T R O I S

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La sonnerie retentit violemment dans le lycée et me sort de ma torpeur. Je ramasse en vitesse mes affaires éparpillés sur la table et me précipite hors de la salle de classe. Je rattrape en trottinant mon cher voisin à travers la marée d'élèves, qui a déjà avancé dans le couloir. Il sursaute quand je pose ma main sur son épaule.

- Hey, on peut rentrer ensemble !

Il hausse les épaules.

- Je suppose que je n'ai pas le choix.

- Tu apprends vite, fis-je en souriant.

Il ne répond rien et continue d'avancer. On sort du lycée et je me creuse la tête pour trouver un sujet de conversation.

- Tu as emménagé il y a longtemps ?

- Ça ne te regarde toujours pas.

- J'habite au-dessus de chez toi, je n'ai vu personne monter et descendre des meubles récemment alors je me pose des questions, c'est tout.

Il hausse les épaules, sans rien répondre. Il est plus grand que moi, alors il avance vite, je dois presque courir pour suivre son rythme de marche.

- Tu pourrais ralentir un peu, s'il te plaît ?

- Non.

Je crois apercevoir un petit sourire en coin, mais lorsque je me penche pour mieux le regarder, il tourne la tête et accélère. Je poursuis mon quasi-monologue.

- Tu habitais où, avant ?

Il me jette un regard bref et soupire.

- Tu n'abandonnes jamais, n'est-ce pas ?

- Non, jamais.

Je lui adresse un sourire fier qu'il ne voit sans doute pas.

- Tu es conscient que je ne vais pas te le dire ?

- Oui, mais je cherche un sujet de discution et puis... qui ne tente rien n'a rien.

Il soupire et secoue la tête.

- Est-ce qu'il y a une question à laquelle tu peux répondre au moins ?

- Sans doute.

Je soupire à mon tour.

- Et laquelle ?

- Est-ce que tu vas la fermer un jour ? La réponse est : non, je ne pense pas.

Je baisse la tête, un peu vexé.

- Pourquoi tu es méchant avec moi ?

Je sens son regard peser sur moi et il ralentit pour se caler sur mon rythme de marche.

- Pourquoi tu es gentil avec moi ? Répond-t-il.

- Parce que je suis comme ça.

- Moi aussi.

- Je ne te crois pas. Tu ne peux pas être si méchant tout le temps.

- Et pourtant.

Je fronce les sourcils et relève un peu la tête.

- Il y a deux minutes, tu as été sympa et tu as ralenti.

- J'avais mal aux jambes, dit-il en tournant la tête pour éviter mon regard insistant.

- Ouais, c'est ça.

Je lui souris et il souffle doucement, comme résigné. À la vue de notre immeuble, je sors mes clés de mon sac et je vois les coins de sa bouche se remonter dans un rictus moqueur.

- Ah, tu ne les as pas oubliés, cette fois.

Je lui tire la langue et ouvre la lourde porte.

- C'était la deuxième fois que ça m'arrivais, tu es juste arrivé au mauvais moment.

- Au bon moment, tu veux dire, sinon tu serais resté dehors.

Je ris de bon cœur et commence à monter les escaliers, précédé de Loïc. Il s'arrête au deuxième étage et tourne la clé dans la serrure.

- Dis, on part ensemble demain ? Je le questionne.

- Pour faire quoi ?

- Comme ça on arrivera ensemble au lycée. J'aime bien marcher avec quelqu'un.

- Je ne suis pas sûr d'avoir le choix.

- À demain alors !

Alors que je tournais le dos pour monter jusqu'à mon appartement, sa voix me retient.

- Mon père habite ici depuis deux ans. Je suis venu vivre avec lui.

Je me retourne une nouvelle fois et le considère d'un œil surpris avant de lui sourire de toutes mes dents.

- D'accord, je comprends mieux.

Il hoche la tête et entre chez lui.

- Salut.

- Au revoir, Loïc.

La porte se referme et me laisse seul dans la cage d'escaliers. Dire que je ne m'y attendais pas serait un euphémisme. Je monte mécaniquement les marches restantes tout en repensant à ses paroles. Ses parents sont sans doute séparés, cela explique pourquoi je n'ai vu aucun camion de déménagement ni aucun remue-ménage ces dernières semaines.

Mais plusieurs questions restent : pourquoi vient-il vivre chez son père maintenant ? A-t-il eu des problèmes avec sa mère, ou pire, peut-être qu'il lui est arrivé quelque chose ?

Je frissonne à cette idée lugubre.

Mes questions tournent dans ma tête, engloutissant tout le reste. Je finis par prendre une douche pour calmer mes pensées, mais cela ne m'aide pas beaucoup, alors pour me distraire je fais un tour sur les réseaux sociaux et finis sur YouTube.

Et, au bout de quelques minutes, les soucis des autres me font oublier mes préoccupations. Tout cela me semble d'un coup si loin. Mais je sais que je vais devoir les affronter demain, et encore tous les jours d'après. Bizarrement, l'idée qu'elles soient liées à mon voisin me fait quelque chose, bien que je sois incapable de déterminer quoi.

Le Carnet Rouge [BxB]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant