La petite fille observait en silence.
Immobile, elle sentait les mains de sa mère trembler sur ses épaules. Elle savait que si elle se retournait, elle verrait des larmes rouler sur ses joues, car elle entendait ses sanglots profonds et désemparés. Elle-même ne pleurait pas ; peut-être ne comprenait-elle pas ce qui lui arrivait. Elle n'avait après tout que sept ans.
Un peu plus loin, devant la porte, son père discutait avec un couple. C'était des bourgeois, elle le devinait tant à leurs riches habits qu'à leur refus hautain de passer le seuil du taudis. De temps à autre, il se retournait furtivement. La fillette lisait alors dans son regard un dilemme qui lui échappait, et elle voyait dans ses yeux comme un soupçon de peur. Elle aussi avait peur, peur de ne pas comprendre ce qui lui arrivait, peur de ces mains tremblantes sur ses épaules et de cette lueur dans le regard paternel.
Son père parla longtemps avec l'homme aux beaux vêtements. Dans la petite maison de miséreux, le temps semblait en suspens.
Les sanglots de sa mère redoublèrent d'un coup, faisant sursauter la petite fille. Le riche visiteur venait de tendre une bourse au pauvre homme, une bourse pleine de pièces qui tintèrent en passant d'une main à l'autre.
La pauvresse serra une dernière fois sa fille contre elle, et puis la lâcha, sans un mot, évitant son regard interrogateur. Le sien était plein de larmes, mais ses mains ne tremblaient plus. L'homme en haillons, lui, n'eut qu'un soupir résigné pour la fillette. D'un signe de tête, il l'enjoignit à rejoindre le couple de bourgeois.
La petite fille les dévisagea longuement, l'homme en brocart et la femme en robe luxueuse, jusqu'à ce que cette dernière lui saisisse le poignet. Alors seulement les larmes perlèrent au coin de ses yeux : elle venait de comprendre. La porte de la miteuse habitation ne se referma pas tout de suite derrière elle. Elle sentait le regard de ceux qui avaient été ses parents dans son dos. Mais quand elle se retourna pour tenter de le croiser, ses yeux embués ne virent qu'un panneau de bois clos.
Ils partirent à pied, le mari devant, et la femme suivant avec la fillette. La main ferme de la bourgeoise emprisonnait la sienne. Ils marchaient vite, et la petite fille faillit trébucher plusieurs fois sans qu'aucun des deux inconnus ne fasse attention à elle. La boue souillait ses souliers tout neufs, ceux que son père lui avait offerts la semaine précédente. Elle revoyait son sourire attendri alors qu'il lui disait d'y faire attention, qu'ils avaient coûté cher, qu'elle devrait les porter le plus longtemps qu'elle pourrait.
Les larmes roulaient sur ses joues, formant des ruisseaux amers sur sa peau pâle d'enfant. Sa main lui faisait mal, la femme la serrait trop fort, croyant que cela la ferait avancer plus vite. Une part d'elle espérait que cela ne durerait pas longtemps, qu'on la ramènerait bientôt à la maison ; mais elle savait au fond d'elle que ce ne serait pas le cas.
On l'avait abandonnée.
Abandonnée !
Mais pourquoi ?
Qu'avait-elle fait de mal ? Sa vie ne valait-elle donc qu'une poignée de piécettes ?
Ses larmes s'étaient taries, réduites à de petits hoquets pitoyables, et la petite fille sortit petit à petit de son état d'hébétement tandis qu'ils arrivaient dans une partie de la ville qu'elle ne connaissait pas. Tout était plus cossu que dans son quartier : les taudis avaient laissé place à des demeures soignées ; et les maisons y étaient plus grandes, moins tassées. C'est devant l'une d'elles que l'étau désagréable sur sa main se desserra enfin.
La maison des bourgeois lui parut démesurément grande. Tout n'était qu'étalage de luxe et de richesses – il y avait même un magnifique miroir orné de dorures dans l'entrée. La petite fille y accrocha son regard, rien qu'un instant. L'enfant qu'elle vit en reflet, crasseuse et dépenaillée, lui sembla soudain terriblement déplacée au milieu de toute cette somptuosité.
La femme en robe de soie l'emmena directement à l'étage. Un étage ! La fillette écarquilla les yeux. Jamais elle n'avait vu une habitation aussi vaste, elle qui avait grandi dans les bas-quartiers. Les escaliers eux-mêmes respiraient l'opulence. Elle les gravit en faisant doucement glisser sa main le long de la rampe habilement sculptée, un peu dépassée par le tour que prenaient les évènements.
La bourgeoise aux traits sévères la laissa sur le seuil d'une mansarde sous les toits. La pièce était étroite et chichement meublée : un lit dans un coin, sous une lucarne, et une petite table sur laquelle était posée une cuvette d'eau pour sa toilette. Une pile de vêtements neufs l'attendait sur sa couche. La petite fille les déplia et les observa : c'était une tenue de servante toute simple, mais néanmoins de bonne qualité, bien qu'un peu grande pour elle. Il y avait là une chemise de lin clair et une robe de laine sombre et austère à la coupe simple. Des souliers assortis étaient soigneusement disposés au pied du lit.
La petite fille se changea, abandonnant ses haillons, mais dédaignant les chaussures. Elle en avait déjà des toutes neuves ! « Tu devras les porter longtemps, des souliers comme ça, ça coûte cher » avait dit son père. C'est vrai qu'ils étaient beaux, même si la boue les avait un peu salis.
Son père...
Son sourire tendre.
Et le tintement des pièces qui passaient dans sa main.
Une nouvelle larme roula sur sa joue, empruntant le chemin encore frais qu'avaient tracé les précédentes avant de se tarir. Celle-ci était rageuse.
On l'avait abandonnée. On l'avait vendue.
La colère, petit à petit, se frayait un chemin dans le cœur de la fillette. Elle allumait une lueur troublante dans ses yeux d'enfant et crispait ses petits doigts.
Les souliers tachés de boue rejoignirent le tas de chiffons qui gisait sur le sol.
– Tu devrais descendre. Ils t'attendent, en bas.
La voix avait résonné, tranquille, dans le silence de la chambre. Surprise, la petite fille regarda tout autour d'elle, mais elle était seule. Soudain, un frisson lui parcourut l'échine : l'air semblait s'être refroidi.
Son regard glissa sur la cuvette posée sur la petite table. Un léger courant d'air troublait l'eau claire.
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Pendulum - Les Ombres de la Maître-Esprit
FantasíaAu royaume de Sigice, il ne fait pas bon croire aux fantômes, et encore moins en fréquenter. Le surnaturel est conduit au bûcher, avec ces gens que l'on nomme sorcières. Dans ce monde de méfiance et d'hostilité, Diafthora, servante au don dangereux...