Je ne vois rien. Il n'y a que du noir. Pourquoi je ne peux pas ouvrir les yeux? J'ai beau essayer, je ne peux pas. Je ne peux faire aucun geste. Comme si... mon corps ne m'appartenait pas. Comme si j'étais paralysée. Mais pourquoi? Je ressens tout, pourtant. Tout.
Le contact glacé avec la pierre froide, contre mon dos, par exemple. Je suis en position assise, et ma tête penche légèrement sur la droite. Ma bouche est entrouverte, mais pas moyen de serrer les lèvres. J'entends du bruit, beaucoup de bruit. Mais lointain. Des bruits de travaux ; comme s'ils se trouvaient à plusieurs rues d'ici. Une ville, donc. Ou quelque chose dans ces eaux-là. J'ai un goût amer dans la bouche. J'espère que ce n'est pas un insecte qui s'y est glissé. Et la puanteur de cet endroit... vivement que je recouvre la possession de mes membres et que je file d'ici.
D'ailleurs, où suis-je? Je ne me souviens pas comment je suis arrivée là. Ni ce que je suis sensée y faire.
Partison.
Qui est-il? J'ai l'impression de le connaître. Mais quel rapport avec moi? Est-il paralysé aussi?
Soudain, j'entends des bruits de pas rapides se rapprocher. Je panique. Et si cette personne venait m'achever? Une main m'empoigne le bras.
《Quincy! Quincy, fais un effort. 》
C'est lui. Partison. Mais que fait-il ici? Pourquoi est-il libre de ses mouvements, lui?
《Quincy, réveille-toi! Il faut qu'on parte d'ici! 》
La pression sur mon bras s'accentue encore. Mais que me demande-t-il? Me réveiller? Il faut que je le fasse. Sinon quelqu'un nous trouvera et nous fera du mal. Je sens mon estomac se soulever, comme si j'entamais une descente dans un grand huit. J'ouvre brusquement les yeux. De l'air froid s'engouffre dans ma bouche, je cligne des paupières plusieurs fois. Je peux à nouveau bouger. Je me lève, un peu trop brusquement, si bien que la tête me tourne.
《Quincy, il faut qu'on y aille. Maintenant! 》
Il me prend la main, et m'entraîne dans les petites rues, me faisant trébucher plusieurs fois. Le contact de sa main est chaud, accueillant. Je suis tellement perdue dans mes pensées que je ne fais même pas attention au chemin que nous parcourons.
Où sommes-nous? Cette ville miteuse ne m'est pas familière. Il y a trop d'immeubles, de circulation, de gens... Tout est sâle, encombré. Je vois par éclair des scènes de rue, des habitants à l'apparence simple. Une femme qui crie sur son enfant. Des marteaux-piqueurs plein les trottoirs, de petits immeubles. Je n'ai pas le temps de m'attarder sur les détails, tout défile trop vite. Partison me tire, il bouscule des passants et tente de trouver des endroits isolés. Nous nous arrêtons plusieurs fois pour reprendre notre souffle. On se regarde sans rien dire, et il ne tique pas devant mon air interrogateur.
Pendant ces brefs instants de répit, j'en profite pour observer les lieux. Tout est si... miteux. Il n'y a pas tellement de monde dans les rues, mais ceux que nous rencontrons ont l'air pauvres et sales. Le ciel est gris, les bâtiments aussi. Je vois à peine le soleil derrière les nuages. Je vois Partison, tout en sueur, qui, je ne sais pas pourquoi, veut m'amener loin d'ici, me tirer avec lui. Comme je n'ai rien d'autre à faire, je le suis.
Je ne sais pas combien de temps nous déambulons ainsi. Nous sommes sûrement passé plusieurs fois dans nombre d'endroits, mais petit à petit, je sens la pression des immeubles décélérer, la verdure réapparaître, l'air se faire moins dense et moins suffocant. Nous sortons de la ville, je le sens. Mais quel est le but ? Et pourquoi ? Et comment ? Maintenant qu'il y a moins d'informations à capter, je me concentre sur moi et sur des questions plus essentielles que le temps qu'il fait dehors. D'où viens-je ? Que fais-je ici ? Qui est-il, ce garçon qui semble aussi perdu que moi, mais m'entraîne cependant depuis plus d'une heure dans son sillage ?
Partison s'arrête brusquement. Nous sommes arrivés à la sortie de la ville, près d'une voie de fer rouillée. Malgré son piteux état, on entend un train rouler au loin. C'est plus calme. Le paysage ne bouge plus autour de nous. Je suis enfin à la verticale et pas pliée en deux en train de courir. Le terrain n'est pas bétonné sous mes pieds, il y a de la terre et quelques brins d'herbe. Il me lâche la main, et je mets mes bras autour de ma poitrine. Je n'ai pas envie de parler la première. C'est quand même lui qui m'a traînée jusqu'ici ! Nos regards se croisent et je plisse les yeux. C'est un assez beau garçon. Il doit avoir dans les quatorze ans. Pâle, les yeux noisettes et les cheveux noirs. Il porte d'ailleurs le même tee-shirt orange que moi, même coupe, même symbole de feuille sur l'épaule.
Lui aussi me dévisage. Je ne comprends pas ce qu'il attend de moi. Je ne comprends pas qui il est et pourquoi il m'a aidé, comment il connait mon nom, et ce qu'il m'est arrivé. En fait je ne comprends rien. La seule chose que je sais, c'est que ce garçon se nomme Partison et qu'il en sait probablement plus que moi. Sur tout.
Il ouvre brusquement la bouche.
-Quoi?
- Quoi, quoi ? je répond.
- Tu me regarde comme si... je sais même pas, en fait.
Je commence à marcher en rond.
- Il se trouve que j'étais paralysée dans une ruelle sombre et sale, que je ne me rappelais pas mon nom. Et puis un adolescent est venu, m'a réveillée, m'a traînée jusqu'ici, et me demande ce qui ne va pas.
- C'est tout ? Il me regarde avec une sorte d'amusement mêlé de crainte et d'incompréhension. Sa bouche semble hésiter entre un sourire bienveillant et un rictus narquois.
- Ah oui et tu porte le même tee-shirt que moi aussi. Ça te semble suffisant?
Partison baisse les yeux, visiblement embarrassé.
- Je suis désolé, Quincy. Mais figure-toi que je n'en sais pas plus que toi.
Ah.
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Eva
Science FictionIls étaient réunis dans le sous-sol du QG de la Révolte; un petit salon miteux dont les tapisseries qui ornaient les murs étaient rongées par les mites. Trois sofas disposés en un cercle composaient le mobilier de la pièce. L'adulte contemplait ses...