« Martin, range ta plume. On doit y aller. » William me fait revenir à la réalité de la guerre. J'aime son accent québécois, mais surtout son attitude. Il rendrait chaque situation presque absurde, voir comique, comme dans un film de Louis de Funès. D'autant plus qu'il est un savant mélange entre l'acteur et le Prince britannique éponyme. Crâne dégarni et grand dadais, attaqué de tics amusants... Mais il n'est pas très futé. « J'arrive. » Je pose ma plume et laisse la feuille en place. Je vois l'encre sécher à vue d'œil pendant que je m'équipe. William fait couiner les escaliers boisés par le lourd poids de ses bottes et son équipement et je suis quelques instants après son mouvement. Le hameau est calme. Nos compagnons, sous l'œil de notre adjudant, font l'inventaire des armes et des munitions à notre disposition dans une grange. Nous n'avons pas tiré une seule fois... Le rapport est donc très vite conclu et ils nous confient deux mitrailleurs semi-automatiques.
William et moi partons en vadrouille en forêt, qui longe la frontière. Le soleil s'est déjà levé mais il est encore tôt. C'est devenu un exercice banal et relaxant malgré les charges sur notre dos.
Nous savons pertinemment que l'ennemi ne franchira pas la frontière par les bois. C'est comme si nous nous mettions à l'abri de la véritable attaque, si elle devait arriver à cet instant précis. Car la principale cible en cas d'affrontement restera le hameau. Notre adjudant décida donc, il y a peu, de n'envoyer que deux soldats vadrouiller dans cette forêt voisine et laisser le maximum d'hommes autour du hameau. Isolés de toute autre forme humaine, nous sommes en face-à-face avec nous-mêmes, comme entraînés à réfléchir sur notre situation.
« Ça t'arrive de repenser à tes souvenirs de jeunesse ? dis-je à William.
- Non.
- Moi, j'y pense souvent avant de m'endormir. Je m'imagine revivre quelques scènes avec mes potes. Parfois je vais très loin dans les détails et ça m'endort.
- Pour m'endormir, je préfère ne penser à rien du tout.
- J'aimerais bien, mais je n'y arrive pas.
- Tu fermes les yeux et tu ne penses à rien.
- Je suis obligé de penser à quelque chose.
- Concentre-toi et pense à rien.
- Même là dans cette forêt, n'importe quoi va me rappeler un souvenir. La forme d'un arbre, la couleur d'une feuille, le chant d'un oiseau... Si j'étais seul, je m'arrêterais et je penserais à plein de choses.
- On peut s'arrêter si tu veux. »
Notre marche s'apparente à celle des militaires dans les lieux publics. Lente et robotique. Mais nos seuls ennemis restent des arbres.
Nous nous débarrassons de notre attirail et restons assis à même le sol, adossés à l'un d'eux. William reste silencieux. Lui et moi partageons la même chambre mais nous nous connaissons peu. Tout ce dont je peux être sûr, c'est qu'il n'est pas très bavard. Il a l'air aussi renfermé que moi. Cela nous va bien, finalement.
Le soleil perce tant bien que mal l'épaisseur des feuillages encore restants et je peux ressentir la chaleur des quelques rayons de soleil qui nous atteignent. Cette intensité solaire étonnante pour cette période de l'année me rappelle les beaux jours du printemps...
La beauté du temps s'ancrait dans nos peaux et chauffait à blanc les gradins de la petite piste d'athlétisme marseillaise, à l'extrémité du lycée. Juchés au sommet des huit marches dont la hauteur s'apparentait à un mur, nous comparions nos prises de notes suite à notre dernière lecture de Candide. Notre prochain cours de français devait commencer une heure plus tard dans les salles dites préfabriquées.
Chacun comprenait ce terme de préfabriqués dès les premiers pas dans le couloir, le parquet craquant sous les chaussures légères, puis dans les salles de cours où les chaises et les tables gravées par les compas et autres tranchants étaient devenues refuges définitifs des chewing-gums usagés depuis de nombreuses générations. Personne ne saurait expliquer si ces lieux emblématiques avaient vocation à rester plantés dans le sol, ou s'il était envisagé une destruction totale par les mêmes ouvriers lui ayant donné naissance. Mais contrairement à mes camarades, j'appréciais les préfa. Les fenêtres me donnaient un beau panorama sur la piste. Elles m'offraient l'occasion de gambader mentalement quelques instants hors du ring.
Ces salles de classe étaient le terrain de prédilection de notre professeure de français, dans lesquelles elle s'amusait à boxer les plus téméraires. Madame Lehoux avait cette particularité de nous juger sévèrement tout en nous prenant sous son aile maternelle. A la rentrée scolaire, les élèves de Première Économique et Sociale que nous étions ne la considéraient pas encore comme nous le devions. D'un ton dur et saisissant, malgré son physique frêle et innocent, elle parvenait à remettre en place les plus coriaces du groupe par sa gouaille. Coriace dans le bon sens du terme ! Un tête-à-tête des mots, un bras de fer de la prose, qu'elle parvenait à gagner par son expérience, ou par les menaces explicites de renvoyer l'élève si elle se sentait en difficulté. Mais elle aimait aussi se fondre dans la masse et se confondre avec nous, car elle restait, au fond d'elle, cette jeune passionnée de lettres qui aimait transmettre ses savoirs.
Je l'observais mener une leçon à une classe de Seconde depuis les gradins, par une vue plongeante sur les rangées et les cahiers. La chaleur du milieu d'après-midi dans ce décor bleu méditerranéen nous relaxait et nous donnait une avant-première de nos futures grandes vacances. A nos côtés, Aurélien parvenait difficilement à terminer ses fiches de mathématiques. Il relevait constamment la tête, trop distrait par les séances de sport voisines.
Nous connaissions, Max et moi, ce franco-suisse depuis le collège. A vrai dire, il était ma première rencontre. Mais en plein âge bête, ciblant le petit nouveau rondouillard, il s'était promis à un bizutage bien corsé. « Je vais lui montrer qui c'est, Aurélien », semblait-il affirmer à la classe entière lors de ses remarques blessantes à mon égard. Il avait été le premier à m'envoyer valdinguer, puis Max vint penser mes plaies, dire tout ce qu'il pensait de cette attitude stupide à Aurélien, et le temps effaça. Après tout, ce n'était que des bêtises d'un jeune adolescent en pleine puberté, incapable de résister à ses pulsions et guidé par sa volonté de s'affirmer face au groupe et de bâtir sa place dans la hiérarchie des cours marseillaises. Il se calma au passage au lycée et nous avions fini par nous entendre, sans pour autant qu'il ne me présente quelques excuses.
Il se leva répondre à un appel téléphonique et parcourut en diagonale la tribune en recherche de discrétion. Max en profita pour se tourner vers moi :
« Martin, hier soir, parlait-il sans hausser le ton, je n'ai pas bien compris où tu voulais en venir dans ta nouvelle.
- Est-ce que tu l'as lue jusqu'au bout, au moins ?
- Oui.
- Ne fais pas semblant, Max. Tu t'es endormi, je t'ai vu.
- Bon. C'est vrai. Mais j'étais trop fatigué et c'était franchement illisible.
- Ce n'est pas grave, laisse tomber.
- Non. As-tu réellement connu cette jeune fille blonde que tu évoques au début ?
- Oui... C'était une voisine et j'en étais très amoureux. Puis après lui avoir enfin exprimé mes sentiments, elle ne m'a plus jamais parlé et j'en cherche toujours une explication.
- Peut-être que tu avais fait une connerie ?
- Non, pas du tout. On s'entendait même très bien. Nos journées se passaient toujours ensemble jusqu'au jour où je lui avais enfin avoué mes sentiments lors de son anniversaire. En bref, rien de mal ne s'est passé dans cette histoire. Au contraire. »
Max restait étonnamment attentif à mon récit, lui qui aimait bien se dissiper.
« Ces moments en sa compagnie me manquent, continuais-je. Nous n'étions pas les seuls enfants dans le quartier et nous étions une excellente bande de copains, un peu comme le sont nos camarades en dehors des cours, tu vois. J'ai fait l'effort de tourner la page depuis que je suis là mais je ne parviens pas à oublier la compagnie de Léa, et encore moins son rejet.
- Oui, je comprends. Tu sais Martin, je ne vois pas non plus mes copains d'enfance, alors qu'ils habitent encore Marseille.
- C'est dommage...
- C'est comme ça. Pourquoi tu as écrit cette nouvelle ?
- Pour ne pas l'oublier mais aussi pour essayer de comprendre ou passer à autre chose, je ne sais pas trop. Je ressentais simplement ce besoin d'écrire.
- Est-ce que ça a fonctionné ?
- Comme tu peux le constater, non. Je pense encore beaucoup à elle. »
Max faisait la moue. « Je ne suis pas certain qu'il soit nécessaire de ressasser le passé.
- Non, c'est sûr.
- Il vaut mieux continuer notre travail sur Candide. »
Aurélien venait de glisser son téléphone dans sa poche et enjambait les rudes escaliers. Max reprit son stylo. J'observai, immobile, la nature du parc Borély à proximité, comme pour y trouver une réponse, puis je sortis mes écouteurs.
Une ombre fine vint soudain couvrir mes notes. Levant la tête, fronçant les sourcils pour me protéger des rayons agressifs du soleil, j'aperçus la carrure de Fanny s'asseoir à mes côtés. Elle avait une charmante origine asiatique, pourtant peu perceptible au premier abord. Elle avait des légers traits cambodgiens que nous pouvions difficilement remarquer au premier coup d'œil, et ce n'est qu'en lisant du khmer sur son profil Facebook que je découvris son arbre généalogique.
Elle pointa le bout de son nez dans mon existence à notre entrée au lycée, non loin de là, dans un bâtiment dédié aux loisirs et aux rencontres lycéennes. Accoutrée d'un jogging, les traits fatigués par une récente séance de sport, le mascara dégoulinant, elle me sourit et posa ses beaux yeux verts foncés sur ma peau. Elle vint discuter avec moi. Je fus pris au dépourvu mais bien heureux de la voir faire le premier pas. « Je sais que tu t'appelles Martin. Moi c'est Fanny. Je suis une amie d'enfance de Max, nous étions ensemble en primaire. » L'évocation de ce dernier mot me rappela furtivement Léa. « Salut. » C'était l'unique son qui me sortit de la bouche. « C'est un super gars, tu sais. » Oui, je l'avais remarqué. Aucun sujet de conversation ne nous vint dans l'instant, mais nous voulions discuter. Elle m'entraîna dans un coin pour que nous ne soyons pas au centre de l'agitation. Nous avions fini par échanger sur des sujets sans importance mais essentiels à la création d'un lien, et d'une facilité déconcertante, je parvins à me concentrer uniquement sur l'exercice social. Autrement dit, je parvenais à m'extraire des charmes du physique féminin et je contrôlais mes envies adolescentes d'une aisance incomprise sur le moment. Touché, je l'étais par son charisme naturel, et cet intérêt du sexe opposé porté sur ma personne fut le premier depuis Léa. Elle eut la capacité de me mettre à l'aise.
Nous nous étions retrouvés dans la même classe à la rentrée suivante. Nous nous voyions lors des intercours, nous étions souvent assis non loin l'un de l'autre, et répéter cet exercice en sa compagnie m'avait redonné confiance. Je me méfiais toujours des filles, de peur qu'elles n'agissent comme cette petite fille blonde et qu'elles aggravent encore plus le doute dans lequel je tombais au fil du temps.
Fanny se mit accroupie et elle fouilla dans ses affaires, collée à moi.
« Où étais-tu hier soir ? me demanda-t-elle enjouée.
- Au skate-park, comme tout le monde, lui dis-je en lui rendant son sourire.
- C'est bizarre.... Je ne t'ai jamais vu.
- Nous non plus, nous ne t'avons pas vu. Pourtant, nous y étions.
- Qu'écoutes-tu ? changea-t-elle de sujet.
- De la Trance. J'ai téléchargé toute une série de morceaux sur Internet l'autre soir. »
Je lui tendis mon écouteur gauche. Le saisissant, Fanny perdit légèrement l'équilibre et vint poser sa main sur l'intérieur de ma cuisse. Surpris et gêné par une telle proximité des corps, je rougis mais ne gâchai pas pour autant mon plaisir. Elle ne s'excusa pas, trouvant certainement le geste approprié à la situation et elle se mit aussi en tailleur, posant son genou droit à quelques centimètres de ma cuisse encore émue. Elle me rendit vite mon écouteur.
« Je ne sais vraiment pas comment tu peux supporter cette musique, Martin, me dit-elle en ouvrant son livre.
- C'est comme l'alcool, lui répondis-je ironiquement. Il faut en consommer beaucoup pour apprécier. »
Je l'observai travailler, ayant perdu la volonté de relire mes cahiers. Elle me fit un bref regard et me demanda :
« Aurais-tu la conclusion du dernier commentaire de texte ?
- Non. J'aimerais aussi la trouver mais tout le monde bavardait à la fin du dernier cours et personne ne l'a notée, j'en ai bien l'impression.
- Si la prof m'interroge, je suis morte !
- Comme tout le monde.
- Pour éviter d'être interrogé, il faut rester discret, conseilla Max. Il ne faut pas trop la regarder dans les yeux et surtout, faites semblant de travailler. C'est une vieille technique imparable. »
Aurélien rigolait. Dans son cursus scientifique, il n'avait pas ces problèmes littéraires. Mais il galérait tout autant que nous.
« Notre prof va piquer une nouvelle crise quand il s'apercevra que personne n'a compris son exercice de mathématiques. Il n'est même pas capable de réaliser que personne ne comprend ses exercices et il rejette la faute sur nous.
- C'est quoi, comme type d'exercice ? interrogea Fanny.
- Résolution des produits scalaires.
- N'en dis pas plus, ricana-t-elle en lui montrant la paume de sa main en signe de barrage. Je préfère lire Voltaire. Je ne comprends même pas ce que tu veux dire par scalaire.
- J'espère que ton Voltaire fait des bonnes figures de style, rétorqua Aurélien, comme une provocation.
- Il a un bon style d'écriture, un peu bizarre mais conforme à son époque, sourit-elle malignement.
- Pour le peu de français que nous lisons, j'espère qu'ils ne nous imposeront pas un sujet trop compliqué au bac anticipé. Je préfère encore me prendre la tête sur des sujets mathématiques. Au moins, il y a une certaine logique.
- Mais il y a aussi une logique chez Voltaire », s'emporta Fanny.
Et un débat enflammé débuta entre eux deux, que Max et moi regardions d'un œil rieur. Les deux protagonistes de cette amicale dispute se lançaient leurs arguments à la figure, mais Aurélien semblait ignorer encore le caractère bien trempé de la petite asiatique lorsqu'il était question de défendre une opinion.
J'aperçus mes premiers camarades se positionner aux portes des préfabriqués avec leurs airs détendus et blagueurs. La sonnerie stridente et désagréable retentit dans la foulée et résonna dans l'ensemble de l'établissement. Aurélien coupa court à la discussion et nous adressa un salut complice associé d'un clin d'œil, avant de s'évaporer dans le flux de lycéens.
Notre rang se forma progressivement le long des fenêtres des préfabriqués. Hugo, l'un des plus farceurs du groupe, jeta son sac sur la table qu'il voulait occuper, au fond, proche du radiateur comme à son habitude, avant même l'entrée en classe en profitant d'une fenêtre entrouverte. Madame Lehoux vint nous chercher et comme à chaque cours, nous rentrâmes dans un brouhaha tamisé.
Notre disposition s'était naturellement formée les premiers jours en nous basant sur nos affinités, et il était rare qu'un élève change de place en cours d'année, mais cela pouvait arriver selon les absences. Moi et Max allions toujours de pair. Fanny et Pauline, sa meilleure amie, ne se quittaient jamais entre quatre murs.
Nous étions en plein dans les dernières heures d'études avant le moment fatidique de l'évaluation nationale. « Bien, nous allons une bonne fois pour toute finir l'analyse de Candide, s'enthousiasma Madame Lehoux, les mains jointes, assise sur son bureau, les jambes croisées pendues dans le vide, et dessinant un immense sourire malin sur son visage soudainement déridé. Qui souhaite résumer notre dernier cours ? »
Comme prévu, les regards se détournèrent. L'un chercha de l'aide parmi les lycéens patientant encore à l'extérieur. L'autre plongea le nez dans ses notes, feignant une activité studieuse comme Max nous l'avait conseillé. Les deux premiers rangs étaient souvent épargnés du supplice et ils ne se méfiaient plus des interrogations. Ce fut encore le cas ce jour-là. « Bien, toujours pas de volontaire ? » Madame Lehoux aimait jouer avec ses élèves. Ses dents n'avaient pas bougé d'un centimètre et elles aveuglaient tout le monde par leur brillant éclat. « Alors je vais désigner quelqu'un qui a peu participé pendant l'année. » Elle voulait mettre la main sur un visage qu'elle connaissait peu, un visage qu'elle avait facilement retenu mais qui restait bien souvent silencieux. Elle ne souhaitait pas questionner un garçon. Elle en avait eu assez des voix masculines, étonnement actives toute l'année. Son regard balaya donc longuement la salle de classe à la recherche d'une victime féminine. Elle élimina une par une les lycéennes qu'elle connaissait bien puis, telle une illumination, elle désigna son choix.
« Fanny, peux-tu nous résumer le dernier commentaire de texte ? » Je m'orientai vers la gauche pour observer cette pauvre amie que je plaignais. Max et moi pûmes témoigner de son stress soudain et de ses premières gouttes de sueur apparentes, sur une peau devenue rougeâtre.
Elle prit la parole, hésitante, en relisant prudemment ses notes et en guettant le premier geste négatif de notre professeure. Mais Madame Lehoux ne dit rien. Elle écoutait attentivement et son sourire était comme retenu par des crochets, si fort que l'on pouvait imaginer qu'une crampe l'avait immobilisé en plein vol. Proche de terminer la relecture de ses notes, une seconde bouffée d'angoisse submergea Fanny. Personne n'avait noté la conclusion de ce commentaire. Je retenais toujours ma lourde tête sur mon poing gauche, envoûté par le suspense, tout en étant désolé pour elle.
Max choisit cet instant inopportun pour me pincer fortement la cuisse sans aucune raison apparente. « Arrête tes conneries », lui chuchotai-je lourdement en sursautant et en me retournant vers lui dès l'instant où je ressentis la douleur. Je ne le regardai déjà plus, observant de nouveau Fanny, inlassablement. Mais ce léger vacarme attira l'attention terrible de notre bourreau. Le sourire de la quadragénaire tomba à la vitesse d'une pierre sur le sol et je sentis toute la pression remonter de mes jambes jusqu'à mes mains.
« Martin, peux-tu nous lire tes notes sur la conclusion du dernier commentaire ? » Envahi jusqu'au bout des doigts par un courant électrique et jouant désormais le rôle de la victime, je cherchai immédiatement Fanny du regard sans la trouver, et sentis naturellement que personne ne voulait me sauver de la mort certaine. Fanny me laissa transparaître à la fois sa gêne, puis sa joie d'avoir évité une sentence dans une grimace très curieuse. J'étais pris au piège. « Tu as cinq secondes », surenchérit madame Lehoux. Elles parurent interminables et le tic-tac de l'horloge se faisait de plus en plus pressant, plus lourd qu'à l'habitude. Mon cerveau était déconnecté, victime d'un court-circuit. On entendait les discussions dans la cour de récréation, les cliquetis stressés des stylos, les toussotements étouffés de soulagements, mais aucune sonorité ne sortit de ma bouche. Le silence est d'or, la parole est d'argent, me répétai-je. Mieux valait-il rester muet que sortir une énorme bêtise.
« Je t'ai rarement fait des remarques désobligeantes Martin, me dit-elle en me fixant, mais l'examen est pour le mois prochain. Veux-tu que je te rappelle tes résultats devant tout le monde ? Tu vas devoir sérieusement travailler pour rattraper ton retard. Il ne faut pas prendre l'examen à la légère. Tu as, et vous avez tous, continua-t-elle en balayant la classe, une chance de prendre des points d'avance pour l'année prochaine, où vous aurez une charge de travail deux fois plus élevée, et des disciplines plus exigeantes encore. Alors saisissez-là, où vous le regretterez. »
Nous restâmes livides, comme assommés par la brutale réalité affichée. Je voulais disparaître à jamais, pauvre victime du tourbillon éphémère de l'embarras et je désirais effacer ce souvenir gênant de la mémoire de mes camarades.
Madame Lehoux prit ses fiches, se retourna vers le tableau et commença l'écriture du plan de cette fameuse conclusion. Max me pinça une seconde fois la cuisse.
« Mais c'est quoi ton problème espèce d'idiot, chuchotai-je de nouveau d'un ton lourd et agacé. C'est de ta faute si la prof m'a mis la honte devant tout le monde. J'espère que tu es fier de toi.
- Lis la feuille que je t'ai glissé sous le nez depuis tout à l'heure, crétin.
- Non.
- Mais si... »
Je lus alors, passablement agacé, les deux lignes rédigées sur une feuille flottante, comme nous avions l'habitude de faire dès qu'il était impossible de nous parler sans nous faire remarquer.
« C'est à mon tour d'aller dans les confidences. Je suis en couple depuis quelques jours. »
Remarquant le dos toujours tourné de la professeure, j'en saisis l'opportunité pour donner un coup de poing énervé mais complice sur l'épaule de Max. « Je te la présenterai demain, me chuchota-t-il. Mais tu la connais déjà. »
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La passion des sentiments
Misterio / SuspensoEnvoyé au front, Martin est amaigri, miséreux. Son état physique et mental l'interroge sur sa situation : et s'il était, finalement, le seul responsable de son sort, et que le destin n'avait eu aucun rôle ? Au cours d'une journée, le jeune homme fai...