Chapitre 11 - Les voleurs

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La nuit était là, plus sombre que jamais. Les rues de L'Aigle étaient désertes. Enfin presque : trois silhouettes marchaient silencieusement. Elles se tapirent dans l'ombre d'une maison pour observer l'écurie d'une auberge. La plus grande des trois chuchota :

— On est arrivés ! Pouvez-vous crocheter cette serrure ?

— Bien sûr, répondit Evanna en se remémorant ce qu'elle avait appris en vivant dans la rue.

Ses talents de crocheteuse les avaient empêchés Keros et elle de mourir de froid plus d'une fois durant les hivers rigoureux. Mais il n'avait pas été question alors de voler des chevaux sous le nez de garçons d'écurie endormis.

Le vieil empereur hocha la tête pour l'encourager, et la jeune fille fouilla dans ses nombreuses poches pour en tirer une petite tige métallique qu'elle enfonça dans le cadenas qui condamnait la porte de l'écurie : si l'accès par la cour intérieure de l'auberge restait ouvert même la nuit pour permettre les allées et venues des palefreniers, les portes extérieures donnant sur la rue étaient condamnées à la tombée du jour pour plus de sécurité. Pour éviter les voleurs.

Clic-clac ! Le déclic du verrou leur parut particulièrement fort, et les trois complices se figèrent pour écouter les bruits de la nuit, mais ils ne remarquèrent que les craquements du bois et le renâclement de quelques chevaux. Evanna poussa doucement le grand battant de bois, et les trois amis entrèrent sur la pointe des pieds.

L'écurie était plongée dans une douce pénombre grâce à une veilleuse suspendue à une poutre en son centre. On pouvait deviner, couchés dans la paille, deux garçons endormis. Un cheval avança sa tête par-dessus les parois de son box : il avait une belle robe gris clair et un museau blanc. Evanna le trouva immédiatement mignon et s'approcha de lui pour lui caresser doucement les naseaux. Les yeux de l'animal dégageaient une vive lueur d'intelligence.

Un deuxième cheval passa sa tête dans l'allée. Il était marron et avait de grands yeux verts à la lueur vacillante de la flamme. Keros murmura sur un ton suppliant :

— Je peux le prendre, s'il vous plaît ?

— Bien sûr, dit l'empereur d'une voix presque inaudible. Evanna, lequel veux-tu ?

— La jument grise, s'il vous plaît ! souffla-t-elle en réponse en désignant la monture qui l'avait déjà choisie.

Le vieil homme s'approcha des animaux voulus par les enfants. Trois des cinq chevaux qui occupaient le bâtiment étaient venus à leur rencontre. Ils n'étaient pas en mesure de faire les difficiles. L'empereur opta donc pour le troisième : il était noir avec un museau gris.

Il se pencha sur le harnais de la jument d'Evanna.

— Tiens ! Celle-ci s'appelle... Lumière.

Il voulut soulever la selle et les étriers, mais le cliquetis métallique l'en dissuada : il faudrait monter à cru ou renoncer aux chevaux.

— Allons-nous-en, trancha-t-il en ouvrant un premier box avec prudence pour ne pas faire grincer les gonds. On va finir par se faire repérer !

Les deux enfants acquiescèrent d'un signe de tête et montèrent aussi discrètement qu'ils le purent sur les montures au poil glissant, s'accrochant à leurs crinières pour se stabiliser.

Les trois amis et leurs chevaux sortirent de l'écurie au pas, Tristan prenant naturellement la tête de leur groupe. Sans parler, aux aguets, ils progressèrent sur les pavés des rues de L'Aigle, le bruit des sabots étouffé par les débris de paille et la boue séchée qui recouvraient presque le sol. On n'entendait que par moment le claquement sec d'un sabot sur la pierre, et tous trois se tendaient alors avec nervosité, prêts à se lancer au galop au moindre signe de poursuite.

Quand ils se furent assez éloignés des oreilles indiscrètes, en se retournant vers les enfants dont les montures le suivaient docilement, l'empereur leur demanda :

— Vous savez monter ?

— Non, admirent en chœur les enfants, mais on va y arriver.

— On n'a pas le choix, en effet. Essayons d'accélérer un peu.

L'empereur frappa doucement les flancs de son cheval de ses talons en l'encourageant d'un claquement de langue, et la bête se mit au trot. Immédiatement, les deux montures des enfants accélérèrent pour suivre leur meneur, et leurs cavaliers étouffèrent un cri de frayeur en s'accrochant plus fermement à la crinière.

— Est-ce que ça va aller ? s'inquiéta l'empereur.

Les deux enfants n'avaient pas fière allure, mais ils confirmèrent courageusement qu'ils allaient y arriver.

Les bâtiments de la ville s'espaçaient maintenant, et la campagne s'ouvrit devant eux.

Soudain, une voix leur parvint, catastrophée :

— À l'aide ! Au voleur ! Au voleur ! On a volé nos chevaux ! À l'aide !

Les palefreniers ! pensa Evanna. Ils avaient dû remarquer la disparition des chevaux ! Dans un accord silencieux avec Keros et Tristan, ils se lancèrent au galop.

Le Démon aux yeux rouges - Tome 1 - Le Royaume des GlacesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant