Il était très tôt quand Dia se leva le lendemain, bien plus tôt qu'à l'accoutumée. Elle voyait encore la nuit par la fenêtre, et les étoiles pâlissaient à peine dans le ciel.
Elle savait qu'elle ne se rendormirait pas. Elle sortit de sa chambre à pas feutrés, comme si elle craignait de réveiller quelqu'un – les autres Maîtres, peut-être, ou alors ses fantômes de la nuit – et alla aux bains. Sûrement cela la détendrait-il.
Le bassin des femmes était désert, plongé dans une pénombre tranquille que ni la lune ni les étoiles du ciel dégagé ne suffisaient à éclairer. La jeune femme voyait leur lueur vaine à travers les vitrages du toit. Mais loin de déranger Diafthora, la quiétude lui plaisait. Elle lui permettait d'être seule avec ses pensées, plongée dans l'eau froide jusqu'au cou. Il lui arrivait même de s'immerger entièrement, et alors elle se sentait coupée de tout, comme hors du temps.
D'habitude, c'était l'arrivée de Sofia qui mettait fin à sa solitude et à sa baignade. Toutes les autres femmes arrivaient ensuite, au compte-goutte. Pourtant, il était trop tôt ce matin pour que la Maître à la peau mate ne vînt troubler la tranquillité de Dia.
Au lieu de cela, elle vit entrer une Maître qui, si elle n'était pas la doyenne du Foyer, talonnait sans problème Rudio. Dans ses traits affirmés et son nez aquilin, Dia reconnut Claudine, le mentor d'Angel.
La Maître-Esprit releva ses cheveux gris clair et entra dans l'eau fraîche. Elle se mit à nager comme si elle avait été seule – il lui fallut trois longueurs de bassin pour remarquer la présence de Dia.
– Tu es bien lève-tôt, lança-t-elle en guise de bonjour.
– Vous aussi.
Claudine esquissa un semblant de sourire amusé et vint s'accouder au rebord, à côté de la jeune femme.
– Je suis la première à venir, d'habitude. J'aime bien nager seule.
– Je vois.
Dia hésita.
– Moi, je ne sais pas nager, ajouta-t-elle, presque gênée de son aveu.
– Eh bien ! Ne tourne pas autour du pot comme ça ! Je vais t'apprendre.
Claudine alla se placer tout au bout du bassin, enjoignant Dia à faire de même. L'eau, à cet endroit-là, était peu profonde et arrivait à peine à la poitrine des deux femmes.
– Mets-toi sur le dos. Tu flottes ?
Dia hocha la tête.
– Bien ! Tu flotteras aussi sur le ventre. Voilà la base. Allez, retourne-toi !
La jeune femme s'exécuta, se retenant au bord du bassin. Elle laissa Claudine lui montrer les bons mouvements. On sentait dans ses gestes patients toute l'expérience d'années d'enseignement. Suivant les explications de la vieille Maître-Esprit, Dia effectua enfin sa première longueur. Sa nage était maladroite et brouillonne, mais elle nageait.
Juste avant de sortir, revigorée par la baignade et heureuse d'avoir appris, Dia interrogea Claudine :
– Comment se fait-il qu'il y ait de tels bassins au deuxième étage ?
– C'est un génie qui les a conçus.
La vieille Maître lut la déception sur le visage de la novice et ajouta :
– Mais il n'est pas si dur d'être un génie. Après tout, quelle différence y a-t-il entre déplacer des cailloux sans les toucher et construire des bains tout en haut d'une maison ?
– Il y en a beaucoup.
Claudine rit franchement. C'était un son un peu rauque, éraillé par les ans, mais sincère.

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Pendulum - Les Ombres de la Maître-Esprit
FantasyAu royaume de Sigice, il ne fait pas bon croire aux fantômes, et encore moins en fréquenter. Le surnaturel est conduit au bûcher, avec ces gens que l'on nomme sorcières. Dans ce monde de méfiance et d'hostilité, Diafthora, servante au don dangereux...