6. Kaelan

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Quelques heures plus tard



Je me suis finalement calmé. J'ai fini par retrouver mes esprits.



À midi, tout le monde est déjà au courant... qu'il y a eu une légère baston dans les couloirs entre moi et cet autre lycéen apparemment nommé Kaelan.

Oui, « légère ». J'ai rattrapé le coup avec mes pouvoirs : les témoins ne se souviennent que d'un combat de coqs sans rien d'extraordinaire (mais tout le monde a retenu que j'ai gagné), tout comme Kaelan. J'ai dû aussi manipuler l'équipe médicale de ma victime pour qu'il n'alerte pas la police. Mais la peur, et surtout la douleur, qu'il a ressenti à ce moment-là, resteront à jamais gravées dans son esprit. Non, ça, je ne peux décemment pas le lui faire oublier. Il le mérite.

Je sors tout juste du bureau du principal que j'ai à nouveau manipulé grâce à mes pouvoirs pour qu'il ignore l'incident. Si je veux continuer mon séjour chez les humains sans accroc, il va falloir que je me maîtrise mieux. Et être près d'Alexia m'empêche clairement de me maîtriser. Tant que je suis à ses côtés, je ne pourrais être calme. C'EST POUR ÇA QUE ! ... ... ... Je prends un plateau repas et rejoins la table d'Alexia.

Non mais vous croyiez quoi ? C'est mon âme sœur. On ne fait pas dans la logique, là !

Alexia me regarde droit dans les yeux, l'air un peu froid.

- Il faut qu'on parle, annonce-t-elle.

- Bien sûr. De quoi veux tu parler ?

- Ne me complique pas la tâche. Kaelan est à l'hôpital depuis ce matin.

- Bien fait pour lui, je grince entre mes dents.

Elle demande aux autres de nous laisser seuls quelques instants. Ils passent à la table d'à côté pour quelques minutes.

- Je suis déléguée dans ce lycée, une partie de mon job consiste à parler aux gens après ce genre d'incident...

- Là, tu es concernée aussi, je la coupe. Tu devrais porter plainte au commissariat pour attouchement.

- Je ne le ferai pas. J'ai parlé avec Kaelan : je ne porte pas plainte contre lui et lui ne portera pas plainte contre toi. C'est très bien comme ça. Tu devrais profiter de ta chance : c'est toi qui a donné le premier coup et tu lui as quand même donné un coup assez fort à la tête pour qu'il ne se souvienne de presque rien. Kaelan est du genre à se foutre dans la merde puis tout retourner contre les autres. Il est doué pour ça. Il est surtout assez riche pour y parvenir.

Si elle savait ce que je lui ai réellement infligé...

- Je refuse. Tu te sacrifies pour que je n'ai pas de problème. Je ne suis pas d'accord.

- Je n'ai pas envie de me lancer dans des poursuites judiciaires interminables. Ses parents sont des gens importants, si je ne porte pas plainte, ils me seront redevables. Dans le cas contraire, ils seraient capables de me pourrir la vie. Ça n'a rien à voir avec toi. Mais puisque je n'irai pas voir la police, Kaelan a accepté de ne pas le faire non plus.

- Tu m'en veux ?

- Non, je devrai, mais non. Je suis touchée que tu ai fait ça pour moi, même si je préférerai qu'à l'avenir, tu n'utilises plus la force létale.

- D'accord.

Je prends sa main posée sur la table et lui fait les yeux doux.

- Je suis désolé. J'ai pété les plombs.

Et c'est un euphémisme...

- Ne recommence pas, c'est tout ce que je demande.

Je ne peux pas le lui promettre alors je me contente de me taire.

Personne ne devrait avoir le droit de lui faire du mal. Pas à elle.

Elle fait signe aux autres qu'ils peuvent revenir et le repas continue dans la bonne humeur. Elle retrouve son sourire et rit avec les autres. Et avec moi. Elle ne m'en veut même plus. C'est le genre de personne à avancer. Elle ne reste pas bloquée sur ce qu'il s'est passé. Elle poursuivra toujours sa vie. Et je l'admire pour cela.

Mais je n'en ai pas fini : je veux encore savoir comment elle se sent, elle, après ça. Elle s'occupe des autres et prend soin de tous, mais qui l'a consolée pour ce qui est arrivé ? Ce n'est pas nous qui avons subi l'agression d'un crétin de première.

L'occasion se présente en milieu de l'après-midi quand elle sort accompagner quelqu'un à l'infirmerie. Je suis son trajet grâce à mes facultés  et lorsqu'elle entame le chemin du retour, je demande au prof si je peux aller aux toilettes. Il m'autorise et je me précipite dehors. Je me débrouille pour la croiser dans un escalier et l'arrête en la prenant par le poignet.

- Alexia !

L'intéressée relève vivement la tête.

- Samaël ? Qu'est-ce que tu fais là ?

- Il fait qu'on parle. Seule à seul.

Elle fronce les sourcils : elle ne s'attendait sûrement pas à cette réponse.

- Mais comment es-tu...

- J'ai prétexté une envie pressante pour te rejoindre en dehors de la classe.

- Qu'est-ce qu'il y a de si important pour que tu t'éclipses du cours pour me rejoindre en donnant une excuse bidon ?

« Toi » est la première réponse qui me vient à l'esprit.

- Je me suis rendu compte que tu t'étais entretenue avec Kaelan, que tu m'avais parlé, que tu avais fait ton rapport au directeur, mais qui as pris le temps de te parler, à toi ?

- Je... je...

- C'est bien ce que je pensais. Assieds-toi. On dira que je suis tombé dans l'escalier et que tu m'as porté secours, il est temps que quelqu'un s'occupe de toi.

Je me pose sur une marche de l'escalier. Elle me regarde un instant puis s'installe à côté de moi. Nos épaules se frôlent et un drôle de frisson me parcours. Quelle étrange sensation... Si agréable...

- C'est gentil de ta part, commente-t-elle.

- Ce n'est rien par rapport à tout ce que tu fais pour les autres.

Je pense au fait qu'elle a pris des nouvelles de Kaelan. Alors même que c'est lui qui l'a touchée.

- Dis-moi, qu'est-ce que tu ressens ?

Elle soupire.

- Ce n'était pas douloureux, ça ne va pas me traumatiser à vie. Je n'ai pas subi les horreurs que d'autres femmes ont dû supporter. Ce n'est rien en soi : qu'une simple tape sur mes fesses. Ce qui m'énerve le plus, c'est le manque de respect derrière. Il a fait ça, juste parce qu'il en avait envie. S'il se permet ça, de toucher les filles comme ça lui chante, c'est qu'il y a déjà un problème quelque part. C'est bien plus la signification qui m'indigne que l'acte lui-même...

- Je comprends.

Je passe une main autour de ses épaules, délicatement, et elle se laisse aller contre moi. Quiconque m'ayant connu n'y croirait pas ses yeux. Je ne me souviens pas la dernière fois que j'ai fait preuve de douceur avant de rencontrer Alexia.

- Espérons qu'il a compris la leçon après la raclée que je lui ai mise !

Un maigre sourire se forme sur ses lèvres.

- Au fond, j'apprécie ton intervention - mais tu aurais pu y aller un peu plus mollo quand même. Tu as défendu une cause juste, mais le fait que tu es dû intervenir c'est déjà mauvais signe. Ça veut dire qu'il a besoin qu'un mec plus fort que lui le tabasse pour qu'il comprenne ; qu'une personne de sexe masculin physiquement supérieur à lui le violente pour qu'il conçoive le fait qu'il a tort. Mais il est censé avoir un esprit lui permettant de parvenir lui-même à la conclusion que ce sont des choses qui ne se font pas ! Avec tout ce qu'il se passe actuellement dans le monde, comment est-ce encore possible d'avoir ce genre de mentalité ?

Elle est outrée. Profondément choquée. Évidemment, une personne aussi pure, donc dotée d'une telle empathie, ne peut pas bien se sentir dans un monde aussi corrompu.

- Trop peu de personnes ont ta bienveillance.

Je fais se croiser nos regards :

- Tu es une perle blanche dans un marais noir.

Elle hésite, ne sachant pas vraiment quoi me répondre.

- Merci ?

Je ne lui laisse pas le temps de réfléchir plus longtemps sur la vérité que je lui ai énoncée et me relève.

- Il est temps d'y aller.

Je lui tends la main pour l'aider à en faire de même et (à mon plus grand bonheur) elle ne repousse pas cette aide.

- Laisse-moi parler au prof, je lui sortirai un beau mensonge pour justifier notre léger retard.

- Ce n'est pas une bonne idée...

- Mentir c'est mal, je suis d'accord, mais ça ne t'a pas fait du bien de me parler ?

Le principe d'un mal pour un bien...

- Si.

- Alors laisse-moi lui inventer une histoire.

- Je...

- Tu n'as pas besoin d'approuver, juste : évite de me balancer.

- Dans ce cas tu peux compter sur moi.

- Parfait. On y va.

Je l'entraine en direction de la salle, lâchant sa main juste avant d'entrer.

Je ne regrette pas de l'avoir défendue, même si ça m'a conduit à une crise. Je ne pouvais pas laisser cet idiot s'en sortir comme ça.

Et je suis heureux qu'elle est acceptée de se confier à moi. J'ose penser que me parler lui a fait du bien et je suis fier d'avoir pu venir en aide à mon âme sœur, cette perle blanche, brillante, dans ce marais noir, d'horreur.

Une âme pure pour le DiableOù les histoires vivent. Découvrez maintenant