Chapitre 4.1

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La première journée que les voyageurs passèrent ensemble fut consacrée à l'achat de provisions pour la route, et d'une nouvelle tenue pour Dia. Ses habits de servante étaient bien trop reconnaissables, et bien trop peu pratiques. Elle garda en revanche la vieille cape usée de Théobald. Ample et chaude, elle n'avait pas besoin d'être remplacée, et Saal ne pouvait se permettre une dépense supplémentaire. Il ne prit d'ailleurs qu'une chambre à la Tortue Gloutonne – il dormirait par terre.

Le lendemain, dès que l'aube fut levée, les voyageurs s'en allèrent. Saal marchait vite, trop vite pour Dia ; et la jeune femme peinait à se maintenir à sa hauteur, car elle n'avait pas l'habitude des longs trajets. Il ne fallut que quelques heures à sa détermination pour se transformer en lassitude, d'autant plus que Saal se révélait un compagnon de route très peu bavard.

Lorsqu'ils s'arrêtèrent pour manger à midi, Dia sauta sur l'occasion. C'était la première pause qu'ils faisaient, et elle était fatiguée bien qu'il restât encore plusieurs heures de marche avant le soir, mais il fallait bien engager la conversation. Peut-être le voyage serait-il moins pénible s'ils discutaient.

– Tu ne m'as pas dit où nous allions, commença-t-elle.

– En effet.

Il avait si peu parlé depuis la veille que la jeune femme en avait oublié le timbre de sa voix, grave et mélodieux. C'était plutôt agréable à entendre – les plus belles voix, souvent, sont celles que l'on entend peu.

– Pourquoi ne pas me le dire ?

– Ça porte malheur.

– C'est une superstition de chez toi ?

– Non, c'est mon expérience.

Diafthora fit la moue. Elle avait espéré qu'il se montre plus avenant.

– Tu as parlé du sud. Il y a quoi au sud ?

– Une grande rivière, la Perlucida. Des villes, comme Alyssum la côtière. La côte. Des pêcheurs. La mer. Plus bas dans la mer, les Îles-Basses. Des gens.

Il sourit et planta son regard dans le sien. Ses yeux étaient d'un vert profond rare.

– Et des arbres et des collines et des chemins. Ça répond à ta question ?

– Non.

– Tant pis.

Saal s'étira et renoua avec nonchalance le lien qui retenait ses cheveux bruns sur sa nuque. La conversation était terminée.

Lorsque les voyageurs s'arrêtèrent à nouveau, le soleil avait déjà bien décliné. Dia était épuisée. Elle défit ses souliers, comptant apaiser un peu ses pieds meurtris par la route, mais ils étaient toujours aussi douloureux, et la jeune femme se résigna.

Les deux compagnons de voyage mangèrent leur maigre ration sans un mot l'un pour l'autre, car Dia était trop lasse pour tenter de briser le mutisme de Saal. Le temps qu'ils finissent leur repas, la nuit avait déjà commencé à tomber. La jeune femme fit mine de s'étendre – le repos, enfin !

– Ne t'allonge pas maintenant ! lança Saal. Tu prends le premier tour de garde. Réveille-moi vers minuit.

Il se coucha ensuite sous sa couverture, avec une nonchalance exaspérante, tandis que Dia se rasseyait près du feu qu'il avait allumé. Elle se demanda, l'espace d'un instant, comment il organisait ses gardes lorsqu'il voyageait seul. Restait-il éveillé toute la nuit ? La jeune femme en doutait : le dos tourné, il semblait déjà plongé dans un sommeil profond.

Très vite, les yeux de Dia menacèrent de se fermer. Soucieuse de rester éveillée, elle laissa son regard errer sur le paysage de plus en plus assombri par la nuit tombante. Il ne fallut que peu de temps pour qu'elle se retrouve dans le noir quasi-complet, entourée d'ombres mouvantes. La demi-lune masquée par les nuages laissait à la maigre flambée le soin d'éclairer Dia.

Pendulum - Les Ombres de la Maître-EspritOù les histoires vivent. Découvrez maintenant