Chapitre 1 : Saskia

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 — Aller, encore, encore, encore, ne t'arrête pas, ma jolie, ordonnais-je à la jeune adolescente qui exécutait, à la perfection, une pirouette pour terminer en troisième position.

Essoufflée, elle affichait un grand sourire, à sa réussite.

— Je te félicite, Candy, tu le tiens enfin, applaudissais-je en me tournant vers la quinzaine de jeunes filles dans la petite salle. Voyez-vous, il suffit de trouver son point central, pour trouver son équilibre et ne jamais en dévier. Ça marque votre repère, les encourageais-je avec enthousiasme. Bien, le cours est fini pour aujourd'hui mais ne relâchez pas vos efforts.

Le bruit des claquements de mains retentit alors que les élèves quittaient la salle pour rejoindre les vestiaires. J'observais cette trentaine de filles et de garçons, âgés entre douze et seize ans, se traînaient hors de la pièce avec une certaine fierté. Ce groupe était des débutants mais ils s'en sortaient très bien. J'avais beaucoup d'espoir pour certains d'eux. Ceux-ci avaient du potentiel qui pourrait leur offrir un avenir.

Depuis peu, nous étions reconnus par l'État. Cela nous conférait des subventions et un élargissement de notre public. Nous voulions faire de cette école bien plus que ce qu'elle était. Pourquoi ne pas créer une extension afin d'y fonder des salles de classe classiques. Nos enfants moins chanceux, pourraient s'instruire en plus de danser.

Malheureusement, tous nos élèves n'auraient pas la chance de faire carrière dans la danse. Ils devaient avoir plus de possibilités. La plupart n'avaient jamais mis les pieds dans une école. Ils ne savaient ni lire, ni écrire. Cela serait une magnifique opportunité pour eux.

Ce projet était encore en discussion mais cela en prenait le chemin.

Seule, dans la pièce, j'allumais la petite chaîne hi-fi sur une musique entraînante, me positionnait au milieu de la salle vide, et fermaient les yeux avant de laisser mon corps s'exprimer de la plus simple des manières.

La danse avait toujours été un exutoire idéal. Une sorte de relâchement exaltant, me donnant l'impression que chaque problème, aussi insignifiant soit-il, n'était plus qu'un petit point lointain dans mon horizon. À chaque grand saut, j'avais l'impression de voler, à chaque grand écart, j'avais l'impression de m'ancrer à la terre. La danse et moi, faisions qu'un. Elle m'avait toujours aidé à me sentir vivante.

Je n'avais eu que cela pour ne pas finir comme les jeunes femmes de mon âge.

En effet, je vivais dans un quartier de Las Vegas qui ne voyait pas tellement d'échappatoire à un meilleur destin que l'illégalité ou la prostitution.

Beaucoup d'entre nous étaient des enfants élevés par des enfants, qui avaient commencé à se prostituer très jeunes. Nous étions, donc, des rebus de la société. Une société qui préférait fermer les yeux sur nos conditions de vie plutôt que nous mettre en lumière et agir dans nos intérêts. Nous étions alors devenus, ce qu'ils appelaient « des enfants des rues».

J'ai toujours été de ces personnes, qui ne voyaient pas les choses comme étant prédéfinies. Tout n'était pas toujours blanc ou noir. J'avais appris à voir les nuances et vivre avec cela. J'étais, relativement, une femme positive. Je n'étais pas du genre à me laisser abattre.

C'est ainsi qu'un étouffant jour d'été, une chanson de la chanteuse Rihanna était passé sur les ondes du poste radio de Kurt, un des nombreux vieillards à petite retraite, qui traîner toujours sur le terrain, devant sa caravane. Cela avait allumé une étincelle bouillante en moi. Je m'étais arrêté dans mon errance quotidienne, et mon corps s'était mus incontrôlable. J'avais simplement laissé chaque mouvement parler pour moi, sur l'air sombre, et envoûtant, de cette voix haletante de terreur.

The price of freedom ( En réécriture (9/39))Où les histoires vivent. Découvrez maintenant