes mes forces sur mes formules employées, bien décidé à donner une impression impeccable. L'exercice fonctionna et la curiosité monta dans mon auditoire, de même que le désir de transpercer mon énigmatique personnalité.
Au fil des jours, leur bienveillance m'entraîna à passer des moments conviviaux en leur compagnie, en salle de classe ou lors des pauses. S'ils s'attachaient à moi, je préférais tout de même imposer une certaine distance et ne pas tomber dans le piège. Ils étaient, tout au mieux, des connaissances, des personnes avec qui il m'était agréable de gaspiller quelques minutes ou d'échanger mes notes. Mais il était hors de question de dévoiler ma vie privée. Aucun ne savait mon adresse et mes refus de leur amitié à travers Facebook leur rappelaient ma froide distance. Si l'un d'entre eux avait le malheur de toucher un point sensible, je jouais l'évasif ou je tournais subtilement la conversation dans le sens inverse. Cela renforçait encore mon image de garçon mystérieux, qui intriguait les quelques jolies filles désireuses de briser cette coquille volontairement épaisse. Elles étaient loin de se douter de la dureté de cette dernière, construite sur les conséquences désastreuses de mes relations précédentes et l'envie de ne pas créer, puis détruire une troisième.
Mes fâcheuses habitudes de bavardage prises avec Max revinrent au galop. Sans doute obnubilé par mon statut d'ancien marseillais, comme on pointe du doigt un ancien taulard reconverti, mon professeur de mathématiques me stigmatisait systématiquement dès les premières sonorités élevées provenant derrière son dos. Il me définissait systématiquement comme le principal agitateur, alors même que l'origine de la discussion ne provenait pas de moi. Cela n'arrangeait en rien l'impression laissée à l'ensemble de mes professeurs, qui constataient des résultats scolaires en baisse, en comparaison de mes notes obtenues à Marseille. Mes trimestres se passaient tous sous la barre fatidique de la moyenne nécessaire et j'étais comme un plongeur bloqué par un obstacle invisible à quelques mètres de la surface, incapable de reprendre sa respiration. Cette étrange force qui me repoussait vers le fond marin se puisait dans ma nonchalance croissante à exploiter toutes mes capacités intellectuelles. Mes professeurs s'inquiétaient naturellement de mes risques de noyade à l'approche de l'examen final mais la pression, plus intense, de l'exigence rennaise au sujet de l'éducation me faisait tirer la conclusion hâtive qu'un dix sur vingt valait au moins un douze marseillais. Si elle s'avérait juste, le bac serait un jeu d'enfants. Sans compter mes points d'avance qui me donnaient un matelas confortable et une confiance en mes aptitudes inexploitées encore.
La digestion de mes aventures marseillaises fut légère si l'on met de côté Fanny, à qui je pensais désormais épisodiquement à travers la présence de ce fantôme malsain. Marseille se résumait maintenant à des souvenirs mentaux bien rangés dans leurs tiroirs cadenassés. Ne plus avoir des nouvelles concrètes de mes amis me permettait de garder ces souvenirs stables et d'alimenter d'autres rangements, neufs et capables d'engranger le maximum de bons documents tirés de cette nouvelle aventure.
Ce fut le cas jusqu'au jour où Max, par une quelconque intention, vint un soir me rappeler son existence. « Salut mon Martin... Le temps passe... », m'écrivit-il sur le réseau social bleuté. Ma réponse fut volontairement tardive. Je souhaitais éviter cette impression de joie extrême comme un chien vous fait la fête après trois minutes d'absence.
« Salut Max. Ouais, le temps passe vite, c'est vrai, lui répondis-je sobrement. Je ressentais cette impression bizarre de parler à un inconnu, effet étrange du temps qui passe et qui nous éloigne de cette proximité jadis toute naturelle.
- Comment se passe ton année mon grand ?
- Le rythme est différent mais je m'y fais. Ça pourrait être pire. J'ai un peu sympathisé avec d'autres gars mais sans plus. Et toi ?
- Tout se complique ici... Pas au niveau des résultats, mais Mélissa devient très étrange... »
Mélissa fut la raison de son retour sur le devant de la scène. Intérieurement, cette mauvaise nouvelle me fit jubiler. Elle me donna l'occasion de retrouver mon meilleur ami et elle marqua les prémices d'une future séparation attendue. Je ne pus qu'être enthousiaste à l'idée de voir sa renaissance.
« Je pensais vraiment ne plus te reparler, Max. C'était simplement la fin d'une bonne amitié pour moi. Mais ça me fait très plaisir de te reparler, hein.
- Quel dommage que tu sois parti... Je me sens seul maintenant... Mélissa ne m'adresse plus la parole.
- Heureusement il nous reste toujours Facebook, pas vrai ? Et puis nous sommes des grands garçons, et même bientôt des adultes ! Rien ne nous empêche de prendre le train ou l'avion pour nous revoir.
- T'as raison mon Martin. C'est super que tu sois là. J'avais peur que tu m'aies oublié. »
Max croyait peu à mon discours. Mon déménagement soudain fut ressenti comme irrespectueux par l'ensemble de mes camarades réunis pour une grande majorité d'entre eux au sein d'une classe identique à la précédente. Je veux bien les comprendre... Mais d'un autre côté, l'attitude égoïste de Max me blessa et je souhaitais partir discrètement comme on ne remarque pas l'évaporation d'une pluie fraîchement tombée.
Il m'évoqua cependant son côté égocentrique, comme s'il nourrissait des regrets lui aussi : « Martin, j'ai déconné... Je voulais absolument me mettre en couple pour pouvoir sortir avec elle chaque soir, rencontrer ses amis, faire la fête, tu sais. Mais je me rends compte que ça ne valait pas le coup et je n'avais pas réalisé la distance que mes conneries mettaient entre nous deux. » Je pris le soin de lui mettre ensuite ma réalité en face. Les compteurs furent remis à zéro. La balle revint au centre. Nous étions quittes.
Se confier à mon oreille le soulageait. Il me raconta une scène de ménage jouée en public le jour même. Tout commença à la fin d'une balade entrelacée sur le Vieux-Port lors d'une journée froide. Reposant son corps fatigué et le réchauffant avec un café dans les mains, il sentait Mélissa absente, comme dispersée dans des pensées étrangères.
« Que se passe-t-il, ma chérie ?
- Rien, répondit-elle en s'enroulant les doigts autour des cheveux, le regard dissimulé derrière ses lunettes de soleil imposantes. Elle ne souhaitait pas commander une boisson.
- Si. Je vois qu'il se passe quelque chose.
- Je te dis que je vais bien.
- Pourquoi commences-tu à t'énerver ?
- Mais je ne m'énerve pas, haussa-t-elle encore plus le ton. Elle le regardait désormais en face, ses lunettes posées sur la table.
- Dis-moi ce qui te tracasse depuis la semaine dernière, lui demanda-t-il en lui caressant le dos de la main.
- Non, dit-elle en la retirant.
- Peut-être que ça me concerne ? »
Mélissa l'envoya valser à plusieurs occasions les jours précédents. Il voulait en découvrir la raison.
« Je suis sûr que ce problème me concerne... Dis-le. »
Mélissa montra des plus grands signes d'agacement.
« Tu me lasses ! Ton rugby, tes jeux vidéo et tout le reste, je n'en ai plus rien à foutre. Tu passes ton temps à jouer et tu ne t'occupes plus de moi. »
Elle maquillait la réalité pour mieux l'utiliser à son avantage. C'est que mon Max avait arrêté le rugby suite à une énième blessure, cette fois-ci plus grave, au bassin. Fragilisé dans ses déplacements, il possédait alors d'un temps libre plus important, qu'il utilisait en partie pour mieux s'occuper de sa belle.
Il interprétait, à juste titre, ces reproches agressifs comme une fausse excuse.
« Ne dis pas n'importe quoi, ma chérie. Nous sommes toujours ensemble... Et c'est que j'ai aussi besoin d'être seul pour m'amuser, pour réviser mon bac, ou pour passer du temps avec mes parents, comme tout le monde, en fait.
- Tu te retrouveras vite seul, je te préviens, si c'est ce que tu désires ! »
Mélissa cherchait à le faire culpabiliser dans des propos hors de sens. En fait, elle se fatiguait de lui. Le quitter devenait obsession, mais la manière de s'y prendre lui était inconnue. Elle paniqua et se leva de table puis remonta d'un rythme soutenu vers Noailles en empruntant la Canebière. Max resta calme pour ne pas accroître sa douleur et il la regarda partir en imaginant son retour quelques minutes plus tard. Mais elle ne reviendra pas.
Le soir, Mélissa resta injoignable par téléphone. A l'heure du dîner, il ne pouvait plus rien avaler. « Martin, je n'ai plus aucune nouvelle... Je n'ai pourtant rien dit de méchant ni été violent. Je me suis beaucoup occupé d'elle... Je l'ai écoutée me raconter tous ses malheurs du quotidien, et pourtant dieu sait s'ils étaient chiants à entendre !
- Je n'ai jamais supporté cette fille et je pense que tu l'avais remarqué. Elle est possessive et agressive.
- Je commence à m'en rendre compte... Mais je ressens toujours un petit quelque chose pour elle... Tu sais, Martin, nous avons eu le temps de nous explorer et...
- Stop, stop, stop. Je ne veux rien savoir, Max, le coupai-je précipitamment en m'énervant sur mon clavier. C'est bien si... Enfin tu me comprends. Mais elle t'a utilisé et t'a essoré comme une vieille éponge. Maintenant qu'il ne reste plus une goutte, elle te balance. C'est aussi simple que ça. Je l'avais déjà deviné le jour où tu me l'avais présenté.
- Tu crois que la situation peut s'arranger ?
- Tu es le seul à le savoir. Mais pour être honnête, non, je ne crois pas, et tu devrais la quitter en premier. Et le plus vite possible.
- Je vais patienter encore un peu et voir ce qu'elle me réserve... »
Le fin mot de l'histoire ne fut pas si rocambolesque que les meilleurs drames du septième art. Le couple se brisa comme prévu, comme des milliers se déchirent chaque jour. Cela dit, Mélissa osa faire la démarche en première d'un court message laissé sur son répondeur. Elle lui annonça la fin immédiate de leur relation, comme on pourrait lâchement licencier un de ses employés à distance. Elle mit un terme à leur couple de cette manière inappropriée, comme apeurée par la réalité de la situation et de la réaction du grand gaillard. L'apprendre me fit rouler des yeux dans un soupir désespéré.
Max fut déçu mais peu surpris de cette initiative insolente. Cela faisait corps avec la nature de son ex-petite amie. Et s'il était bâti tel une armoire normande, il n'en dégagea pas pour autant une haine incontrôlable. Il accepta dignement la décision et réalisa même tous les bénéfices qu'il pouvait en tirer après s'être laissé plusieurs jours de réflexion.
Sa concentration fut toute retrouvée à son entrée en « prépa », pour une future inscription en faculté de médecine. Il avait ce secret bien gardé de vénérer les séries et films orbitant autour de ce thème. Dans son inconscient se logeait une fascination pour la pratique médicale, qu'il avait eu le temps de forger dans ses temps de rugbyman blessé dans sa chair et visiteur régulier des centres hospitaliers. Il appréciait aussi les challenges, les montagnes à gravir, glissantes et périlleuses, sans filet sous les difficultés rencontrées et sans trophée à soulever au sommet. Il ne le faisait pas pour se couvrir de gloire mais pour prouver à lui-même ses capacités dans l'adversité.
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La passion des sentiments
Mystery / ThrillerEnvoyé au front, Martin est amaigri, miséreux. Son état physique et mental l'interroge sur sa situation : et s'il était, finalement, le seul responsable de son sort, et que le destin n'avait eu aucun rôle ? Au cours d'une journée, le jeune homme fai...