Fin du prélude

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   Nous avons perdu trop de réfugiés. Trop de morts inutiles. Ces gamins, livrés ici sans qu'on leur demande leur avis. Partison et moi étions obligés de les aider, de les prendre sous notre aile, de leur apprendre les ficelles de la survie. Nous en étions responsables.

   Et la nuit dernière, ils sont partis. Nos protégés; ces gens à qui nous n'avons rien demandé, ils les ont tous pris. Un à un, ils ont anéanti tous nos espoirs, nos réserves, nos amis.

   Cela fait plus d'un an que je me suis réveillée de ma paralysie. Plus d'un an que nous vivons clandestinement aux portes d'Anouk, La ville. On aurait pu croire que nous serions partis, Partison et moi, vers d'autres contrées. Mais quelque chose nous retenait. En fait, tout nous retenait ici. La sécurité relative, par exemple. Nous avons établi un camp plus que sécuritaire; les plus minutieuses précautions ont été prises, et personne n' a jamais découvert la cachette.

   Les autres oranges aussi, nous ne pouvions pas les laisser se débrouiller comme nous avons été obligés de le faire au début. Comme nous, ils se sont tous retrouvés au fin fond de la ville, seuls, amnésiques. Nous ne pouvions pas les abandonner. Et enfin, nous avons toujours attendu ces réponses qui ne sont jamais venues. Nous avons du les  chercher nous même. Et ce que nous avons trouvé...

   Mais aujourd'hui, plus rien ne me retient. Les quelques oranges qui restent ont acquis suffisamment d'expérience pour continuer seuls. J'ai peur qu'après l'attaque de cette nuit, nos ennemis ne parviennent vite à trouver notre QG. S'ils le trouvent, c'est fini. Tout, absolument tout, est casé là-bas. Nos plans. Nos cartes. Nos armes. Nos vivres et nos vêtements de rechange. Tout.

   Et maintenant il y a un espoir. Un vrai espoir. Des patrouilleurs, deux garçons arrivés au camps il y a quelques semaines, s'étant perdus, m'ont confié avoir vu un mur, un mur plus haut qu'un immeuble de trois étages. Mais en grimpant sur les arbres autour, ils ont vu le paradis. Une ville propre, moderne. Des buildings et des gratte-ciel à perte de vue. De l'air chaud, des gens riches. C'est là que je dois aller. J'en ai plus qu'assez de pourrir ici et de répéter inlassablement le même discours, les mêmes gestes, les mêmes mises en garde aux nouveaux oranges.

   Je veux du neuf. Je veux changer d'environnement, d'entourage, de manière de vivre. Et c'est là qu'est mon destin, je le sais. Nous approchons d'un nouvel hiver. Je n'en veux pas.

   J'ai fabriqué une échelle toute seule, en secret, pour pouvoir escalader le mur. Personne n'est au courant. Pas même Partison.

   Partison.

   Au fond de moi, je ne veux pas partir sans lui. Mais lui ne bougerait jamais. Il est trop attaché aux oranges, et les abandonner après ce massacre les achèverait encore plus.

   Le feu crépite doucement et étire des ombres langoureuses sur le visage de mon compagnon. Celui-ci est perdu dans la contemplation des flammes. Je ne sais pas si je dois l'avertir de mon départ ou non.

   Nous sommes seuls, les autres dorment à coté. Il lève les yeux vers moi et je ressens la profonde tristesse qui se lit dans regard. Il a l'air tellement torturé et faible que je suis tentée un moment de renoncer et de rester.

   Au lieu de quoi nous nous avançons naturellement l'un vers l'autre. Il passe ses bras dans mon dos et je fais de même. Ce n'est pas de l'amour qui nous unit. Ni de l'amitié. C'est quelque chose de plus fort. Nous avons toujours été là l'un pour l'autre. Comme si nous avions passé notre vie ensemble. Ce qui peut sembler être le cas. Nous nous connaissons depuis notre perte de mémoire. Et cette perte de mémoire a marqué le départ de cette vie.

   Mais ce sera bientôt terminé. Je vais trouver une autre situation. Un endroit confortable pour vivre. C'est la fin du début. Ma vie commence maintenant.

   Lui comme moi ne disons rien. C'est notre façon de nous comprendre. Il n'y a rien à dire. Seulement pleurer dans les bras de l'autre. Nous avons tous les deux les yeux humides, mais aucun sanglot ne s'échappe de notre gorge.

   Partison enfouie son visage dans mes cheveux et respire mon odeur à plein nez. Il est vrai que sentir quelqu'un a quelque chose de plus apaisant que n'importe quoi d'autre. Mais c'est trop tard. Je m'en vais.

EvaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant