D I X - S E P T

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Je précède Loïc jusque dans ma chambre et prends soin de fermer la porte à clé au cas où mon père sortirait de son sommeil et se rendrait compte que je ne parle pas tout seul.

- Je crois que tu as des choses à me dire, dis-je en lui désignant son carnet rouge, ouvert à la page du phœnix sur mon bureau.

Il hoche la tête et tire sur le bas de son pull. J'ai remarqué que c'était son tic quand il était stressé.

- Tu veux que je commence par quoi ?

- Ça.

Je lui mets le carnet dans les mains et il le prend sans rien dire, puis il commence à parler lentement.

- Le phœnix est le symbole de la renaissance, de la régénération et de la transformation.

- Je sais tout ça. Ce que je veux que tu m'explique, c'est le rapport avec moi, s'il y en a un. Je veux comprendre.

Il soupire et lâche en baissant les yeux sur le sol.

- Tout, après le phœnix, à un rapport avec toi.

- Alors explique-moi pourquoi.

Il prend quelques inspirations avant de reprendre la parole.

- Au début... le lundi, je veux dire...

Il s'interrompt et serre les poings pour arrêter les tremblements dont sont prit ses mains.

- Ce que je veux dire, c'est que tu m'as tendu la main dès le début. Je t'en suis reconnaissant. Et...

Il se mord la lèvre et semble chercher ses mots.

- J'ai compris petit à petit le genre de personne que tu es, et je ne voulais pas trop y croire, parce que c'est rare, quelqu'un aussi gentil et bienveillant que toi. Avec mon père je me sentais tellement mal que j'ai eu comme l'impression de revivre en entrant au lycée, avec toi. C'est pour ça, le phœnix. Le mardi, je me suis rendu compte après ce qu'a dit Samuel, pendant le repas, que tu avais une sorte de charme. Tu vas trouver ça bizarre, mais c'est vraiment ce que je ressens. T'as un truc qui fait que les gens sont attirés vers toi.

Je le fixe sans trop comprendre ses paroles. Moi, j'attire les gens ? C'est vrai que c'est étrange. Cependant, je ne l'interrompt pas et il continue donc.

- C'est pour ça que j'ai quitté la table un peu vite, j'avais besoin de réfléchir à ça, seul.

Les images de la scène me reviennent en tête. Son visage rouge et gêné, son attitude.

- Je peux te poser une question ? Je demande.

- Bien sûr.

- Pourquoi est-ce que tu étais tout rouge ?

Il pique un fard et tourne le regard vers un des murs.

- Je... ce n'est pas encore le moment d'expliquer ça.

Je fronce les sourcils mais n'insiste pas.

- Donc...

Il se semble chercher dans ses souvenirs le moment où il s'était arrêté.

- Le mercredi, tu as encore été gentil et tu m'as proposé de venir manger avec toi et tes amis, et tu as même voulu payer pour moi. Personne n'avait jamais fait ça. Du coup, j'ai commencé à...

Il rougit de nouveau et se racle la gorge.

- Possiblement... avoir un petit crush sur toi.

Mon cœur rate un battement et je le fixe, ahuri. Il s'empresse d'ajouter :

- S'il te plaît, ne pose pas de question maintenant, c'est déjà assez gênant comme ça.

Je hoche la tête et le laisse reprendre ses esprits.

- Le cerf et la plume de paon, c'était juste les symboles de ce que je ressentais. Enfin un semblant de justice pour moi, je me sentais mieux. Jeudi, je t'ai confié ce qu'il se passait avec mon père, la merde dans laquelle j'étais. Tu as été tellement génial que... je me suis dit que j'avais enfin un peu d'espoir. C'est après notre appel que je t'ai dessiné. J'espère que ça ne te dérange pas, d'ailleurs.

- Non, pas du tout. Enfin... ça m'a un peu perturbé au début, mais c'est tellement bien fait que je ne peux rien dire.

Il ose un petit sourire, toujours sans me regarder.

- Merci.

Il prend un peu de temps, comme pour apprécier le compliment, le faire durer plus longtemps.

- Et puis vendredi... je crois que c'est là que tout s'est passé. Tu as fait tout ça pour moi, le commissariat, tu m'as dit des trucs que tu n'avais pas dit à beaucoup de monde et je me suis senti tellement... bizarre.

Il baisse de nouveau la tête.

- Je sais que c'est pas normal, mais le seul mot qui me vient à l'esprit c'est ça. C'était bizarre. Je n'arrivais pas à croire ce qu'il s'était passé. Alors quand tu m'as embrassé...

Il laisse sa phrase en suspens et ses joues prennent de nouveau une couleur rosée.

- Honnêtement, je ne m'y attendais pas du tout. Et comme j'avais l'impression d'être dans un rêve, je me suis dit, "merde, j'ai pas le droit de penser ça". C'est stupide, mais je t'ai balancé toutes ces horreurs parce que je n'avais pas l'impression que c'était réel. C'est seulement quand je suis rentré dans ma chambre que je me suis rendu compte de ce qui c'était passé. D'un coup, tout est devenu trop réel, beaucoup trop réel. Sauf que je ne savais pas quoi faire pour rattraper ça, alors j'ai juste... rien fait.

Il respire fort, comme si sa tirade l'avait épuisé.

- Et finalement, samedi, j'ai commencé à réfléchir. Je n'arrêtais pas de ressasser, c'était horrible. Je suis venu chez toi sur un coup de tête, je ne savais même pas ce que je faisais. C'était quitte ou double, soit tu acceptais mes excuses, soit tu me rejetais. Bien entendu, tu ne m'as pas pardonné, il aurait fallu être bête pour faire ça. Je ne te donnais même pas d'explications. Alors j'ai cherché. D'abord à l'intérieur de moi pour essayer de trouver la raison pour laquelle j'agissais de cette façon, et ensuite pour que tu comprennes. Je me suis dit que ce carnet était le meilleur moyen. J'avais déjà recommencé à dessiner des trucs pas très joyeux dessus, mais je me suis dis que ce n'était pas plus mal.

Il lève la tête vers moi et me regarde enfin.

- Parce que tu allais forcément demander des explications. Et la seule raison à tout ça ...

Il se mord l'intérieur de la bouche et je le vois lutter pour que les mots franchissent ses lèvres. Quand il y arrive enfin, il est à bout de souffle.

- Je crois que je t'aime.

Le Carnet Rouge [BxB]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant