D O U Z E

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Je n'ai pas dormi de la nuit. Je suis resté au téléphone avec Loïc pendant deux heures, puis j'ai été incapable de fermer les yeux. À chaque fois, j'imaginais un monstre sous forme humaine qui frappait et insultait mon ami. Je sors bien plus tôt que d'habitude de chez moi. Lorsque j'arrive à son étage, il est assis dans le couloir, contre un mur. Il se lève en me voyant.

- Salut, fait-il simplement.

J'ai soudainement envie de le prendre dans mes bras et de le serrer aussi fort que je peux, mais je ne le fais pas, parce que ce serait bizarre.

- Est-ce que ça va ?

Il hoche doucement la tête.

- Ça peut aller.

Je sonde ses yeux marrons à la recherche d'un indice sur son état mais je ne trouve rien. Le pire dans tout ça, c'est qu'il semble sincère. Il a prit l'habitude, cette habitude horrible, et maintenant c'est devenu normal. Normal de se faire insulter et rabaisser par son propre père. Normal d'être enfermé dans sa chambre.

- Hé, fait-il doucement. Arrête de penser à ça.

Je me rends compte que je me mords la lèvre inférieur avec un peu trop de force et je dois avoir l'air angoissé. Je relâche ma pauvre lèvre qui n'a rien demandé et lui réponds :

- Je ne suis pas sûr de pouvoir arrêter.

Il soupire et passe devant moi.

- C'est pas grave. Viens.

Je le suis jusqu'au dehors et l'arrête en lui prenant la main. Il se retourne et rougis subitement.

- Après les cours, on va voir la police et on va leur expliquer ce que te fait ton père.

Il continue de fixer nos mains liés et secoue la tête.

- Ce n'est pas une bonne idée.

- Qu'est-ce que tu comptes faire, alors ?

Il se crispe et dit tout bas.

- Rien.

- Tu te fiche de moi, là ? Merde, Loïc, c'est pas normal ! Un père n'est pas sensé faire ce genre de choses à son fils ! C'est grave, tu comprends ça ? C'est vraiment grave.

Il soupire et recommence à marcher.

- On va en cours. On en parlera après.

Je soupire à mon tour et marche à côté de lui. Je rougis quand je me rends compte que je tiens toujours sa main dans la mienne. C'est agréable, alors je ne l'enlève pas.

- Je suis désolé de t'avoir rajouté un poids de plus sur les épaules.

- Sois pas stupide, t'es pas un poids. Ce qui me mettrais mal, c'est de savoir tout ce que tu m'as dit et ne rien faire. Je veux t'aider.

Je presse un peu sa main pour appuyer mes propos. Il sursaute et la retire rapidement, comme s'il avait oublié que je le touchais. Je lève la tête et vois son visage passer d'un rose léger à une forte couleur rouge.

- D-désolé, bredouille-t-il.

- C'est moi.

Malgré le contexte, je souris devant sa réaction, je ne peux m'empêcher de trouver qu'il est adorable.

Cette fois, la journée passe à une lenteur affligeante. Je pense à Loïc à chaque minute, prends des notes mécaniquement, écoute distraitement.

À quinze heures, je le traîne avec moi jusqu'en ville et entre au commissariat. Il se laisse faire sans rien dire. Je me présente au bureau qui fait office de comptoir d'accueil.

- Bonjour, mon ami voudrait porter plainte.

L'homme en face de moi hoche la tête et commence à poser des questions à Loïc. À contre-coeur, il lui explique tout, lui raconte ce qu'il a vécu, et finit par sortir son portable. Il fait écouter à l'homme des enregistrements vocaux qu'il avait pris de son père. Je prends la main de mon ami pour le supporter. Et pour me rassurer aussi, parce que je n'ai pas l'habitude d'être confronté à autant de violence. Mais tout se passe comme dans un rêve, ou plutôt un cauchemar. Je n'entends pas vraiment ce qu'ils échangent, seul la voix pleine de haine de son père retentit comme un écho dans ma tête. De longues heures plus tard, lorsqu'on sort enfin du commissariat, on reste debout, l'un à côté de l'autre, muet. Ce n'est pas moi qui brise le silence en premier.

- Ça s'est bien passé, murmure-t-il.

Je hoche la tête et essaie de sourire.

- Je te l'avais bien dit.

- Ouais. Merci. Merci beaucoup.

Je lève mon regard vers lui. Il regarde le sol, les yeux rouges et gonflés d'avoir  pleuré.

- Je t'en prie.

D'un commun accord silencieux, on commence à marcher pour rentrer chez nous. Le trajet se fait en silence, lentement, comme si on avait peur de briser la bulle fragile qui s'était formée autour de nous. Lorsqu'on arrive, on monte les marches jusqu'au dernier étage, sans même un regard pour la porte de l'enfer. Je le fais entrer chez moi et on s'assoie sur le canapé.

- Tu t'es confié à moi, alors je vais tout te raconter. C'est moins grave que toi, bien sûr, mais je me sens redevable.

- Tu n'es pas obligé de faire ça, tu sais.

- Je sais, mais je crois que j'ai envie.

Il hoche la tête.

- Tout d'abord, mon père. Il n'a jamais levé la main sur moi ou quoi mais il a fait ce qu'on appelle de la négligence. Alors que j'étais tout petit, il me laissait seul ici, et j'ai fini plusieurs fois aux urgences à cause de ça. Il ne m'a jamais considéré comme son fils, je pense. Il me méprisait. Alors je travaillais beaucoup, parce que je pensais qu'il allait me remarquer et me féliciter  mais ce n'est jamais arrivé. Alors j'ai juste... fait comme s'il n'existait pas, c'est-à-dire ce qu'il faisait depuis ma naissance. Ensuite...

Je me mords la lèvre. Allez, je peux le faire.

- Je ne l'ai dit qu'à mes meilleurs amis jusque là et j'aimerais que tu ne me juge pas sur ça. Je ne veux pas que ton regard sur moi change ou quoi, parce que c'est juste... moi. Depuis toujours.

Je prends un grande inspiration et mon courage à deux mains.

- Je suis pansexuel.

Il me jette un regard étonné. Il a juste l'air surpris, sans plus. Je suis soulagé.

- Je ne te jugerais pas sur ça.

- Merci.

Je suis tellement reconnaissant que je le prends dans mes bras. Il se laisse aller sans rien dire et finit même par passer timidement ses bras autour de ma taille. Je tourne le visage de manière à l'enfouir dans son cou. Il sent tellement bon, je réalise à cet instant que j'avais envie de faire ça depuis plusieurs jours. Il se calme lentement mais ne fait pas un geste pour bouger. Mon épaule est trempée de ses larmes et l'encolure de son t-shirt par les miennes. Je lève la tête vers lui et observe son visage. Il a toujours l'air triste mais quelque chose a changé dans ses yeux. Les miens dérivent un peu et viennent s'échouer sur sa bouche. Subitement, j'ai très envie de l'embrasser. Alors, sans plus réfléchir, je pose mes lèvres sur les siennes et l'embrasse.

Le Carnet Rouge [BxB]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant