1. L'Enquête

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PDV : Le Diable


Je ne vous expliquerai pas qui je suis. Tout le monde connait le Diable. Tout le monde me connait. Ma réputation me précède, c'est pratique, ça m'évite d'avoir à m'épancher sur mon destin tragique, ma cruauté légendaire, mon poste royal et mon amour pour le Mal.

Aussi, démarrons immédiatement.

Je suis assis sur mon imposant trône au cœur de mon palais ; un monument de roches noires qui se situe sur le plus haut plateau de mon monde. Ainsi, je peux voir tout mon royaume. Ou devrais-je dire, mes royaumes. Au sud, la plus grande partie, s'étendent les cellules des Damnés ; au nord, une espèce de ville (un amas de murs ni droits ni stables) sert de refuge à mes Démons.

Les Enfers des Damnés sont divisés en plusieurs parties. Selon la gravité de leurs pêchers, ces âmes rejetées par les Cieux ne se retrouvent pas au même endroit... Et ne subissent pas les mêmes tortures.

Je regarde actuellement les grandes portes d'entrée et le flot de morts qui les franchissent. Même si elles se trouvent à l'extrême sud de mon royaume, je peux les voir grâce à mes pouvoirs. L'on ne peut les franchir que dans un sens. On entre, on ne ressort jamais. C'est la règle. Pas de rédemption ici.

Toutes ces âmes sont comme moi : trop sombres pour les Cieux. Les Enfers acceptent tout le monde. On ne fait pas de discrimination, ici. (Bon, accessoirement, tout le monde souffre aussi.)

Un serviteur apparaît dans mon champ de vision.

- Maître... il est minuit... je viens pour le relevé quotidien.

Depuis quelques années, je demande à ce que quelqu'un m'annonce chaque jour combien de nouvelles âmes les Enfers accueillent. Depuis quelques temps, les chiffres se sont envolés.

- Parle ! Combien ?

Il est terrorisé mais je ne l'épargnerai pas. Personne n'est épargné par ma haine.

- 24 560 nouvelles âmes, votre Majesté.

- QUOI ?!

En prenant compte le fait qu'il y a en moyenne 160 000 décès par jour dans le monde des humains, n'importe qui comprend que le pourcentage venant d'atterrir chez moi est catastrophiquement élevé.

Une partie des défunts accède directement au Paradis tandis que la grande majorité est dirigé vers le Purgatoire. Les Enfers ne sont censés accueillir qu'uniquement le pire du pire. Les cas désespérés. Des inhumains qui n'ont aucune chance de rédemption.

L'humanité se serait donc détériorée à ce point ?

- On a crevé le plafond, là.

Le Diablotin hoche la tête suite à mon commentaire. Quel docile petit être...

- Le Paradis a-t-il réformé ses lois d'entrés ? Je lui demande.

- Non.

- Un nouveau Juré a-t-il pris ses fonctions au Tribunal de la Mort ?

- Non.

Évidemment. Sinon j'en aurais été averti.

- Alors comment expliques-tu cette avalanche de monde ?

- Dois-je donner mon avis, Maître ?

- Oui.

- Les humains n'arrivent plus à se tenir dans le droit chemin. S'est rajouté à leur obscurité habituelle le fait qu'ils trouvent « stylé » de faire le Mal. Ils sont prêts à tout pour être « cool ». Et deviennent donc méchant.

Cette chose est donc plus intelligente que la moyenne. Je sais déjà ce qu'il vient de dire mais la grande question est : Pourquoi ?

C'est toujours cette question avec les humains : « Pourquoi ? »

- Trouver « cool » d'être un monstre ! C'est typiquement humain tellement c'est improbable... j'ai besoin de comprendre...

Une idée me traverse l'esprit et en un instant ma décision est prise.

- Préviens mon bras droit ! Il va devoir garder les Enfers quelques temps ! Je m'en vais sur Terre pour essayer de comprendre cette soudaine envie des humains de souffrir pour l'éternité.

- Bien votre Majesté. Si je puis me permettre, je trouve très malin de votre part de regarder le problème à la source.

- Tu es futé, toi : tu sais comment marquer des points auprès de ton supérieur. Pour te récompenser, je t'offre de venir avec moi dans le monde des humains. De toute manière il va me falloir un serviteur durant mon séjour là-bas.

- Avec plaisir, Maitre.

- Soit prêt d'ici une heure.

- À vos ordres.

Il court prévenir mon bras droit. À peine quelques instants plus tard, un immense Démon rouge sang entre dans la salle du trône. Il approche de moi d'un pas lourd. Il possède trois cornes recourbées : une de chaque côté de son front et une dernière, encore plus grande, au centre. Sa colonne vertébrale se termine par une queue reptilienne lui servant de point d'équilibre et de balancier.

Bélial incarne le Mal et il m'est loyal. Très loyal. Il a souvent de bonnes idées pour faire souffrir les âmes et prend toujours plaisir à la torture.

- Satan, dit-il en s'inclinant à la va-vite. Ton nouveau Diablotin préféré m'a informé de ta décision de me nommer Régent des Enfers pour un certain temps. Je te remercie de ta confiance. Tu peux compter sur moi pour préserver ton royaume. En tant qu'ami, je tiens à te rappeler que tu dois être prudent. Ici, tu es vénéré, mais sur Terre, ce n'est pas toi qui as le pouvoir absolu.

- Ne fais pas trop de bêtises à la tête du royaume !

Je m'apprête à partir quand il me retient par le bras.

- J'insiste. Je ne voudrais pas qu'il t'arrive malheur.

Non mais oh c'est qui l'aîné ici ? Le Roi ? Je ne vais pas lui demander une autorisation de sortie quand même.

- Je ne pars pas défier les Cieux, seulement enquêter sur le comportement humain. Qu'est-ce que je risque ? Ces faibles mortelles ne peuvent rien contre moi.

- Tu seras exposé aux Anges et à leurs plans.

Je soupire. Ce Démon est ce qui s'approche le plus pour moi d'un ami. Et en cet instant il a beaucoup de chance que je l'apprécie... sinon son insistance lui aurait déjà valu de perdre sa tête.

- Je resterai sur mes gardes. 

Il hoche la tête.

- Dans ce cas, bon voyage.

Je lui fais une accolade et pars me préparer. J'ai confiance en Bélial. Il saura gérer durant mon absence, il l'a déjà fait et jamais il ne m'a déçu.

Je me place dans le hall principal ou le Diablotin que j'ai chargé de m'accompagner m'attend déjà. J'ouvre le portail de téléportation vers la Terre. Un voile rouge apparait devant nous et nous le franchissons.

Je nous fais atterrir dans l'est de la France. Pas si loin, une ville endormie. C'est là-bas que je ferai mon enquête. Le côté nord de la ville longe une forêt. C'est dans une des clairières de ce bois que je veux bâtir mon nouveau manoir. Cette tâche ne me prend que quelques secondes d'efforts. Un peu de concentration et je fais surgir du néant ma demeure. Pop ! Ma volonté est exaucée.

Le monde des humains est aussi faible qu'eux. Il n'oppose aucune résistance à mes pouvoirs.

- Quel est ton nom ? je demande soudainement au Diablotin en admirant mon œuvre.

- Je n'en ai pas, Maitre.

- Comment ça ?!

- La majorité des Diablotins ne reçoivent plus de nom à la naissance depuis des siècles déjà.

Comment ai-je pu ignorer cette information ? Des milliers de serviteurs de la sorte courent dans mon palais à chaque instant. Ah ! J'oubliais que je n'en avais rien à foutre d'eux... Après tout je ne leur demande pas leur nom lorsque je les assassine sauvagement sans raison.

- Alors choisi toi un nom. Maintenant.

- Stephen, répond-il immédiatement.

- Bien, Stephen, ta chambre est au troisième étage. Puisque tu es mon unique serviteur lors de cette excursion sur Terre, tu auras le droit à un peu plus de luxe.

- Merci, Maître.

- Demain, nous finirons de nous installer puis je réfléchirai à un moyen d'infiltrer la société pour trouver le cœur du problème.

- Devrai-je rester toujours à vos côtés ?

- Probablement, ça te pose problème ?

- Oh non, jamais la présence de sa Majesté ne me posera problème ! Je voulais seulement souligner le fait que je n'ai pas vos grands pouvoirs : je ne sais pas changer de forme.

Je souffle d'agacement. Mais bon, c'est moi qui ai fait les Diablotins aussi faibles. Je claque des doigts.

- Faveur accordée, je marmonne. Maintenant tu as la possibilité d'adopter une forme humaine pour passer inaperçu.

- Merci. Sa Majesté est fort aimable.

- Arrête de m'appeler comme ça. Je ne sais pas combien de temps je vais rester ici et je ne supporterai que tu brodes des politesses à chaque fois que tu ouvres la bouche alors que nous sommes seuls. Appelle-moi, Lucifer. Sauf devant les humains, là, appelle-moi Samaël.

- Bien, comme vous le désirez. Mais si je puis : pourquoi leur donner votre nom angélique ?

- Celui-ci passera mieux auprès d'eux. Un de mes noms démoniaques attirerait trop l'attention.

- Bien pensé.

- Allez, entrons. Nous trouverons demain de quoi nous vêtir à la mode d'ici. Et surtout de quoi remplir les placards du bar !

Je franchis le seuil, aussitôt suivi de Stephen. Le séjour promet d'être... captivant. 

Une âme pure pour le DiableOù les histoires vivent. Découvrez maintenant