Chapitre 12

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Aucune des salles de ce bâtiment ne se ressemblaient. Elles étaient carrées, rondes, ovales, rectangulaires, hexagonales, blanches, noires, colorées, grandes, petites ou minuscules. Cette salle, pensait Quincy, était peut-être celle qu'elle aimait le mieux. Simple. Du bois partout; aux murs et au sol, au plafond, aux chaises. La table aussi, était en chêne noir. Ou en un autre arbre sombre, peut-être. Très grande et fine, elle contenait une gigantesque tablette tactile sur laquelle deux ou trois personnes pianotaient au fil de la réunion. L'ordinateur ne perdaient pas une miette de ce qui était dit. Ou bien transformait-il les paroles? Quincy n'avait pas eu l'occasion de vérifier ce qu'elles écrivaient et s'en fichait éperdument. Elle pensait à Luc, à la femme qui l'accompagnait, à ses oranges, perdus. Ou bien avaient-ils été ramenés eux-aussi? Comment distinguer le vrai du faux dans cette affaire? Étaient-ils tous des figurants, ou Partison et elle étaient seuls face à l'adversité et aux caméras?

Les coudes posés sur la table, le dos courbé, la tête baissée, sa jambe droite tressaillait. Elle avait ce tic d'être tendue lorsqu'elle était perdue dans ses pensées. La discussion qui se déroulait de l'autre coté de la table lui paraissait lointaine, aussi lointaine que si elle était en train de rêver. Il y avait Partison, bien sur, juste à sa droite, sur une même chaise en bois blanc. La femme aux grands yeux était présente aussi, un peu plus loin. La fascination de Quincy pour sa sympathie était retombée sitôt qu'elle l'avait perdue de vue la première fois, lorsqu'elle s'était réveillée avec le Dr. Marten à ses cotés. Il y avait aussi l'homme en costume qui l'avait menée ici, un autre qui lui ressemblait beaucoup, et encore un autre homme à la tenue plus décontractée qui ne participait pas vraiment, il se contentait d'approuver tous les faits et gestes du l'homme au costume et de son associé. Les autres personnes n'étaient visiblement que des secrétaires.

Pourquoi ils étaient là, elle l'avait vaguement perdu de vue. Une réunion de carrière, lui avait soufflé Partison. Peut-être. Ce dernier semblait s'être totalement accommodé du fait que l'Agence avait une complète possession de lui. C'était révoltant, mais Quincy s'en fichait; pour l'instant. Elle lui parlerait à la fin de la réunion. Il le faudrait bien. Mais elle avait besoin de lui confier sa rencontre avec Luc. Ça lui semblait important. Ça l'était.

On la tira de ses pensées. Partison lui administra une petite tape sur l'épaule.

- Quincy, nous avons donc convenu d'une séance de photos deux jours après le pot, ça te va, ma chérie? demanda gentiment la femme aux grands yeux.  

Est-ce que ça lui allait? Comment dire? Hum... non. Aucune séance photo pour elle, elle avait été suffisamment médiatisée pour sa vie. Elle se rappela du pot. Ils en avaient parlé plus tôt dans la réunion. C'était une autre histoire. Il y aurait des journalistes. Beaucoup. Partison et elle seraient interviewés et ils rencontreraient tout le petit monde qui avait contribué à leur torture de plus d'un an dans le monde d'Anouk.

Une deuxième tape de Partison fit répondre Quincy.

- Oui. Oui, bien sur. On n'a rien de prévu, de toute façon, ajouta-t-elle ironiquement.

La femme ne sembla pas capter le ton de ses paroles.

- Paaarfait! Et bien, les enfants, je crois qu'on y est! Je vous laisse ici, allez vous reposer, on se retrouve au dîner.

Des raclements de chaise rompirent le non-bruit environnant. Partison se leva et se dirigea vers la porte sans l'attendre. Elle pressa le pas durant tout le chemin jusqu'à leurs chambres qui se faisaient face dans le petit couloir où, plus tôt, elle avait pleuré silencieusement. Quincy ne pleurait pas souvent. La cruauté de Partison avait suffi à faire couler ces précieuses larmes.

Le garçon allait entrer chez lui - ou ce qui devait être son chez-lui - quand Quincy lui retint le bras.

- Partison, attends!

Il se retourna vers elle, le visage dur.
- Qu'est ce que tu veux? grogna-t-il.
Quincy se mordit les lèvres et croisa les bras.

- Je... je voulais te parler d'un truc. Je voudrais connaître ton avis.

- Ah bon? Et depuis quand tu te préoccupe de ce que je pense? Tu ne t'es pas gênée pour prendre la décision de disparaître sans laisser de trace.

Les épaules de la jeune fille s'affaissèrent. Elle secoua légèrement la tête et regarda son ami tristement. Elle ne se rappelait même plus ce qu'elle avait pensé au moment de partir. Tout ça était loin, maintenant. A vrai dire, elle n'avait pas repensé à ce choix qu'elle avait fait seule. Ce n'était pas sa première préoccupation.

- Écoute, Pat', je suis désolée, je ne voulais pas... Je ne pensais pas... il faut voir le bon coté des choses, non? Nous dormons dans de vrais lits à présent.

- Non, Quincy,  refusa Partison. Tu ne peux pas te permettre d'être optimiste. Pas alors que tu n'as même pas vu les horreurs de dehors.

- Parce que toi, tu en sais quelque chose, alors? Je croyais que tu ne comprenais pas ce qui arrivait?

- Quincy... il faut que tu comprenne.

Il soupira et ouvrit la porte de sa chambre. Sur son lit à baldaquin se trouvait une tablette. Il s'en empara et ouvrit un dossier qu'il projeta sur le grand écran du mur. C'était un reportage. Une femme avec un micro, accompagnée d'une homme qui, bizarrement, rappelait à Quincy quelqu'un qu'elle avait connu. Quelqu'un qui était mort.

- C'est... Ce n'est pas...

- Franck. Celui qui nous a aidé. Celui qui nous a trahi. Cet homme était un acteur.

Elle était horrifiée. Ce n'était pas possible. Elle avait vu son sang. Elle avait entendu ses cris d'agonie. Elle avait été témoin de sa mort.

- Ce n'était qu'un jeu, expliqua Partison. Ce n'était qu'une fiction destinée à distraire le public. Une farce. C'était clairement du bluff. Tout ce qu'on sait, tout ce que tu savais, ça ne compte plus. Nous sommes dans la vraie vie, maintenant.

Impossible. Quincy savait qu'ils avaient été manipulés. Elle savait qu'ils avaient fait partie de la plus grosse arnaque de tous les temps. Mais elle l'avait vu mourir. Et cet homme répondait joyeusement aux questions de la journaliste derrière l'écran, sans aucun doute, sans aucune expression qui pourrait trahir ce qu'il avait fait, ce qu'il avait causé. Les yeux écarquillés, elle demeurait sans bouger, debout à écouter les paroles de Partison.

- Ces gens sont mauvais, et je pense que tu le sais, continua-t-il. Mais je porte la responsabilité de mes actes, et ce n'est qu'en coopérant qu'on arriverait à rester debout. Alors arrête de faire ton héroïne et deviens une adulte.

Il portait la responsabilité de ses actes? Quels actes?

- Je ne fais pas mon...

- Tu voulais me dire quoi, en fait?

Quincy quitta l'écran de télévision pour poser son regard sur les prunelles sombres de son ami. Luc. Elle voulait lui parler de Luc et de ce qu'il avait laissé entendre. Son ami. Il avait dit qu'il était son allié. Il l'avait appelé Eva. Elle s'en rappelait désormais. Elle ne savait pas ce que ça signifiait mais elle était sûre d'une chose: il allait l'aider. La sortir de cette impasse. Partison en serait intéressé.

- Je... j'ai voulu fuguer, tout-à-l 'heure, et...

Il écoutait, sans doute curieux, un sourcil haussé. Quincy hésitait à lui livrer ses interrogations. Et s'il allait tout répéter à l'Agence? Et si, finalement, il ne prenait pas son parti? Luc l'intriguait. Il avait l'air de faire partie de toute cette histoire, sans pour autant prendre de parti. Sa chance, elle l'avait. Elle allait chercher à recontacter cet homme.

- Non, rien, en fait. Bonne nuit, Pat'.

Elle sortit.



EvaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant