S E I Z E

4.6K 309 9
                                        

Je tiens le carnet dans mes mains qui tremblent depuis plusieurs minutes déjà. Je suis assis sur mon lit, à le fixer comme s'il allait me livrer ses secrets. Sauf que je ne sais pas ce que je vais trouver dedans, et ça me terrifie. Je sais que c'est important pour lui, mais à quel point, j'ai peur de le découvrir.

Quand je parviens enfin à soulever la première page, je tombe sur une feuille volante avec mon nom dessus. Je la saisis et la déplie lentement.

"Simon, s'il te plaît, va jusqu'au bout. Tu comprendras peut-être mieux. Loïc"

Je fronce les sourcils. C'est tout ? Je m'attendais à des explications un peu plus poussées. Je trouverais peut-être tout ce que je cherche à l'intérieur du carnet. J'inspire un bon coup et tente de détendre mes muscles, en vain. Je tourne la page et tombe nez à nez avec un dessin en noir et blanc, ainsi que quelques mots qui volent autour. Si le dessin en lui-même est magnifique, l'ambiance qu'il dégage est assez sombre.

C'est un pot en verre renversé, qui déverse sur le sol son contenu composé de crânes, d'os en tout genre et de morceaux de métal. Des mots en latin sont écrits dans un cadre au-dessus de dessin. Comme je n'ai jamais fait de latin, je m'empresse de chercher sur mon téléphone la signification. Les mots veulent dire mort, cadavres ou os.

Au fur et à mesure des pages que je tourne, les dessins s'enchaînent, tous plus beaux et sombres les uns que les autres. Un chat noir dormant en boule, une chauve-souris en vol, un paysage en plein orage, une âme sortant d'un corps en lévitation. La plupart sont en noir et blanc, mais certains ont quelques touches de couleurs par-ci, par-là. Quelques mots, phrases ou citations en latin s'égrènent au-dessus de ceux-ci. Je recherche patiemment leur signification, toutes morbides ou tristes.

Puis, au bout d'un long moment, un dessin plus coloré que les autres attire mon attention. Il représente un Phœnix de feu, dans des tons chauds de rouge, d'orange et de jaune. Il n'y a qu'une seule chose qui me vient à l'esprit : la résurrection. D'ailleurs, il n'y a aucun mot sur cette feuille, comme si le dessin en était lui-même un, comme s'il était assez parlant pour ne pas préciser de quoi il s'agit. Je continue à avancer dans le carnet, et je me rend compte que les dessins sont de plus en plus joyeux et colorés. Il y a un cerf, symbole de régénération de la vie et une longue plume de paon pour la justice.

Et d'un coup, je reste le souffle coupé devant le visage qu'il a dessiné. Tout est tellement précis, avec des détails subtils et réels, allant de la pointe des cheveux au cou. Comme une photo en noir et blanc. Une photo de moi.

Je pose le carnet sur mon bureau et recule un peu. J'ouvre la fenêtre et respire l'air frais pour me détendre. Il n'y a pas d'autres portraits dans son carnet. Alors pourquoi m'avoir dessiné ? Je le reprends et observe les mots qu'il a inscrit en dessous. "Qui est exaucé" y figure en français, cette fois. Et une phrase, aussi. "Celui qui a entendu et exaucé mes prières."

Je ne sais pas ce qu'il entend par là, je ne suis pas très bon en interprétation. Je tourne cependant la dernière page utilisé et le dessin qui y figure est de nouveau sombre. C'est une rose d'une nuance de pourpre, avec une tige couverte d'épines, fanée. Les pétales semblent sur le point de tomber et le réalisme de la chose me fait presque douter de sa réalité. Je remarque quelque chose tout en bas de la page. Il y a une date. Cette page a été recouverte de mine et d'encre la veille. Je reviens en arrière et tombe sur le Phœnix. Il date de quelques jours à peine, je reprends mon téléphone et cherche dans mon calendrier. C'était lundi soir dernier. Le cerf et la plume ont été dessiné le mardi et le mercredi, tandis que mon portrait a été réalisé le jeudi. Jeudi, c'est quand on s'est appelé et que je lui ai promis de l'aider.

Soudain, une évidence me tombe dessus. Lise avait peut-être raison, en fin de compte. Je semble compter beaucoup pour lui. Cependant, je ne comprends toujours pas pourquoi il m'a insulté et rabaissé vendredi soir, après que je l'ai embrassé. Si je compte pour lui, il aurait dû me repousser gentiment et m'expliquer que ce n'était pas ce qu'il voulait avec moi.

Au bout de quelques minutes à chercher vainement une explication, je me décide à lui envoyer un message.

Moi > Viens chez moi dès que tu peux.

Je me ressaisis lentement et me rends devant ma porte d'entrée. Je l'ouvre et sors sur mon palier, juste à temps pour voir arriver Loïc, haletant après avoir monté en vitesse les quatre étages qui nous séparent.

- T-tu voulais me voir ? Begaye-t-il, à bout de souffle.

- Oui. On a des choses à se dire.

Le Carnet Rouge [BxB]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant