Q U A T R E

5.9K 360 33
                                    

Je frappe avec enthousiasme au numéro six puis recule. J'entends pas mal de bruit dans l'appartement, et au bout de quelques minutes la porte s'ouvre sur Loïc qui sort précipitamment. Une voix crie derrière lui et s'étouffe lorsqu'il claque la porte.

- Salut, fait-il doucement.

Je le salue en retour et lui jette un regard interrogateur. Il passe vivement une main dans ses cheveux courts et répond à ma demande silencieuse par un simple "mon père".

- Ho, s'il n'aime pas que je toque je peux t'attendre en bas.

Il soupire et secoue la tête.

- Non, ce n'est pas ça. Il était déjà comme ça avant que tu arrives.

- Ah.

Je tente de tourner trois fois la langue dans ma bouche comme dit ma mère, mais comme d'habitude, ça ne marche pas vraiment.

- Pourquoi ?

- Tu sais très bien que je ne répondrais pas.

Il a cette attitude nonchalante et sûr de lui, c'est déroutant. En l'occurence, il a raison, et même si je n'ai pas eu beaucoup d'espoir quand je lui ai demandé, je ne peux m'empêcher d'être un peu déçu, mais pas surpris.

- On sait jamais, je dis tout de même en haussant les épaules.

Il n'ajoute rien et se contente de sortir, sans me tenir la porte. Je grimace et l'interpelle.

- Hé, tu pourrais au moins éviter que je me la prenne dans la tête !

Il se retourne à peine et me jette un regard de travers.

- Tu aurais peut-être l'air plus humain avec un nez cassé.

- Quoi ? Dis-je, perdu. Je n'ai pas l'air humain ?

Il avance par grandes enjambées et je cours pour le rattraper.

- Rien, oublie.

Troublé, je le suis sans rien dire. Je cherche une explication que je ne trouve pas. Suis-je inhumain ? Je ris intérieurement. Cette question est certainement la plus absurde que je me suis jamais posé. Je relève la tête et l'observe en silence, essayant de déterminer ce qu'il se passe à l'intérieur de son crâne. Quand il se rend compte que je le fixe, il se tourne imperceptiblement et accélère le pas. Je soupire et tente de le suivre.

On entre dans le lycée et on rejoint notre salle de cours. Marie se tient devant, comme à son habitude. Je la salue chaleureusement et elle me lance un regard interrogateur en désignant Loïc du regard. Je lui fais un petit signe de la main pour lui signifier que je lui expliquerais plus tard, et elle semble comprendre puisqu'elle acquiesce. On entre ensuite en classe, et comme le prof m'avait changé de place avant les vacances, je me retrouve tout devant à côté d'une fille que je ne connais pas beaucoup. En tant que personne sociable, je tente de lui parler et de faire la discussion, mais en vain. Elle me lance un regard noir et c'est tout juste si elle ne me tourne pas le dos. Je soupire. L'heure va être longue.

Au bout de quelques minutes, je me cale contre le mur pour mieux observer la classe. Il n'y a pas beaucoup de bruit, la plupart des élèves ici sont concentrés sur le cours, mais ce n'est pas mon cas. Derrière moi, il y a un garçon avec qui j'ai déjà parlé et qui ne semble pas plus passionné que moi par ce que raconte le professeur. J'engage donc une discussion à voix basse. Liam -c'est son nom- s'avère être très drôle, si bien que je suis pris d'un fou rire incontrôlable peu de temps après. Alors que je tente de me maîtriser, je croise le regard de Loïc, qui ne semble pas beaucoup apprécier le bruit que je fais. Sauf qu'il y a quelque chose de comique dans son attitude, alors je ris encore plus. Soudain une voix furieuse et sévère s'élève dans la pièce.

- Monsieur Simon Andreu, dîtes-nous si on vous dérange.

Je secoue la tête et tente de m'excuser vainement, à bout de souffle.

- Allez vous calmer dans le couloir. Et si vous comptez encore déranger mon cours, prenez vos affaires et ne revenez qu'après l'heure de colle que je vous donnerais.

Il me parle avec tant de haine que je ne ris plus du tout. Je baisse la tête.

- Je vous prie de m'excuser, monsieur. Je ne ferez plus de bruit pendant votre cours.

Je sors sans prendre mes affaires, conscient que si je les avais prises, je serais à la vie scolaire avec un pion qui me donnerait ma retenue tout en appelant mes parents. Je m'assoie contre le mur et respire profondément. Lorsque je sens mon rythme cardiaque redevenir normal, je prends mon courage à deux mains et lève pour aller toquer à la porte.

- Entrez, fait la voix du prof. Vous viendrez me voir à la fin du cours.

Je hoche la tête et regagne ma place. La fille à côté de moi me regarde comme si j'étais une sorte de sous-merde. C'est assez inhabituel que quelqu'un ne m'apprécie pas. Je ne dis pas ça pour me vanter, mais étant très sociable et toujours gentils avec les gens, c'est rare quand ceux-ci me considère avec autant d'animosité. Même les professeurs m'aiment bien. Sauf celui-ci, mais il est particulièrement sévère et a la réputation de virer souvent des élèves de ses cours.

Alors que la sonnerie retentit, je range lentement mon cahier et ma trousse et attends que la salle soit vide pour me diriger vers l'enseignant.

- Simon, vous êtes un bon élève, commence-t-il. Mais votre attitude est inappropriée et très dérangeante, aussi bien pour vos camarades que pour moi-même.

Je hoche la tête en silence. Il ne montre aucun signe d'énervement, ce qui est plutôt encourageant. Il parle même avec une voix calme, un peu ennuyé de devoir avoir cette discussion avec moi.

- Vos notes sont bonnes, voire très bonnes, alors ne gâchez pas tout seulement pour vous amuser. J'espère que nous n'aurons plus à parler de cela. Je vous souhaite une bonne journée.

- Bonne journée monsieur. Et encore pardon pour tout à l'heure.

Je lui lance mon plus beau sourire pour me faire pardonner et il me répond par un léger étirement des lèvres.

Miracle. J'ai réussi à faire sourire le prof de géo le plus sévère du lycée.

Le Carnet Rouge [BxB]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant