Chapitre 10.3

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Les Maîtres-Esprits n'avaient pas mis longtemps à se rassembler dans la salle commune. Ils formaient deux longues rangées de quinze de part et d'autre de la grande table – tout le Foyer était réuni, y compris les plus jeunes. Sofia ne les avait pas exclus : après tout, ils n'étaient plus si enfants que ça, ces Maîtres à la bouille toute ronde dont l'âge n'excédait pas dix printemps. La mort ambiante les avait fait grandir trop vite.

Oui, le Foyer tout entier était assis à sa grande table, en ce jour où la lune insomniaque siégeait dans le ciel près du soleil de midi et où tous sentaient l'air s'alourdir de tension. Seules restaient vacantes les chaises de Diafthora et d'Angel.

Saal commençait à comprendre.

Le voyageur était rentré à peine une demi-heure plus tôt, avec ses provisions et sa hâte de retrouver sa compagne. Il allait saluer tout le monde, embrasser Sofia et le soir venu la rejoindre en silence – c'était comme une délicieuse routine qui s'était installée depuis des années déjà. Mais à peine avait-il passé le seuil du Foyer qu'elle l'entraînait, sans explication, dans la salle commune. Ses yeux étaient comme rougis d'avoir pleuré. Et Sofia n'avait pas pleuré une seule fois depuis qu'elle avait pris la responsabilité du Foyer.

Dans les yeux des autres Maîtres, il vit la même perplexité qui l'avait assailli alors. Tous ignoraient la raison de leur conseil soudain.

Sofia se leva et se plaça en bout de table, balayant toute l'assemblée du regard. Devant elle, elle avait posé une rose blanche, une rose aux pétales flétris et souillés de sang. Elle l'avait déjà à la main quand Saal était arrivé, et l'étreignait depuis sans doute plus longtemps encore. Les épines en avaient meurtri ses doigts.

– Il est rare que nous ayons à nous réunir ainsi, commença-t-elle. Si vous êtes tous assis à cette table, c'est que la situation est grave, et inédite.

Sa voix flancha. Sofia prit une grande inspiration.

– Angel, qui fut notre frère à tous, a été tué. La meurtrière est une Maître-Esprit. Diafthora.

Elle cracha son nom comme une injure. Mais plus que la haine, Saal lut dans sa voix la tristesse d'avoir perdu un frère, et la frustration, aussi, de n'avoir pu empêcher Dia de sombrer dans la corruption. C'était son élève. Le voyageur la connaissait assez pour savoir qu'elle s'en voulait.

Alors que la surprise et l'effroi gagnaient les visages de ses compagnons, Saal soupira. Il savait Dia fragile, à l'équilibre instable. Mais il avait cru que le Foyer saurait la guider. Et au lieu de cela, elle avait reproduit l'incident de leur voyage. Volontairement, cette fois – si Aphélie voyait ça !

Elle n'a rien compris.

Saal songea qu'elle était perdue, qu'avec tant de morts sur la conscience, son âme était trop entachée. Mais cela aurait signifié l'échec, encore, et il refusait de l'admettre cette fois-ci.

Il ferma les yeux, réfléchissant tandis que les Maîtres-Esprits murmuraient autour de lui. Les esprits, sans doute, sauraient l'aiguiller.

Les esprits ?

Il y eut comme un soupçon d'effroi dans son cœur quand il réalisa le nombre anormalement réduit d'esprits dans le Foyer – d'esprits accessibles, plutôt, car il les sentait bien, mais hors de portée. C'était comme si quelqu'un les enchaînait, un à un, se les appropriait pour en garder le contrôle absolu. Saal ne pouvait rien faire, pas même leur souffler un mot.

Et ils tombaient, l'un après l'autre, sans pouvoir résister ; ils tombaient, prisonniers de chaînes que le voyageur impuissant ne pouvait défaire. Il rouvrit les yeux. Les Maîtres débattaient toujours.

Pendulum - Les Ombres de la Maître-EspritOù les histoires vivent. Découvrez maintenant