Chapitre 2

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Les murs de la pièce sont entièrement blancs. D'un blanc pur qui devient presque douloureux quand on le regarde de trop prêt. Un cadre d'un artiste oublié est accroché au mur. Le tableau représente une praire morte brûlée, le cadavre d'un arbre est représenté au premier plan. Une grande partie de sa beauté est partie en cendre, mais même gisant sur le sol, il conserve une partie de sa majesté. Un tas de feuilles morte l'entoure comme pour le protéger contre les éléments. Derrière la carcasse se trouve une étendue infinie, un paysage qui fut autrefois magnifique et verdoyant mais qui est retourné à ce qu'il était avant ; un tas de poussière. Du vent mélange ce qui autrefois était un animal, une plante, un insecte, mais qui aujourd'hui ne sont plus que cendre. Le ton noir qui domine semble faire tâche dans cette pièce au mur si blanc.

Sur le mur à droite du tableau se trouve une fenêtre qui laisse filtrer les rayons du soleil. C'est la seule source de lumière pour le moment, la lampe au plafond est éteinte. Ce ne sont pas des rayons chaud et dorés qui transpercent la fenêtre mais de la lumière pure et agressive. De la lumière nue, outrageante. Elle pénètre la pièce sans aucune élégance et s'étale sur le sol sans aucune gêne. Elle emplit la pièce de toute sa présence. Comme une intruse lors d'un dîner, elle semble se fondre tant bien que mal dans la masse, sans jamais être vraiment acceptée, mais elle reste là, silencieuse, et observatrice. Sa présence est vite oubliée, elle fait partie du décor sans jamais avoir été incluse. Elle essaie tant bien que mal d'illuminer le seul meuble de la pièce : un lit.

Ce lit est très sobre, simple, neutre, sans vie ni personnalité. C'est un lit une place. Étroit. Blanc, tout comme le reste de la pièce. Il trône sinistrement au milieu de la pièce face au tableau si funèbre. Tout comme sur le tableau un cadavre repose sur le lit, il est recouvert d'un duvet blanc parsemé de feuilles vertes.

Ce cadavre est ce qui fut autrefois un corps humain plein de vie et de santé. Mais cette vitalité passée a disparue en laissant peu de trace, elle se perçoit parfois dans la respiration du corps. Ce soulèvement infatigable de la poitrine, qui continue sans fin, sans se laisser abattre. Cette respiration qui semble défier le monde, défiant la mort à chaque instant de l'arrêter. C'est un défi, mais aussi une supplication de mettre fin à cette souffrance, ce mal qui n'en finit plus. Qui creuse toujours plus profondément ses racines et qui croît toujours plus fort, plus grand, plus vigoureux. Et à chaque instant, les vers des racines de cette arbre de la mort se régalent et pullulent, mangeant l'être de l'intérieur jusqu'à ce qu'il en reste qu'une carcasse. Une carcasse vide qui n'a d'humain plus que le souvenir.

Ce corps vide de toute vie était autrefois une jeune fille. Une jeune fille qui croquait la vie à pleine dents, mais comme beaucoup, elle croqua dans le mauvais fruit. Le poison se répandit lentement dans ses veines. D'abord invisible, il pénétra et posséda tout son être. Puis une fois en parfaite possession de ce corps encore plein de vie, il se révéla. Il fut d'abord ignoré, jugé comme une simple faiblesse ou une simple maladie, un choc dû aux événements, mais jamais perçue comme un mal intrinsèque. Quand le mal fut révélé et que contrairement aux prédictions ne s'estompe pas de lui-même mais continua de grandir au point de mettre son hôte en danger, au point de la rendre folle. Mais cette folie si destructrice pour ce corps, un simple hôte, est en fait l'essence même qui nourrit le mal. L'essence qui donne au mal sa puissance et sa force.

À part cette poitrine qui se soulève, aucun signe ne fait croire à un corps vivant. Tout dans cette enveloppe fait penser à une mourante, à une morte. Ce qui saute aux yeux en premier lieu est la maigreur alarmante de la chair, ce n'est plus qu'un squelette recouvert d'une fine couche de peau. Toute graisse a depuis longtemps été absorbé par l'organisme dans un élan de désespoir pour survivre. Les muscles ont fondu essayant de ne pas se noyer. Au-delà de la forme de cette masse ce qui frappe est la couleur. Un mélange de couleur plus précisément, un mélange pas fini comme si le peintre avait dû partir précipitamment en laissant tout en plan, y compris son mélange. Un mélange de cendre, de vert olivâtre, de gris, de mort et de maladie. Une couleur qui rend mal à l'aise, qui provoque le dégoût et la gêne.

De cet aspect général déjà rebutant, un deuxième coup d'œil courageux permet de voir dans de plus ample détail l'étendue du désastre. La peau des mains desséchée tel de la terre après une bataille. La peau recouvre péniblement les os comme une tente qui essaie de cacher ses occupants. Des collines, c'est le paysage que possède le torse avec deux petits boutons rose qui pointes comme pour se rapprocher du ciel. Ces deux boutons qui autrefois couronnaient des seins rebondis et fermes. Le cou, jadis délicat et gracieux, n'est aujourd'hui plus qu'un amas de tendons qui s'entrecroisent telles les cordes d'un bateau dans une tempête.

Et après toute cette horreur, il ne reste que le visage. Un visage que la mort aurait mis sans trop y penser. Alors que sa victime respire encore. Ce visage n'est qu'une pâle copie de ce qu'il était jadis. Le front semble démesuré par rapport au reste, impression accentuée par le peu de cheveux qui restent sur le crâne de la dépouille. Les globes oculaires ne sont que deux trous profondément incrustés dans la face. Des joues autrefois rebondies, douces et roses il ne reste qu'un os saillant et de la peau tendue jusqu'à la mâchoire tel une voile à un mât. Le nez, lui, paraît avoir été épargné par les dégâts du temps. Les lèvres qui furent un temps pulpeuses ne sont plus qu'une fente d'où s'échappe un souffle infatigable qui continue de défier la mort.

À part ce souffle qui continue inlassablement de vivre, la pièce est parfaitement silencieuse. Comme si le temps lui- même c'était arrêté pour voir à quel moment la mort frappera. Tout semble figé. De la plus petite particule de poussière à la rotation de la Terre. Tout regard cette scène avec un silencieuse religieux, respectueux.

Mais à mieux écouter un son répétitif persiste, un bip répétitif. Il paraît lié aux nombreux tuyaux qui entoure la dépouille. C'est un son lent, presque hypnotisant. Le moniteur qui le produit est pourvu d'un écran et un trait vert monte et descend au rythme de ce son.

Soudain une infirmière entre, elle rompt l'instant sacré et tout recommence. Les particules de poussières tombent à nouveau, la Terre a repris sa rotation. L'infirmière tourne autour de sa patiente. Vérifie les tuyaux, le contenu des divers poches reliées à ceux- ci. Elle ausculte sa patiente méthodiquement, avec des gestes qui ont déjà été exécutés mille fois. Après quelques instants de réflexion elle note quelque chose sur la feuille accrochée au pied du lit. Elle écrit d'une écriture élégante et féminine, avec de belles lettres liées et harmonieuses. Elle lâche un soupire en regardant le corps sur le lit et sans un mot quitte la pièce. Sur la feuille on peut lire : Échelle de Glasgow : 8 (coma lourd)

Evadée - Tome 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant