2.

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Tu veux quoi ?

Il crache ces mots froidement, ravalant difficilement la bile stagnant dans le fond de sa gorge. Sur le moment, je ne reconnais pas le garçon plein d'assurance et de sympathie qui s'était adressé à moi quelques secondes plus tôt.


(...)

Je t'ai dit que je te le donnerai ce fric Tyler. Ok ?


(...)

Mais j'en sais rien ! Quand je l'aurai !


(...)

Il range son téléphone dans sa poche et m'adresse à nouveau un regard puis un sourire détend son visage. A cet instant, mon esprit se focalise seulement sur cette esquisse qui se dessine sur son visage, me faisant ressentir des picotements dans le fond de mes joues. Mon dieu ! Je rougis. Heureusement, notre proximité avec le feu de camp camoufle aisément cette coloration soudaine de mes pommettes. Je roule des yeux avant d'émettre un rire gêné. 

— Quoi ?

— Quoi quoi ?

— Pourquoi tu me regardes ?

— Pour rien. T'es agréable à regarder, c'est tout.

Il mordille sa lèvre inférieure pour masquer son sourire en coin. Je ne peux soutenir son regard plus longtemps et tourne toute mon attention sur le feu de camp.

— N'importe quoi !

Je ris puis rabats mes cheveux en arrière, quelque peu gênée et amusée par sa remarque. Un silence s'installe par la suite, et malgré le bruit voguant autour de nous, je persiste à entendre nos respirations qui sortent à l'unisson de nos poumons. Nous regardons la plage, maintenant envahie de lycéens, dansant, buvant, fumant. Je souris, et, pendant un moment, un sentiment de plénitude m'envahit: je suis heureuse, heureuse d'être ici, de vivre l'instant présent qui, à peine arrivé, est tout de suite parti.

Jake rit, amusé par un étudiant qui a couru avant de s'étaler sur le sable.

— Ils sont quasiment tous torchés.

— Enlève le "quasiment" et t'y es.

Il ne dit rien, à la place, il se contente de m'embrasser sur la tempe, comme en signe de protection. Un léger sourire apparaît succinctement sur mon visage car d'habitude, je ne suis pas quelqu'un de tactile et je ne laisse les gens s'approcher que de peu. Mon regard se plonge peu à peu dans les couleurs crépusculaires des braises du feu de camp. Une poignée de secondes plus tard, il sort un joint de sa poche de veste ainsi qu'un briquet. Je le regarde, en train d'allumer ce dernier. Une pointe d'agacement fait surface dans le fond de ma gorge, il se détruit de l'intérieur en faisant ça, tout comme moi à l'époque. Et c'est pour ça que je suis tout le temps dans le contrôle, même lorsqu'il s'agit de l'alcool. Je ne bois qu'à une certaine limite, une limite que je connais parfaitement.

— Tu devrais arrêter cette merde.

Je pointe vulgairement le doigt sur son joint, tout en gardant du mieux possible ma décontraction. Il le porte à sa bouche et en tire une grosse bouffée de fumée grisâtre et opaque. Mes yeux se focalisent sur ses lèvres.

— Tu crois ?

— J'en suis sûre tu veux dire.

— C'est pas un joint en moins qui va me faire gagner des années de vie.

— C'est pas de fumer qui me dérange, parce que je fume des clopes tu vois, mais de consommer quelque chose qui met dans un état second, le fait de ne plus être maître de soi.

Un sourire en coin, il jette son joint dans le feu de camp en face de nous. Un long silence s'installe mais Jake brise quelques minutes plus tard.

— Raconte-moi ton histoire.

— T'es pas sérieux ?

Il a un léger mouvement de recul, il a l'air surpris de ma réponse.

— Bien sûr. Pourquoi je ne le serai pas ?

— J'en sais rien, sûrement parce qu'on m'a pas habitué à parler. Je suis un peu asociale dans le genre.

— Et bien pourtant, ton histoire m'intéresse chère Leïa ! Alors dit moi tout. Des vices cachés ? Des folies sexuelles inavouables ?

J'explose de rire, à pleins poumons. Après quelques secondes, je retrouve mon sérieux.

— Pour te faire la version courte, je n'ai pas connu mes parents. Je vis chez ma tante depuis que j'ai un an. Du moins, je vivais chez elle.

— Vivais ?

— Oui, vivais. J'ai quitté son domicile il y a quelques temps.

Je me contente d'hausser les épaules, cette décision que j'ai prise ne me fait plus souffrir. 

— Ça fait longtemps ?

— Plusieurs semaines pour être honnête.

Un silence s'installe et je sais pertinemment qu'il veut en savoir plus.

— Je... Je peux savoir pourquoi ?

Me confier n'est pas une habitude pour moi, encore moins à un garçon que je connais depuis à peine une heure et pourtant, je me laisser à la confession avec lui. Son pouce rentre en contact avec la pierre de son briquet de manière frénétique, une tension ou bien peut-être une gêne, je ne sais pas.

— Elle est accroc aux médocs et ça la rend ingérable.

— Je suis désolé.

— T'as pas à l'être.

En lui adressant un regard, je pose ma tête sur son épaule.

— Merci.

Une voix de fille vient interrompt ma conversation avec Jake. On relève simultanément la tête vers l'intéressée et un grand sourire d'amusement se lit sur nos visages à mesure que Genesis arrive à vive allure sur nous.

— Hey les amis ! Tout va bien?

On acquiesce tous les deux, légèrement gênés. On passe d'une conversation des plus sérieuses à une Genesis irradiante de bonheur.

 —  Je vous propose un beer pong, certes sur la plage dont adapté aux conditions mais ça pourrait être sympa, non?

 — Moi avec plaisir, et toi Leïa?

Encore une fois, je me contente  de hocher de la tête pour dire oui. Je me voyais mal refuser la proposition de Genesis, même si ce jeu impliquait de l'alcool. Je sais que je me défends pas mal donc je ne m'inquiète pas trop pour mon sort. Nous nous éloignons du feu de camps et nous approchons d'un groupe déjà formé pour jouer au beer pong. Je me mets avec Genesis dans une équipe et Jake dans l'autre.

Les tours s'enchaîne et l'équipe adverse se fait petit à petit battre. Je vois que Jake commence de plus en plus à tituber et c'est au bout d'une heure que sa limite pointe le bout de son nez. D'un seul coup, je le vois partir, courant de travers. Je le suis pour m'assurer qu'il ne fasse pas de bêtise, abandonnant mon équipe à la célébration de notre victoire.

Il s'arrête devant un buisson avant de vomir toutes ses tripes. J'ai des hauts le coeur mais tente de me ressaisir pour l'aider. Je passe ma main sur son dos pour le calmer tant bien que mal. 

 —  Je me sens trop mal c'est horrible...

 —  Je vais te ramener chez toi, d'accord?

 Il ne peut répondre mais je prends ce silence pour un oui. J'envoie un message à Genesis pour la prévenir et lui demande l'adresse de Jake. Une fois sa réponse reçue, je l'emmène jusqu'à ma voiture et l'installe sur le siège passager. Je lui donne un sac plastique froissé trouvé dans mon coffre pour un éventuel autre rejet.

Durant le trajet me séparant de la maison de Jake, un silence règne, entrecoupés de murmures émanant de ses lèvres rosés. Je n'arrive pas à distinguer ce qu'il dit et tâche de me concentrer sur la route.   

Addictions.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant