S E P T

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Je me tortille sur ma chaise. Elle est très inconfortable, je regrette de ne pas être venu au CDI avec Marie. La permanence est bondée. Malgré tout, je suis de bonne humeur. Loïc, assis en face de moi, me dévisage depuis quelques secondes et me dit :

- T'as des cernes.

Je relève la tête, interloqué. Il ne parle quand même pas souvent.

- Oh, c'est parce que je me suis couché tard hier soir. Ma mère était là alors j'en ai profité.

- Elle ne vit pas avec toi ?

- Si, mais elle est journaliste pour un grand magazine. Elle n'est pas souvent à la maison.

Il hoche la tête, comme s'il comprenait.

- Et toi ?

Il fronce les sourcils et vide le contenu de son sac sur la table.

- Je vis avec mon père.

- Oui, tu me l'avais déjà dit. Mais ta mère ?

Je sens qu'il se crispe et continue de ranger ses affaires.

- Tu aurais pas ton livre de maths, des fois ?

Je soupire. Classique. Il change de sujet lorsqu'il ne veut pas parler de quelque chose. Détourner l'attention. Je n'insiste pas. Je sais que de toute façon, s'il n'a pas envie de le dire, je ne pourrais pas le faire changer d'avis.

- Si, je l'ai.

Je sors l'objet en question de mon sac et lui tend. Il l'attrape et le pose sur le côté. Je le regarde continuer de ranger, et je repère un petit carnet rouge, de taille A5, qui à l'air assez vieux. Je le prends et au moment où j'allais l'ouvrir, il me l'arrache des mains.

- Hé, touche pas à mes affaires !

Déstabilisé et confus, je baisse la tête et m'excuse. Mon cerveau tourne cependant à toute vitesse. Que cache-t-il dans ce vieux carnet ? Je ne l'avais jamais vu avant.

- Désolé mais... c'est quoi ?

Il le met tout au fond de son sac et recommence à travailler, sans m'adresser un regard.

- Un cahier de brouillons.

Il ment. Et ça se voit, en plus. Les joues rouges, les mains tremblantes, impossible de le louper. Ce matin, lorsque je suis sortie de chez moi pour aller au lycée, il était juste devant moi, donc je l'ai rattrapé et on a fait le chemin jusqu'au lycée ensemble. Je n'ai pas voulu le gêner, alors je n'ai pas mentionné sa fuite de la veille. Il a semblé apprécier. Mais je suis curieux, c'est plus fort sur moi. Je dois le pousser un peu.

- Hum, t'es sûr ? Les pages ne sont même pas à carreaux. Et je ne t'ai jamais vu t'en servir pour prendre des notes en cours.

Ses mains tremblent de plus en plus, et quand il prend la parole, il a du mal à garder un timbre neutre.

- S'il te plaît, arrête.

Le voir presque suppliant me fait quelque chose au cœur. Ça me rend un peu triste. Ça doit être quelque chose d'important pour lui.

- Désolé, je pensais pas que c'était important pour toi.

Il baisse un peu plus la tête, sans doute pour ne pas que je vois son expression. Je pose ma tête sur mes avant-bras qui reposent eux-mêmes sur la table. Comme ça, je peux l'observer. Il est toujours aussi rouge, avec la mâchoire crispé, qui fait ressortir les muscles de cette zone. Je me surprend à penser que c'est joli. J'aimerais bien avoir une mâchoire comme celle-là. Il remarque que je le regarde et il met une main devant son visage.

- Arrête de me fixer, c'est gênant.

- Ah, oui, c'est vrai. Pardon.

Ça doit être la troisième fois que je m'excuse en quelques minutes, ça commence à faire beaucoup. Je me relève et tente de me re-concentrer sur mes devoirs, en vain. Je grogne.

- Je sais même pas pourquoi je persiste à vouloir m'avancer, je n'ai rien à faire chez moi de toute façon.

Il me jette un regard interrogateur,  sans doute le premier depuis le début de la discussion.

- Tu ne fais rien chez toi ?

Je secoue la tête.

- À part regarder la télé ou des vidéos sur mon portable, rien. Je n'ai pas de console de jeu, pas d'animaux de compagnie, pas d'autres occupations. C'est pour ça que j'aime bien être ici. Je fais quelque chose, au moins.

Il penche la tête sur le côté, d'un air concerné. Il est mignon, comme ça.

- Moi aussi, j'aime bien être ici.

Je lui souris de toutes mes dents. C'est rare de trouver quelqu'un qui a la même opinion que moi.

- Est-ce que tu t'entends bien avec ton père ?

Il se crispe un peu et hésite. Il finit tout de même par dire, détendant un peu ses muscles :

- Pas trop.

- Moi non plus.

Il fronce les sourcils. Il semble perplexe.

- J'avoue que je n'arrive pas à comprendre comment quelqu'un ne pourrais pas s'entendre avec toi.

Je lâche un petit rire.

- Il a fait des erreurs, et je ne suis pas rancunier mais au bout d'un moment j'ai dit stop.

Il hoche la tête puis la baisse, il semble comprendre.

- J'ai eu des problèmes avec mon père. Je n'avais pas vraiment envie de venir vivre avec lui mais je n'ai pas eu le choix.

- J'espère que ça ira pour toi, dis-je sincèrement, heureux qu'il me parle de ses problèmes.

Il m'adresse un petit sourire que je n'avais jamais vu et je lui réponds par mon sourire spécial, celui qui montre le plus ma fossette. Celui dont Samuel se moque un peu en disant qu'il est irrésistible.

Celui qui vient de faire rougir Loïc.

Le Carnet Rouge [BxB]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant