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Un frémissement incontrôlé à son passage me rendit compte de la force d'attraction d'Hélène. Hébété, ma première interrogation se porta sur mon évidente faculté à ne pas avoir pu la remarquer pendant ces premiers mois... Car je l'apercevais désormais tous les jours. Sans exception. Systématiquement.

A mon entrée dans chaque enceinte studieuse, je ne pouvais me retenir de lever les yeux vers les rangées et je tombais toujours sur sa belle présence. Elle était souvent assise avant mon arrivée, aspirée par une quelconque distraction : journal, smartphone ou ses amies.

Je prenais naturellement mes aises quelques rangées plus haut si une place s'éclairait. Elle devait être de préférence légèrement excentrée et dont la vue plongeante sur elle me permettait de ne pas être aperçu. Pour que nos regards puissent se croiser à nouveau, elle devait alors se retourner vers moi. Ce qu'elle ne fit jamais. Inconsciemment se mettait en place une stratégie : je l'explorais avec distance, je devenais observateur presque omniscient de son attitude en cours et avec les autres étudiants, pour ainsi mieux cerner sa personnalité sans avoir à l'aborder. Elle était devenue un excellent exercice d'analyse que je ne pouvais m'empêcher d'étudier, en plus de mes leçons quotidiennes.

La jeune femme était souvent accompagnée de deux autres étudiantes en dehors des leçons d'anglais. Elles étaient probablement ses meilleures amies et assurément des vraies blondes. Je découvris rapidement leurs prénoms après avoir trouvé malicieusement leurs comptes Facebook.

Maud était petite mais on la remarquait aisément. Elle avait un visage imprégné de caractère, à la fois sérieux et impitoyable. Mais esthétiquement parlant, elle était loin d'être désagréable. Elle avait une peau lisse et pâle et elle portait à l'occasion des lunettes imposantes rectangulaires, qui faisaient ressortir des traits autoritaires et un certain magnétisme. Je la trouvais naturellement séduisante sans pour autant qu'elle ne dégage une attraction psychique sur moi, comme on se contente d'admirer des belles fleurs dans un champ mais qu'on ne veut pas cueillir et ramener chez soi.

Aline avait un visage plus fin et plus allongé et elle était plus grande, plus costaude également, et elle dégageait à l'inverse une tendresse naturelle par son visage sympathique et ses longues dents très blanches et brillantes. Mais elle ne ressemblait qu'à la bonne copine de tout le monde.

Je les observais souvent interagir entre elles jusqu'à un petit matin où, pensant avoir le champ libre pour écouter la leçon, je fus épris d'une douce surprise. Les trois jeunes femmes accusèrent un léger retard et elles s'assirent aux dernières places disponibles. Elles se retrouvèrent devant moi par le plus grand des hasards et à un bras de distance. Leur discussion remontait très clairement dans mes oreilles et je ne pus m'en détacher. Je profitai pour la première fois de l'exquise sonorité d'Hélène :

« ...et il me semblait que les jardins du Trocadéro étaient fermés pour travaux, termina-t-elle tout en s'asseyant.
- Mais non, n'importe quoi, s'agaça Maud en sortant ses affaires. Ils n'allaient pas fermer un endroit aussi emblématique de Paris. Il y avait bien des travaux mais les jardins étaient restés ouverts.
- Le Trocadéro, c'est l'endroit parfait pour prendre un selfie avec la Tour Eiffel en toile de fond, s'émerveilla Aline.
- Tu penses bien que j'en ai fait quelques-uns, répondit une Maud toute fière alors qu'elle leur exposait ses clichés.
- C'était ta première fois à Paris ? demanda Hélène.
- Non, j'y suis allé à plusieurs reprises, se la joua-t-elle. Mon copain et moi nous adorons aller dans les quartiers bretons de Montparnasse. Ensuite nous allons nous promener au jardin du Luxembourg, mais cette fois-ci nous avions eu envie de retourner au Trocadéro pour fêter nos trois ans de couple, là où tout avait commencé.
- Tu me donnes envie, s'enthousiasma Aline.
- Nous sommes ensuite remonté sur les Champs-Élysées pour y déjeuner. Mon petit Greg n'a pas fait semblant sur le choix du restaurant. C'était magique. »

Maud n'eut que faire du cours commencé et elle envoûtait ses copines qui écoutaient les yeux grands ouverts, admiratives. Hélène donna son ressenti.

« J'aimerais avoir l'occasion de visiter Paris, un jour. On ne m'en dit que du bien et je suis sûre que j'apprécierais vraiment, en particulier les petits théâtres de vingt ou trente places dans lesquels les jeunes humoristes font leurs représentations.
- Nous avons visité les Tuileries et le Louvre tout l'après-midi, continua Maud sans être attentive aux remarques. C'est fou le monde qu'il y avait dans le musée ! Nous n'avons même pas pu apercevoir la Joconde.
- Heureusement qu'il y a d'autres œuvres à admirer, s'amusa Aline.
- Nous avons terminé par les Invalides et nous sommes revenus à la tour Montparnasse, avant de rentrer à l'hôtel pour nous reposer avant une soirée parisienne de folie... »

Maud secouait ses sourcils puis elle se tut soudainement. Elle commença à prendre note des premières informations qu'elle captait en provenance du professeur et ses amies lui enchaînèrent le pas. Hélène revint à la discussion peu de temps après :
  
« Et finalement, ça a donné quoi, cette soirée ?
- Ça ne te regarde pas.
- De toute façon, j'ai vu quelques photos circuler sur Facebook, joua malignement Hélène. Je pourrais m'en faire une idée plus concrète en quelques recherches.
- Certainement », sembla ignorer Maud.

Elle avait un caractère contradictoire. Hélène en jouait et elle sourirait constamment dans sa direction et elle me laissait admirer indirectement son joli profil. Je me passionnais aussi de la courbure de son dos et la douceur apparente de son cou. Je le trouvais très beau et cela représentait pour moi une zone érogène peu explorée et souvent ignorée. La voir rabattre élégamment ses cheveux vers l'avant et les laisser glisser contre sa poitrine accentua gravement mon attractivité. Elle y passa sans cesse ses mains, comme pour les lisser davantage et ce petit jeu devint hypnotique.

J'alternais moi aussi entre ma prise de notes et l'écoute de cette conversation étrangère. J'imaginais Hélène se retourner soudainement et me demander mon point de vue, que je donnerais volontiers si on me le permettait vraiment.

Déjà quatre mois que nous avions commencé notre licence et ma solitude me pesait un peu plus à l'observation de leur gaieté. Je voyais en Hélène une femme qui me convenait parfaitement sans même la connaître, comme guidé vers elle par une force divine. Mon attirance vers son mystère bien gardé se voyait pourtant entravé par les larmes de Fanny au fin fond de mon inconscient, comme une averse torrentielle me retenait contre mon gré à la maison.
Sympathiser avec ses amies pouvait m'aider à briser ces chaînes invisibles qui me retenait de faire le premier pas, mais cette même averse continuait de déverser sa puissance, alors que je ne leur éprouvais qu'un mépris sans doute infondé, en particulier envers Maud. Elle dégageait des airs superficiels et elle semblait se préoccuper de son apparence plus que de raison. Elle avait un goût prononcé pour la fête et la recherche de nouvelles amitiés. Elle me rappelait sans conteste Mélissa.

Contrairement à elle, me lier d'amitié avec quelqu'un signifiait en premier lieu la recherche de l'entente idéale, sans me préoccuper de la position sociale, et cela me limitait grandement dans mes fréquentations. Je ne partageais pas les mêmes hobbys que la majorité des autres étudiants. Mais aveuglé par ce désir impulsif et viscéral de trouver des nouveaux amis, je me mis à l'idée de participer à une soirée étudiante un jeudi soir. Elles faisaient parties des grands classiques rennais, passage obligatoire pour quiconque se respecte et mon espoir caché d'y croiser Hélène m'anima en début de soirée. Mais la réalité dépassa la fiction et elle me donna un coup de poignard dans le dos dès lors que je remarquai mes difficultés d'intégration à un groupe, tout en réalisant l'absence de la jeune femme. Après tout, les bars étaient nombreux dans le centre-ville et, tombant rapidement dans l'obscurité, ils devenaient les tavernes de participants transformés en fêtards alcoolisés qui partaient dans des grands délires absurdes. Je me retrouvai dans mon coin, une bière à la main, agissant contre-naturellement face à ces comportements incompréhensibles de mon point de vue. Mon opinion sur cette débauche n'avait certainement pas changé depuis cette nuit au « Bowl », alors je me hâtai de rentrer au studio dans l'anonymat, tiraillé entre la satisfaction de me retrouver seul et cette désillusion ancrée dans mon incapacité à sympathiser.

C'est ici que je compris réellement mon introversion. Je me sentais mieux ainsi, avec moi-même, puisant mon énergie dans des activités solitaires et productives et plus intelligentes. Carl Gustav Jung m'avait soufflé ses secrets à ce sujet et tout collait lorsque je l'appliquais à mon cas personnel. Réfléchir avant d'agir avait toujours été mon leitmotiv. Hélas, peut-être trop souvent.
Les jours continuaient de passer au rythme de la même boîte à musique. Nous nous retrouvions plus ou moins éloignés selon les amphithéâtres et les situations, et lorsqu'il m'était possible d'y prêter à nouveau une oreille attentive, Hélène ne daignait pas laisser échapper le moindre détail sur sa vie personnelle. Avec quelle certitude pouvais-je déterminer si elle était bien célibataire et si sa famille était aussi originaire de Rennes ? Cette question du célibat me retournait le cerveau.

Si je ne ressentais qu'un amour platonique, pourquoi étais-je si obsédé par ce statut ? Peut-être pensais-je qu'elle serait plus ouverte à une discussion dans ce cas précis. Et puis il y avait cet illustre inconnu à la sortie des amphithéâtres qui nourrissait mes doutes... Quant aux origines familiales, cela tombait sous le sens. Sympathiser avec une étudiante de passage dans cette ville signifierait une nouvelle amitié brisée et je ne pouvais psychologiquement plus me le permettre.
Voilà que je pensais à elle dans mon studio ou dans la rue, et même lors de mes conversations avec Max. Aspiré par les matches de rugby ou les émissions de divertissement, il m'arrivait d'avoir des pensées soudaines qui dessinaient précisément son joli visage dans mon esprit. Somnolant devant un film, à la frontière du réel et de la rêverie, je ressentais son étrange présence à mes côtés comme on peut percevoir le regard de quelqu'un porté sur nous. Je me rabattais hâtivement vers son profil Facebook à mon réveil et son accès restreint ne m'empêchait pas d'aller le vérifier tous les jours en quête de nouveau contenu. 

L'ajouter comme « ami » semblait être la solution la plus aisée mais elle m'était impensable. Nous ne nous connaissions pas et je serais passé, à coup sûr, pour un suspect drôlement intéressé. Je me contentais de la scruter discrètement à l'université... Me laisser doucement bercer par ses charmes me convenait, et pour reprendre ce que Fanny m'avait si bien illustré, Hélène était celle que je complimentais secrètement. Et dans l'idée de ne pas l'idéaliser, je lui cherchais des faiblesses objectives. Devais-je placer son côté mystérieux du côté des défauts ? Elle avait cette agilité à être imperceptible, illisible dans ses mouvements ou ses prises de parole. Je ressentais mieux son humeur que son esprit, un comble pour un apprenti psychologue. Cela créa cette fâcheuse tendance à me focaliser uniquement sur elle aux dépens des leçons, ce qui m'entraînait dans un retard bientôt irrattrapable. Nos premiers partiels arrivaient en janvier.

Nous arrivâmes à un jour crucial pour notre petite classe anglaise, réfugiée comme à son habitude dans cet impressionnant amphithéâtre dont les précédents cours musicaux résonnaient toujours entre les travées. Hélène semblait étonnamment dissipée et elle jonglait entre ses notes et son smartphone. Sa lourde tête se reposait sur son poing gauche et sa fine main droite tapotait longuement l'écran tactile pour des raisons inconnues.

Ma nuit fut reposante à l'image des précédentes et mes pensées s'estompaient légèrement, comme un rêve marquant devient moins précis au fil des jours. A vrai dire, mon enquête n'avançait plus. Tel un détective, je décomposais systématiquement ses moindres gestes et paroles et je les enregistrais mentalement avant de les interpréter par un exercice psychologique et psychanalytique. Son quotidien et sa vie privée inaccessibles me firent tout à coup ressentir une gêne certaine dès ma prise de conscience de cette pratique malsaine qui durait depuis un mois. Comment pouvais-je donc arriver à un résultat concret sans connaître ma patiente. et je me demandai légitimement si mon petit jeu absurde devait continuer, ou pire encore, ce qu'il se passerait si j'arrivais réellement à mes fins.

Quel dommage cela serait si ma nouvelle passion venait à soudainement disparaître, effacée par un élément défavorable comme sa situation amoureuse complexe ou quelconque secret bien gardé et dérangeant. Son image dans mon imaginaire se basait uniquement sur mes quelques interprétations subjectives et mes rares perceptions objectives. Elle ne restait qu'un rêve pourtant si proche physiquement, que je souhaitais irrésistiblement déchiffrer.

Dans une idée plus globale, je me sens obligé de ne pas courir après tous mes rêves et mes fantasmes. La simple force de mon imagination à travers ces derniers me donne d'excellentes raisons de poursuivre mon envie de croquer la vie. Je les réaliserais un jour, mais je dois prendre mon temps. Car je me rends compte maintenant, à l'instant où je me sens somnolant sur mon petit tas de paille... que réaliser l'ensemble de mes rêves trop rapidement reviendrait à balayer les étoiles logées dans mes yeux, et cela rendrait la vie fastidieuse. Il faudrait alors en recréer des nouveaux pour ne pas tomber dans l'ennui, mais il faudrait comprendre comment se passionner à nouveau et ne pas trop rationaliser le monde réel. Cette rationalisation me fait oublier mon émerveillement enfantin qui parvenait à me transporter dans un univers féerique, grâce à ma perception innocente et éloignée d'un monde frappé par cette dure et absurde réalité. Car le rêve reste pour moi la principale évasion possible, forte de son pouvoir illimité de création et il est crucial de la conserver.

Les caractéristiques d'Hélène ressortaient comme je voulais les voir dans mon univers intime et mes rêves... Elle répondait à mes standards et mes envies et c'est ce qui la rendait si belle et attirante, totalement dépourvue de défauts que je ne pouvais capter.

Elle releva soudainement la tête au moment où le professeur d'anglais passa une annonce importante, exceptionnellement en français mais imprégnée d'un fort accent britannique : « Voilà quelques jours que je réfléchis à votre partiel de janvier. Et celui-ci sera un examen à l'écrit. La classe sera divisée en deux, ce qui sera très simple à réaliser puisque l'amphithéâtre est composé de deux rangées verticales. » La situation devint intéressante dès la seconde où je compris que Hélène se retrouvera dans mon groupe. Le professeur continua. « Chaque groupe devra me remettre un journal d'une vingtaine de pages, composé de sujets vus en cours. Chaque article sera travaillé par un binôme, que je vous laisse former dès à présent. »

L'opportunité tombée du ciel, tant espérée intérieurement, sembla prendre vie sous ma mine déconcertée. Il m'était évident depuis la rentrée que les filles se connaissaient bien et les binômes se formèrent rapidement selon les affinités. Hélène, comme à son habitude, occupait à elle seule l'une des premières rangées. Balayer du regard mon groupe à la recherche d'une âme susceptible de m'accompagner ne fut d'aucune utilité tant la réponse devenait évidente. Hélène aussi regarda la formation des duos après s'être retournée. Nous pûmes désormais nous regarder droit dans les yeux et nous devinâmes déjà l'issue inévitable. Une légère pointe de stress me fit sauter de mon siège comme si une poupée vaudou à mon effigie fut piquée par une réalisation soudaine. Je calmai ma tension en pensant à autre chose et en me réfugiant dans mes bras en arc de cercle sur la table, tout en la regardant.

Julie, petite brune aux cheveux courts, s'imposa rapidement comme la rédactrice en chef de notre petit journal. Elle nota les binômes puis elle demanda à Hélène :

« Quelle est ta partenaire ?
- Il ne reste que Martin », dit-elle sobrement en me regardant. Julie se retourna vers moi comme une majorité du groupe. Toutes me regardèrent tirer la tronche, mon menton désormais posé sur le revers de mes mains et contraint de subir cette intimidation. « Tu seras avec Hélène, m'imposa Julie. Ça te va ? »

Je restai stoïque. Je ne ressentis plus mon stress sur le moment tant la situation semblait hors du temps. Je restai impassible pour cacher ma joie intérieure de savoir qu'Hélène connaissait déjà mon prénom.

« Oui bien sûr. Je n'ai pas le choix, de toute façon », dis-je sans enthousiasme en regardant Julie. Hélène aussi resta impassible et illisible dès le moment où je portai mon regard sur elle. Nous étions deux joueurs de poker qui s'observaient intensément pour parvenir à déchiffrer la main de l'autre.

« Je vois que la proposition te fait plaisir », me répondit sèchement Julie.
Je fus alors atteint d'une confiance très étrange. Je devins très relâché et je parlai spontanément : « Écoute, je ne connais personne dans cette classe... Peu importe. De toute manière, je sais pertinemment que nous allons réaliser le meilleur sujet, parce que j'ai déjà plein de bonnes idées. »

Hélène esquissa un léger sourire qui eut le don de planter une nouvelle banderille dans ma poupée vaudou. Heureusement, personne ne le remarqua.

« Tant mieux alors, me répondit Julie d'un ton engagé. J'espère que tu auras toujours le même enthousiasme. » Elle prit son rôle de meneuse auto-désignée très à cœur. C'était une jeune fille bosseuse, toujours prête à donner de sa personne lors des cours et peu intimidée par la foule.
Hélène ne dit rien de plus et elle accepta l'exercice. Le professeur continua ses explications : « Nous élaborerons la ligne éditoriale sur notre première heure, puis nous attaquerons nos recherches. La prochaine séance sera intégralement dédiée aux rédactions des articles et bien sûr, je vous encourage à faire des recherches en amont chez vous pour prendre un peu d'avance. »

Les étudiants se déplacèrent librement dans les rangs et chacun se trouva désormais avec son partenaire. Je pris mon courage à deux mains en descendant la rejoindre. Elle me fit poliment un peu de place en regroupant ses affaires. Elle remit ses cheveux en place sur l'avant, collés à sa poitrine comme elle aimait le faire tout en les brossant de sa main légère, et elle me fit un chaleureux sourire en coin lors de mon installation. Elle étalait le long de ses lèvres sur ses dents et je trouvais toujours ce type de sourire encore plus charmant qu'une exposition universelle de la blancheur.

Julie nous annonça très rapidement la couleur : « Je pense que notre ligne éditoriale devrait se concentrer sur les actualités. Comme ça, on se laisse une plus grande marge de manœuvre et tout le monde pourra trouver un sujet qui l'intéresse. » Nous acquiesçâmes tous et les filles se mirent déjà à la recherche des sujets.

Me tenant désormais aux côtés d'Hélène comme je l'avais pu être si souvent dans mes rêveries, mon self-control m'impressionna. La situation aurait dû m'emmener droit vers une crise de panique mais il n'en fut rien et mes émotions furent comme cadenassées. Notre proximité me procura déjà d'excellentes sensations de liberté et j'oubliai les notions du temps et de l'espace. « Asseyez-vous près d'une jolie fille une heure et cela vous paraîtra durer une minute », disait en partie Albert Einstein pour illustrer sa théorie de la relativité. 

Le fantôme de Fanny vint cependant perturber mon fil de pensée et injecta en moi une peur des mots inappropriés. Je commençai à amorcer la conversation : « Nous y voilà... à ce premier partiel de l'année, dis-je maladroitement, en alternant mes regards entre mon smartphone et elle.
- Quelles sont donc tes bonnes idées ? » Elle me répondit d'un sourire tout en me fixant. Un léger malaise s'installa en moi. Le professeur apporta plus de précisions, ce qui me permit d'avaler une grande bouffée d'oxygène.

« Pensez bien à ce que vos sujets soient être en accord avec la ligne éditoriale. Concertez-vous pour définir ce qui vous convient. Si vous n'avez pas d'idées, appelez-moi et nous en discuterons ensemble. »

Mon sujet était déjà bien choisi, mais je n'avais aucune idée si Hélène s'intéressait aux actualités.

« Sur quel sujet veux-tu travailler ? lui demandai-je poliment mais d'une élocution rapide.
- Je ne sais pas vraiment... me répondit-elle tout en fixant son smartphone. Dis-moi tes idées.
- Eh bien, dis-je en me persuadant de ma bonne intention, on pourrait faire un article sur les tensions coréennes actuelles.
- Oui, pourquoi pas... dit-elle sans grand enthousiasme, toujours sans me regarder.
- Mais... nous pouvons aussi faire autre chose... si tu veux.
- Non. La Corée fera l'affaire ! », se redressa-t-elle vivement en me souriant.

D'inquiétantes pauses venaient se greffer entre mes questions et ses réponses. Elles me semblaient durer des heures.

Lui parler en la regardant dans les yeux devint mon principal objectif mais cela eut pour effet de me déstabiliser. Je me noyais dans son regard, absorbé par sa puissance et sa beauté naturelle, et cela déclenchait dans mon cerveau des légères déconnexions de neurones qui m'infligeaient quelques tics que moi seul remarquait, sans pouvoir m'en débarrasser. Je me retournai vers le professeur et attirai son attention, comme pour relancer mon esprit trop perturbé.

« Oui, Martin ?
- On aimerait faire un article sur les tensions coréennes, mais on ne sait pas vraiment de quel angle l'aborder.
- Hmm... prit-il le temps de réfléchir... Le Nord et le Sud ont une histoire commune jusqu'à la fin de la guerre et ces deux pays ont aujourd'hui un fonctionnement très différent. Vous pouvez faire une comparaison de leurs modes de vies, peut-être. »

Le professeur se dirigea rapidement vers d'autres étudiants demandeurs de conseils. Je me retournai vers Hélène et lui demandai son avis sur cette remarque.

« Ça m'est égal, Martin, répondit-elle discrètement. Je connais peu le sujet mais je ferai mes recherches. »

Elle se penchait encore et toujours sur son smartphone en y tapotant des messages, ce qui avait le don de m'agacer. Alors je me détachai de la situation et l'imitai, puis je commençai mon travail de recherche.

Les minutes passèrent sans que nous nous adressions la parole. Je ressentais au plus profond de moi-même cette continuelle attraction charnelle, sa chaleur et son odeur féminine dégagés à chaque mouvement de coude ou de tête, et ce petit frémissement dès qu'elle semblait vouloir me parler. Elle m'enveloppait de sa présence.

Julie nous interrogea sur notre choix de sujet peu avant la pause et elle donna son accord. Je me forçai à sonder Hélène dans la foulée, sur l'avancée de ses travaux. Elle me répondit très hésitante et gênée :

« Euh... Je ne sais pas où commencer. Comment devrait-on partager le sujet ?
- Je pourrais m'occuper de la Corée du Nord en évoquant sa tombée dans le communisme à la fin de la guerre et comment les Kim sont arrivés à leur statut actuel. Je te laisse la Corée du Sud qui est plus abordable, je pense. Tu pourrais commencer par la tutelle américaine et l'influence que cela a eue sur leur économie et leur culture. »

Je lui exposais mon plan sans même la regarder, préférant me focaliser sur la table tout en illustrant mes propos par le déplacement naturel de mes mains sur celle-ci. Cela m'aidait terriblement pour éclaircir ma pensée.

« Tu as l'air de bien t'y connaître.
- Pas vraiment, tu sais, la regardai-je maintenant dans les yeux. Je me suis simplement intéressé à l'histoire en lisant un ou deux livres sur la Corée et j'essaie de suivre l'évolution de la situation chaque semaine. Tu as entendu parler des regains de tensions ces derniers jours ?
- Non, me dit-elle franchement. Je ne regarde pas beaucoup la télévision. »

Sa réponse ne me surprit pas car notre génération se lassait des actualités télévisuelles trop sensationnalistes. Nous préférions nous porter sur les sites d'informations qui nous laissaient une plus grande variété d'articles et surtout, rien ne nous était imposé dans notre lecture. Nous pouvions même lire les actualités françaises du point de vue étranger, et ce gratuitement. Mais Hélène ne semblait pas regarder du tout les actualités.

Elle semblait réservée dans ses propos, comme recroquevillée dans une bulle. Je percevais en elle une sorte de détachement, comme si elle souhaitait être ailleurs. La voir se pencher constamment sur son smartphone me guidait considérablement vers cette réflexion.
Nous attaquâmes notre travail sur la deuxième heure et ma concentration me permit de m'extraire de la situation. Nous ne nous parlâmes plus et chacun se concentra sur sa tâche. A la fin du cours, je me retournai vers elle :

« Je pense avoir bien avancé sur le Nord. Et toi ?
- Je ferai quelques recherches chez moi, me répondit-elle toujours plongée sur son bon dieu de smartphone qu'elle ne souhaitait vraiment pas lâcher...
- Il va être l'heure, annonça le professeur. Continuez votre travail à la maison et gardez contact avec votre binôme. Nous nous reverrons au prochain cours, dans deux jours, pour terminer cet examen.
- Nous mettrons en commun nos recherches », me dit-elle en baissant les yeux vers ses affaires.

Je me demandai bien de quoi elle parlait. Nous travaillions sur deux aspects différents de la Corée. Dans ce doute, les autres étudiants se levaient. Nos regards se croisèrent furtivement à plusieurs reprises et je ne m'en fatiguais pas. J'adorais cette connexion. Je la laissai poliment passer dans la rangée. Nos corps se frôlèrent et elle me chuchota un rapide et charmant « salut. » Je la regardai quitter l'amphithéâtre et rejoindre ce mystérieux frisé, alors que mes nouveaux messages défilaient sur mon smartphone. Je remarquai à cet instant que mon unique opportunité de lui demander son numéro fut passée.

La passion des sentimentsWhere stories live. Discover now