Chapitre 10

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Elle était prête. Vêtue d'une tenue simple et de baskets, elle attendait debout devant la porte de sa chambre. Quoi? Elle ne savait pas. Évoluant dans un monde inconnu, elle ne pouvait prévoir ce qui allait se mettre en travers de son chemin. Elle ne pouvait prévoir qui l'aiderait. Gagnerait-elle un jour une vie paisible, sans risques? Elle ne le savait pas. Mais l'Agence ne pouvait lui apporter que du mal, elle le savait. Et la seule solution consistait à fuir.

Il fallait qu'elle parte. Point n'était question de justice ou de droit. Elle maintenait le pouvoir sur sa personne. C'était sa seule liberté.

La porte s'ouvrit. Un pas. Puis un autre. Elle marcha jusqu'à l'escalier principal. Elle ne doutait pas que de nombreuses personnes essaieraient de la ramener. Mais elle ne devait pas flancher. Continuer jusqu'au bout, jusqu'à la paix.

Elle connaissait vaguement le chemin, l'ayant déjà parcouru en compagnie de l'homme en costume. Cependant, elle était presque arrivée au bout de l'escalier qui menait au grand hall quand elle entendit des cris dans la langue d'ici, suivis de bordées d'injures qu'elle connaissait bien. Dans sa langue?

Elle ne connaissait ni la voix féminine, posée et autoritaire, ni la voix injurieuse masculine. Cependant, elle décernait de la rébellion chez cette dernière. Devait-elle se montrer? Elle ne pourrait pas passer. Il fallait qu'elle le tente. Elle fit un pas de plus, puis un autre. Elle était désormais visible. Et elle pouvait à présent voir distinctement un jeune homme et une jeune femme se faisant face - la femme de dos et l'homme tourné vers Quincy. Il était en train de se masser les tempes d'un air fatigué quand il leva les yeux.

Des yeux bleus, pensa-t-elle. Les mêmes yeux que Mr Marten. Dès qu'il l'aperçut, son visage se détendit et un sourire allongea son visage. Ravie de vous connaître aussi, pensa Quincy. Un premier fan?

- Quincy, ronronna le jeune homme en tentant de passer à coté de la femme, qui le retint fermement devant elle. Quelle agréable surprise! Laura et moi étions justement en train de parler de toi.

La dernière nommée se retourna avec une négation de la tête, comme si elle avait affaire à un adolescent particulièrement bête. Elle croisa les bras et ne bougea pas. Quincy reconnut celle qui parlait à l'homme en costume dans la grande pièce de la veille.

- Descends, Quincy, ordonna-t-elle.

Celle-ci fronça les sourcils mais s'exécuter. Laura s'écarta sur son passage et lança un regard à l'homme, comme une sorte d'avertissement.

- Vous avez une heure.

Puis elle se glissa derrière le comptoir de la réception et s'engouffra dans la pièce de derrière, laissant à Quincy tout le loisir de contempler son prédécesseur.

Celui ci, une main sous le menton, avait l'air perdu dans sa contemplation du vide. La jeune fille se sentait transpercée par le regard bleu de son interlocuteur. Pourquoi était-il ici? Pourquoi sa peau mate et ses cheveux hirsutes et décolorés la faisait penser à quelque chose? C'était comme quelqu'un de familier. Quelqu'un qu'elle croisait tous les jours.

Troublée, elle recula d'un pas. C'était pourtant impossible. Cet homme n'était décidément pas capable d'avoir mis seulement un pied à Anouk. Jamais. Quincy posa son regard sur les yeux perdus, comme aveugles, de l'inconnu. Finalement, celui-ci releva la tête et tendit la main si brusquement que Quincy eut un mouvement de recul.

- Luc, dit-il simplement. Je m'appelle Luc.

D'un geste méfiant, elle confia sa main à la poigne chaleureuse de Luc. De la chaleur. C'était bien ce qui émanait en cet instant du jeune homme. Il devait avoir vingt ans, tout au plus. Grand. De la carrure. Son sourire devait être magnifique. Et cet air étrange de déjà-vu.

En retirant sa main, elle esquissa un faible sourire peu convaincu assorti d'un minuscule hochement de tête presque imperceptible.

- Moi c'est Quin...

- Je sais qui tu es. Allons nous assoir, veux-tu?

Sans attendre de réponse, il partit se poser sur un sofa près du bar. Quincy fit de même, s'installant en face de lui, se maudissant intérieurement de ne pas avoir déguerpi tant qu'il en était encore temps. La sortie était là, à quelques pas. Si près... si accessible...

- Crois-moi, ce ne serait pas une bonne idée, de t'enfuir, la prévint Luc comme s'il avait lu dans ses pensées. Tu ne souhaite pas de ces gens là qu'ils te traitent en fugitive.

- Pourtant vous avez l'air de ne pas trop vous entendre avec le personnel.

Il sourit d'un énigmatique tandis qu'un serveur en uniforme blanc demanda ce qu'ils voulaient boire. Il s'empressa de disparaître derrière le comptoir pour aller chercher les boissons puis vint les apporter sur un plateau d'argent. Quincy saisit un des deux verres et le porta à son nez pour en humer l'odeur.

- Qu'est-ce que c'est?

- Bois. C'est exquis. C'est le seul truc exquis qu'on trouve ici.

- Vous n'êtes pas de la capitale?

Elle but trois petites gorgées prudemment. Puis trois autres. Il avait raison. C'était une saveur qui ne s'oubliait pas.

- Tu peux me tutoyer, tu sais. J'ai à peine quatre ans de plus que toi.

- D'accord, répondit Quincy en haussant les épaules.

- Je viens d'un pays lointain, commença Luc. Mon père était d'ici. Il m'a ramené avec lui lorsqu'il est rentré.

Quincy continua de fixer ses yeux bleus. Elle avait l'impression qu'il essayait de lui communiquer quelque chose, qu'elle devrait comprendre. Pourquoi lui confierait-il son origine sinon?

- Vous... tu voulais me parler, alors?
- Je voulais juste te voir en vrai. Je voulais voir ta réaction.

- Ma réaction face à quoi?

Il baissa le regard et sortit son téléphone comme s'il n'avait rien à faire de cette conversation. Quincy fronça les sourcils.

- Tout. Que tu ne possède rien, lâcha-t-il sans lever les yeux.

- Je suis riche, elle répliqua.

- Non.

- Si. Le docteur m'a dit que je pouvais réclamer de l'argent. J'ai été utilisée. On a usé de ma vie à mon insu. On me doit quelque chose.

- Ah. Ce cher docteur Marten... Tu connais le truc du bon et du mauvais flic?

- Il n'y a personne de mauvais ici. Personne ne m'a fait de mal, protesta Quincy tout en prenant conscience de l'idiotie de ce qu'elle venait de dire.

Bien sur qu'on lui avait fait du mal. Les gens ici lui avaient fait vivre toutes ces horreurs, l'avaient utilisée à son insu, l'avait observée alors qu'elle était en danger mortel. Luc posa son verre et sourit de toutes ses dents. Un sourire magnifique. Charmeur. Il devait tout avoir à ses pieds.

- Tu pense vraiment ce que tu viens de dire?

Quincy s'interrogea, embêtée. Elle était prête à fuguer. Elle se sentait attaquée, oppressée. Mais avec cet homme, elle perdait ses habitudes de survie. Elle perdait sa réactivité, et elle s'en rendait compte. Luc la manipulait, il la désorientait. Mais pourquoi? Comment quelqu'un qu'elle ne connaissait même pas, qu'elle n'avait jamais vu, pouvait l'intriguer de cette manière? Elle se leva.

- Foutu esprit de contradiction, hein? railla Luc.

- Seulement avec les gens que je n'aime pas.

- Tu ne m'aimes pas, Eva? Je suis pourtant ton plus précieux allié! Où compte-tu aller comme ça?

Quincy ne répondit pas, ne se demanda même pas pourquoi il l'avait appelé Eva. Elle remonta les escaliers en direction des chambres. Il fallait qu'elle parle avec Partison.


EvaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant