𝟸 | 𝙺𝚄𝚁𝙾𝙾 (𝟸)

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Bonne lecture !

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Seul dans le noir, Kuroo observait le port qui se dessinait au-delà les arbres. Le regard perdu, une chanson à la guitare au bout des lèvres, son fusil sur l'épaule, il montait la garde pour vérifier qu'aucun être vivant n'accostait sur l'île.

Infecté, humain ; peu importait, il fallait surveiller.

À cette heure-ci, tout le camp dormait. Placé au centre l'île, le petit village comportait une dizaine de bungalows, vestige d'un camping de l'Ancien Monde. Ils l'avaient légèrement transformé et installé afin de le rendre confortable, et avaient nettoyé l'île du moindre infecté : le bon côté était que ces enfoirés ne pouvaient pas nager.

À présent, ils vivaient et survivaient tous sur des légumes et des fruits qui poussaient, ainsi que sur des expéditions qu'ils menaient au moins une fois par mois.

Kuroo aimait bien cet endroit : personne ne le forçait à faire quoi que ce soit, et il se sentait utile au quotidien. Il ne craignait plus pour sa vie, pas plus que son ventre ne criait famine dès qu'il partait se coucher.

Il se mit à fredonner quelques instants, avant de se faire interrompre par la voix étonnée de Daishou :

— Depuis quand tu te tapes des karaokés en plein milieu d'une garde ?

La mâchoire de Kuroo craqua presque sous la surprise, tant elle se referma rapidement. D'instinct, ses mains saisirent son arme avec une vitesse impressionnante, et Daishou se retrouva en quelques secondes avec la pointe d'un canon sous le nez.

Ses sourcils se haussèrent, et il leva les mains.

— Calmos, c'est que moi.

Kuroo le fixa un instant en silence, puis baissa son arme dans un soupir. Il se gratta la nuque, et se rassit contre le tronc de l'arbre qui maintenait la petite cabane de garde. Sous ses pieds, les planches craquèrent.

— Qu'est-ce tu fais là ? Il doit être...

— Un peu plus de trois heures, ouais. J'arrivais pas à dormir.

— Donc tu t'es dit que t'allais faire des heures sup' avec moi ?

Daishou haussa les épaules, et s'appuya contre la rambarde en bois. Il resserra sa veste autour de lui, puis croisa les bras sur son torse.

— C'est ça, dans tes rêves. Je faisais juste un tour, histoire d'aller sur le port, quand j'ai entendu ta voix de crécelle.

Un sourire discret apparut sur les lèvres de Kuroo, et il leva les yeux au ciel.

— Ouais, j'imagine que la tentation a dû être insurmontable.

Dans la nuit silencieuse, la présence de Daishou lui parut étrange. Ils n'avaient pas été seuls tous les deux depuis un moment, et la culpabilité menaça de l'avaler tout cru.

— T'es pas de garde, demain matin ? Avec Saeko ?

— Si. Mais ça va, y'a le temps.

— Tu vas être crevé.

— Certains disent que c'est sexy, les cernes.

— Qui dit ça ?

— Des gens.

Daishou sourit. Ses épaules se secouèrent légèrement, sous un rire silencieux.

— Et toi, tu fais quoi demain ?

— Je dors.

— Toute la journée ?

— Nan, je vais manger aussi.

— Tu termines à quelle heure, cette nuit ?

Kuroo haussa un sourcil, mais Suguru ne se retourna pas.

— Six heures. Pourquoi ?

— Comme ça.

Avant, il lui aurait très certainement proposé de passer dans sa chambre. À présent, il ne lui accorda même pas un regard.

— Ok...

Une brise souffla, apportant avec elle les embruns de la mer, et le regard de Kuroo se perdit sur la silhouette de Daishou, accoudé sur la rambarde. Il regardait droit devant, les joues rouge dû à la fraîcheur de fin d'hiver, et nageait un peu dans cette veste colorée qu'il avait trouvée lors d'une expédition. À une époque, Suguru avait commencé à prendre du poids et du muscle. Kuroo avait passé des soirées à l'aider à faire des pompes et des tractions.

À présent, ses cuisses nageaient dans le jean qu'il portait, et ses bras semblaient à deux doigts de se briser. Même son cou paraissait mince, et quand il se penchait, quelques fois au camp, Kuroo pouvait apercevoir la forme de ses clavicules.

Daishou se retourna, et Kuroo détourna le regard.

Sa présence le rendait nerveux : il ne pouvait pas agir comme avant, comme quand il pensait le détester. Il ne pouvait pas non plus agir comme quand il l'aimait, et qu'ils sortaient ensemble. À présent, il ne lui reste plus que la gêne, la culpabilité, et l'espoir que Daishou lui pardonne un jour.

Un semblant d'amitié serait même suffisant.

— Qu'est-ce que tu regardes ? lui demanda Suguru avec un rictus.

Le regard de Kuroo se fixa sur le port, au loin.

— Ce que je suis censé regarder. J'suis de garde, je te rappelle.

— C'est ça. Ouvre l'œil, dans ce cas.

Daishou se redressa avec un air calme et détendu qu'il n'arborait que rarement, puis épousseta sa veste. Il fit un clin d'œil assez déconcertant puis, comme il était venu, commença à disparaître à travers le sol, en empruntant l'échelle qui reliait la cabane au sol.

Il disparut, et Kuroo se retrouva à nouveau seul.

Ses doigts attrapèrent plus fermement encore son arme, et il se frotta rapidement les yeux. Son attention se reporta enfin sur le paysage, éclairé par la lune pleine.

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La mort à genoux || HaikyuuOù les histoires vivent. Découvrez maintenant