Aujourd'hui, j'ai beaucoup hésité à venir en cours. J'ai très mal dormi cette nuit, j'ai fait un gros cauchemar dans lequel on me plongeait la tête dans les chiottes au lycée, je me suis réveillé à plusieurs reprises... Je crois que j'étais vraiment terrifié à l'idée d'affronter le regard et les moqueries des autres. Mais je me suis dit que si je ne venais pas, j'allais passer pour un lâche et la situation s'aggraverait. Alors je me suis forcé, même si je n'avais pas la moindre envie.
La chose la plus importante était de ne pas faire attention aux autres. Dans tous les
cas, je savais que j'allais me prendre des réflexions et des moqueries. Il fallait que je sois imperméable à tout ça. C'est très important de ne pas se laisser toucher par ceux qui veulent me blesser, ça me permet de rester calme et de garder un minimum le moral. Entrer en dépression est clairement la dernière chose que je souhaite, et je savais que ça serait un gros combat.
J'ai dû me construire une carapace. Sur le chemin du lycée, j'ai eu le temps de lire quelques témoignages de gays de banlieue qui ont vécu sous cette pluie continuelle de haine. Ils sont vraiment forts, ils réussissent à ne plus être touchés du tout par les railleries des autres. Je les admire beaucoup, mais c'est vrai que sur le coup je me suis dit que c'était mission impossible de devenir comme eux...
En arrivant au lycée, je n'étais pas du tout confiant. À force de stresser à propos de ça, je crois que j'ai encore plus fait attention aux regards des autres. C'était une mauvaise idée d'y avoir réfléchi toute ma soirée et ma matinée, et ça a fait l'effet inverse que ce que j'avais espéré...
Mais je me suis dit qu'il fallait rester fort. Je comptais beaucoup sur Sarah pour me soutenir. C'était ma meilleure amie quand même, et j'espérais qu'elle me comprendrait, au moins elle ! Et puis ça peut paraître un peu stupide, mais je me suis dit qu'en général les filles sont plus compréhensives que les gars sur ce sujet. Je regarde sûrement trop de films pour penser ça, mais sur le moment ça m'a un peu rassuré. Après tout, vu ma situation, toute forme d'espoir était bonne à prendre.
D'habitude, j'arrive au lycée avec une avance d'un bon quart d'heure. Là, je suis entré pile au moment où la sonnerie a retenti. Le moins de temps je suis exposé à ces homophobes, mieux c'est.
En cours, ça a été « plus facile ». Pour la première fois de l'année, je me suis concentré sur le monologue du prof et noté ce qu'il racontait. Au moins, avec cette histoire, mes notes vont sûrement grimper en flèche.
Le gars qui était assis à côté de moi d'habitude a changé de place, mais ça ne m'a pas vraiment touché. On ne parlait pas tellement, de toute façon.
À quelques minutes de la sonnerie, qui annonçait la fin des premières heures de cours et donc la première pause de la journée, mon coeur a commencé à accélérer. Mes yeux sont restés rivés sur cette horloge. Bien évidemment, j'avais l'impression que les aiguilles tournaient à toute vitesse, comme pour me narguer. Je commençais à paniquer, à m'imaginer ce qui allait m'arriver. Le cauchemar de cette nuit est revenu, et il avait l'air tellement réel...
Dès que ça a sonné, j'ai rangé mes affaires le plus vite possible et ai pris mon sac avec moi (on ne sait jamais). 20 minutes de pause, 20 minutes de calvaire. J'ai immédiatement filé dans les couloirs, encore vides, mais qui n'allaient pas tarder à se remplir.
J'ai vissé mes écouteurs dans mes oreilles et ai mis la musique le plus fort possible. Je me suis rendu dans le coin le plus isolé de la cour, loin du regard de tous. J'ai fermé les yeux et me suis concentré au maximum sur la chanson, essayant de distinguer les paroles en anglais et de reconnaître les instruments.
J'étais dans ma bulle, mon refuge. Il n'y avait que moi dans mon monde...
Et puis soudain, j'ai sursauté, comme si quelqu'un était venu me secouer violemment pendant mon sommeil : une main sur mon épaule m'avait sorti de mon monde. J'ai ouvert les yeux : c'était un gars de mon lycée que je ne connaissais pas trop. Je crois que je ne lui avais jamais parlé avant. Il s'appelle Paul, si mes souvenirs sont bons.
Il regardait à droite à gauche, vérifiant sûrement que personne ne le voyait en train de discuter avec la « tapette du lycée ».
« Euh, salut », m'a-t-il dit timidement. Je crois que je lui ai répondu assez froidement, un truc du genre « Tu veux quoi ? »J'étais assez méfiant, et je m'attendais à me faire insulter. Il a paru assez surpris de ma réponse pour le moins brutale. Il a commencé à bafouiller, un peu gêné : « J'ai appris que t'étais gay... C'est chaud... Ça se fait pas pour toi... Je sais pas qui t'a balancé, mais c'est un vrai connard ! »
Je me suis contenté de hocher la tête en levant les yeux au ciel. Je savais très bien qu'il ne pouvait s'agir que de Romain. Qui d'autre était au courant ? C'était évident... En plus, je l'avais laissé tomber le matin même. Enfin bref...
Paul a continué à parler, j'avoue que je ne l'ai pas trop écouté. Il voulait sûrement faire semblant de me comprendre et d'avoir l'air compatissant. Mais je n'étais pas vraiment touché, et je n'avais aucunement besoin de la pitié des autres.
Jusqu'à ce qu'une phrase me fasse ouvrir des yeux ronds comme des billes :« D'ailleurs, euh... voilà... Je voulais te dire que je suis pareil... »
J'ai cru mal comprendre. J'ai froncé les sourcils et je l'ai regardé de travers. Est-ce qu'il a voulu dire qu'il était gay, lui aussi ? Je n'ai pas rêvé quand même !
— Tu veux dire que toi aussi t'aimes les...
— Oui, m'a-t-il répondu sans même me laisser finir ma phrase.« Mais tu le dis à personne, hein ! Personne est au courant, t'es le seul et unique... D'ailleurs, je voulais t'avouer que je te trouve plutôt mignon, et je voulais savoir si tu voulais bien qu'on fasse un peu connaissance... »
Il a prononcé tout doucement les derniers mots de sa phrase, comme un petit enfant qui avoue à ses parents qu'il a cassé le vase du salon. Et il est devenu rouge comme une tomate.

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Journal d'un gay
Jugendliteraturb x b 🌈 Je m'appelle Thomas, et j'ai retrouvé un vieux journal intime plein de poussière en rangeant ma chambre. Il raconte une histoire d'amour qui m'est arrivée quand j'avais 17 ans, avec un garçon qui s'appelle Romain. Je n'étais qu'un gars com...