9. Sport

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Le temps est comme figé autour de moi. La violence dont je viens de faire preuve ne leur est décidément pas commune.

Je regarde tour à tour le corps amoché d'Evan et le visage apeuré d'Alexia.

Mais merde ! Qu'ai-je fait ?

- Pardon, je souffle.

Puis, d'une simple impulsion de mon esprit, tous ceux autour de moi s'écroulent comme des poupées de chiffon sur le sol. Je rattrape Alexia au vol et la sers contre moi.

- Pardonne-moi mon amour.



Quelques heures plus tard

J'ai à nouveau modifié chaque mémoire les unes après les autres. L'incident est devenu mineure dans l'esprit des témoins. Il n'y a que deux humains qui savent presque ce qu'il s'est passé : Evan, qui est à l'hôpital et a de toute façon trop peur pour dire quoi que ce soit, et Alexia... dont je n'ai pas osé modifier les souvenirs. Ou du moins pas intégralement. J'ai quand même dû faire oublier aux deux la folie qui m'a pris et la force surnaturelle dont j'ai usé. J'ai aussi fortement dilué les sentiments qu'ils ont ressenti. La marque émotionnelle est donc moindre.

Je dois à nouveau étendre mon influence à l'hôpital, à tous ceux qui connaîtront l'étendue des blessures de ma victime... mais le pire est passé. Décidément, c'est dur de se contenir dans le monde des humains. Aux Enfers, je peux exploser quand et comme je veux. Tout retenir, tout cacher, c'est incroyablement difficile.



La matinée est finie et je rattrape Alexia près de la cantine. Elle... m'en veut.

- Alexia ! Je suis désolé. Je n'aurai pas dû réagir comme ça. (Gros, gros mensonge. Il méritait un allé simple pour les Enfers.)

Elle se retourne brusquement vers moi, faisant voler sa natte. J'ai beau avoir apaisé ses souvenirs et son ressenti, je vois bien qu'elle ne laissera pas juste passer.

- Je ne sais plus quoi te dire, Samaël ! Tu ne peux pas toujours tout régler avec tes poings ! Tu vas finir par t'attirer des problèmes ! Je n'ai pas envie que tu finisses ta vie en prison pour meurtre parce que quelqu'un m'a regardée de travers ! Ça ne fonctionne pas comme ça, dans le monde !

- J'ai déconné, encore, c'est vrai. Je ne le voulais pas, et je reconnais que j'ai quelques problèmes de contrôles. J'y travaille mais... La vie m'a déjà tant arraché, je ne supporterai pas qu'une autre personne que j'aime me soit enlevée. Alors j'ai tendance à défendre un peu trop les âmes qui me sont chères.

Elle repense à l'histoire que je lui ai raconté sur le décès imaginaire de mes parents fictifs et ça l'attendrie immédiatement. Mais il y a une part de vérité là-dedans : suite à mon bannissement des Cieux, j'ai tout perdu. Je refuse de perdre encore.

- Oh... Samaël...

Elle passe ses bras autour de ma nuque et pose sa tête sur mon épaule. Je la prends dans mes bras et la serre contre mon torse.

- Je t'aime Alexia, et il m'est impensable de laisser les autres s'en prendre à toi.

Dixit le Roi des Enfers qui ordonne tortures sur tortures... Ok, une âme sœur, ça vous rend vraiment fou.

- Je t'aime aussi, Samaël.

Elle est si pure que le pardon est évident pour elle. Il est donc logique que...

Attendez. Elle vient de dire quoi là ?! Elle... elle... m'aime ?!

Sortez le champagne ! Avec un temps de retard, une explosion de joie illumine mon cœur, mon esprit, mon âme, tout mon être.

Vous pensez que c'est normal, qu'elle me le dise, peu importe depuis quand nous sommes ensemble, puisque c'est mon âme sœur. Tout est censé couler de source. Mais si vous aviez vu nos âmes... Le contraste est tel que je me demande comment nous arrivons à cohabiter dans le même monde. De parfaits contraires qui sont liés, aussi surprenant que cela peu paraître.

Je resserre encore mon étreinte sur son corps, l'embrassant en guise de remerciements.



Quelques heures plus tard

Nous arrivons au cours de sport main dans la main. L'atmosphère a changé du tout au tout. Nous sommes de bonne humeur, Evan déjà loin de nos pensées.

Sauf que là, quelle injustice ! Les vestiaires ne sont pas mixtes. Je me sépare à contre cœur de mon Ange. Bon, ça a du bon, je ne serai pas obligé de tabasser tous ceux qui la regarde, mais d'un autre côté c'est une frontière qui nous sépare. (Ok, ok, c'est que pour 5 minutes mais laissez moi dramatiser en paix.)

J'entre dans le vestiaire des garçons et commence à me changer. Près de moi, un certain Matthew, parle avec un dénommé Sébastien de leurs défaites et de leurs victoires durant la séance de tennis précédente.

J'esquisse un sourire, il va falloir que je me maîtrise à nouveau. Ce serait si facile, automatique pour moi, d'user de ma force, de ma rapidité, de mon agilité et de ma précision angélique.

J'enlève mon t-shirt pour enfiler un haut de sport.

- Qu'est-ce que tu as dans le dos ?! crie je ne sais trop qui.

Ah. Oui. Effectivement. J'avais oublié ce léger détail. Explications : j'ai des « marques », des espèces de tatouages, gravées sur une surface assez conséquente (de haut en bas et de droite à gauche : ces arabesques couvrent littéralement l'entièreté de mon dos). Ce sont là les preuves de mon identité... et de mon histoire.

Ces symboles me suivent aussi bien sous ma forme humaine que sous ma forme de Déchu. Ils sont indélébiles et permettent aux Cieux de me reconnaître peu importe mon apparence. J'ai été jugé trop dangereux pour être laissé dans la nature sans surveillance, alors les Anges m'ont infligé cette... balise GPS, cette marque unique pour me repérer en tout temps. (Bon, ça a aussi un sens plus profond : ceci est censé m'empêcher d'oublier ce que j'ai fait. (Comme si ça pouvait arriver...))

- Tu es tatoué ?! s'étonne mon voisin.

- Oui, je réponds simplement.

Les individus présents sont... impressionnés ? Envieux ? Abasourdis ? Admiratifs ? Un peu de tout ça je crois. Pourtant, il n'y a pas de quoi être fier : il y est simplement écrit en langue céleste mon histoire. Si l'on traduit (sachant que passé de la langue céleste à un langage humain est très complexe), l'on peut retracer ma naissance, le début glorieux de ma vie d'Ange des lumières, puis mon bannissement, ma chute en tant que Déchu, et mon nouveau rôle de Roi des Enfers. Il y est aussi décrit mes péchés et la noirceur de mon âme. C'est le passage de « Samaël » à « Lucifer ». De l'un des Anges les plus puissants au Roi des Damnés, des Déchus et des Démons.

Très joyeux tout ça, moi je vous le dis. Sympa le cadeau de départ des Cieux, n'est-ce pas ?

Le temps que je me rappelle que je suis toujours torse nu et que le prof nous attend (en gros que je sorte de mes pensées), le sujet de la conversation a déjà dérivé :

- C'est mort. Pas question que je me tatoue le nom de ma femme. Après je la quitte je fais quoi ? Je barre son nom ? Dit l'un.

- Je vois bien le gros trait noir par-dessus, répond un autre.

Qu'ils se marrent ces jeunes. Quand ils seront face à leur âme sœur, on verra bien s'ils la quitteront un jour.

Enfin changé et sorti du vestiaire, je fais face au professeur. Les élèves sont rassemblés en groupe d'amis et lorsqu'Alexia sort (enfin), je la rejoins rapidement. Je prends un ton faussement outré :

- Vous foutiez quoi dans les vestiaires ?

- Des batailles de déo, répond-elle le plus sérieusement du monde.

Je me retiens de rire avec plus ou moins de succès et poursuit :

- Ça fait 10 minutes je poireaute et vous, vous éclatiez en faisant les gamines ?

Elle comprend très bien mon petit jeu et lance :

- Allez, tu peux survivre un quart d'heure sans moi.

- Pas sûr.

Je me penche pour l'embrasser lorsque nous nous faisons violemment interrompre :

- JEUNES GENS ! PAR ICI S'IL VOUS PLAÎT ! ordonne notre prof.

On se dirige vers lui. Après un échauffement que ma « petite amie » (je déteste ce titre, c'est ma femme. Point.) passe à m'expliquer le principe de monter et descente des terrains (les gagnants montent, les perdants descendent, et tout ça), nous nous redirigeons vers le centre du gymnase.

- Bien, reprenez les mêmes terrains qu'il y a deux semaines. Toi, le nouveau, tu viens m'affronter sur le terrain du fond. Je veux voir ce dont tu es capable.

Cet homme est du genre à se faire des idées fixes sur les gens pour ne jamais en démordre ensuite. Vous avez donc tout intérêt à lui plaire le premier jour pour passer une bonne année en sa compagnie. Il a ses têtes. Je ne suis pas sûr de pouvoir en faire partie.

Je dépose un baiser sur la bouche de ma femme et rejoins l'homme quasiment chauve qui nous fait cours. Je rappelle à ma mémoire les règles du jeu et me place correctement.

Je vois Alexia se diriger vers le quatrième terrain à compter du haut. Pas mal.

- Arrête de mater ta fiancée et concentre-toi sur le match qui déterminera ton avenir dans mon cours.

Je souris à sa remarque. Qu'est-ce que je vous disais ? Il va se forger son opinion sur moi maintenant et pour toujours. Mes lèvres finissent par former un rictus.

Il exécute un premier service simple que je le lui renvoie facilement. Je ne veux pas déployer toute mon adresse maintenant. Je veux d'abord voir ce dont il est capable. (Oui, c'est moi qui teste le prof et non l'inverse.) Il ne peut rien contre un être tel que moi et j'ai envie de m'amuser pour une fois.

Les coups s'enchaînent et je finis par libérer une infime partie de ma puissance physique. Inutile de préciser que ma victoire est fulgurante. Il me dirige vers le premier terrain d'un geste sec (je crois qu'il me fait la gueule).

Je passe à côté d'Alexia, son match vient de finir, elle se dirige vers le terrain du dessus.

- On se retrouve au sommet de la pyramide, je lui chuchote.

Elle se retourne brusquement vers moi, surpris de me trouver si proche d'elle.

- Ça s'est bien passé ?

- Pour moi : oui. Pour le prof : moins.

Elle secoue la tête, ne sachant si elle doit être fière ou exaspérée.

Comme je ne tiens pas à vous endormir, je vous passe la suite, sachant que je gagne à chaque fois, infligeant de lamentables défaites à mes adversaires.

Dommage, je n'ai pas pu affronter celle que j'aime aujourd'hui. 

Une âme pure pour le DiableOù les histoires vivent. Découvrez maintenant