𝟷 | 𝙼𝙸𝙺𝙰 (𝟸)

369 75 13
                                    

Bonne lecture !

______________________

Quand Mika apparut dans le dernier rayon du magasin, son fusil tendu devant elle et la mâchoire serrée, elle soupira de soulagement en constatant qu'il était exactement comme les autres : vide. Ses yeux vérifièrent une dernière fois qu'elle n'avait rien loupé, puis elle se tourna en direction de Yachi pour lui faire signe.

La jeune femme soupira de la même manière, puis leva son pouce en l'air. Elle l'a rejoint assez rapidement, engouffrée dans son grand manteau beige.

— Ça fait longtemps qu'on a croisé personne, lui dit-elle en arrivant devant Mika.

Elle rangea son petit pistolet.

— On a croisé trois infectés ce matin. Et deux ce midi, la contredit Mika en fronçant les sourcils.

Yachi secoua la tête.

— Non, de vraies gens. Tu sais, des vivants.

Elle lui fit un petit sourire entendu, et Mika se renfrogna. Elle se détourna et haussa les épaules.

— Aucune envie d'en voir, perso. Qu'ils restent tous dans leurs petits camps, du moment qu'ils me filent des infos.

Du pied, elle retourna un carton avec une grimace. En dessous, ses yeux tombèrent sur deux boites de conserve.

— Bingo, dit-elle tout bas.

Derrière, Yachi fit la moue. Elle ressortit son arme de mauvaise grâce et posa son dos sur la gâchette.

— Je vais aller jeter un coup d'œil dans la réserve. Vois ce que tu peux trouver ici.

Elle lui frôla l'épaule en passant, puis disparut dans les allées. Mika écouta le bruit de ses pas disparaître, puis se mit elle-même en marche.

Ce supermarché était grand : avant la catastrophe, sept ans plus tôt, les gens avaient dû s'y ruer avec violence. Se battre, peut-être. Son frère avait toujours éteint la télévision devant elle, et se contentait la plupart du temps de se ronger les ongles en regardant par la fenêtre. Quand ils avaient été séparés, quand un membre de l'armée lui avait assené un coup sur la nuque, quand Mika avait été emportée dans un camion pour adolescents alors que son frère était resté allongé sur le bitume : à ce moment-là aussi, ses ongles avaient été courts et rongés.

Elle se mordit la lèvre et remplit son sac spécial provision de boite de conserve et de matériaux utiles. Des allumettes, de petites bouteilles de gaz : elle prit tout pour en discuter avec Yachi plus tard.

Mika n'avait jamais été une grande fan de ces lieux : l'Ancien Monde lui faisait peur à présent, l'existence d'une civilisation l'effrayait, et elle préférait largement se dire que sa vie avait toujours été comme ça, et qu'elle n'avait jamais connu le plaisir d'une douche brûlante, de la sensation des draps propres autour de son corps, de l'odeur de ses vêtements tout juste sortis du sèche-linge.

Qu'elle n'avait pas eu un jour des amis, un copain, des parents, et un grand-frère bien présent.

Que tout ce qui lui restait, ce n'était pas juste cette jolie fille avec des nattes qui avaient un beau jour défoncé la tête d'un zombie avec une planche à découper, simplement pour sauver l'inconnue qu'elle était d'une attaque qui lui aurait été fatale.

En y repensant, Mika ne put s'empêcher de frissonner face à la peur qu'elle avait ressentie ce jour-là. Le souvenir du doux sourire de Yachi et de sa voix essoufflée, qui lui avait demandé si elle allait, bien resterait sûrement à jamais gravé dans sa mémoire.

Elle attrapa une nouvelle boite de conserve, qui contenait apparemment des cannellonis à la viande de bœuf. Ses doigts firent reculer la poussière qui s'était déposée sur le pot, et Mika prit quelques secondes pour lire les ingrédients notés sur le côté.

Soudain, un cri déchira le silence du supermarché, et sa conserve tomba sur le sol. Elle n'eut pas le temps de se retourner qu'aussitôt trois coups de feu furent tirés : elle s'élança vers la réserve.

Trouver la porte fut plutôt simple pour son champ de vision réduit, et Mika sentit de la sueur terrorisée prendre place dans son dos. Ses doigts se resserrèrent autour de son fusil, tandis qu'un seul nom résonnait dans ses pensées.

Yachi. Pas Yachi. Ne la prenez pas, elle aussi.

Quand elle arriva dans le couloir, la première chose qu'elle vit fut son amie, assise sur le sol contre le mur, le canon de son arme posé sur le sol devant elle. Ses deux mains serraient encore la crosse avec un tremblement irrationnel.

Mika se rua vers elle, et fixa ses yeux écarquillés.

— Yachi ! cria-t-elle en dépit de la première loi de survie dans ce monde : le silence. Yachi !

Elle ne sut quoi demander, et se contenta de poser brutalement ses genoux à côté d'elle en ouvrant son manteau : pas de morsure, pas de plaie ouverte. Les coups de feu avaient bien été les siens.

— Pas moi, je...

La jeune femme fronça les sourcils et avala une grande goulée d'air. Son regard se détacha enfin de la porte ouverte devant elle : d'un coup d'œil, Mika aperçut un homme sur le sol, une arme dans les mains.

— C'est qui ce salopard ?

Yachi frissonna, alors Mika lui ferma son manteau.

— Qu'est-ce qui s'est passé ?

Elle crut bien devoir répéter, mais Yachi finit par secouer violemment la tête. Ses yeux retrouvèrent leur aspect clair et conscient.

— Pardon. J'ai eu peur, et ça fait tellement longtemps. Quand j'ai ouvert la porte de la réserve, y'avait ce mec, et son arme était fixé sur moi alors j'ai...

Elle lâcha son pistolet comme s'il l'avait brûlé. Au début, quand Mika le lui avait mis pour la première fois dans les mains, elle n'avait pas osé s'en servir. Plus, devant l'obligation, elle s'était silencieusement promis de ne pas l'utiliser sur des humains.

Yachi, malgré tout, devait bien être la seule à garder cet espoir idiot sur l'avenir de l'humanité. Les survivants étaient tous des enfoirés, ça allait de pair.

— C'était toi ou lui, répondit Mika en le récupérant sur le sol. T'as fait ce qu'il fallait.

— Si ça se trouve, son arme était même pas chargée.

Mika lança au mort un regard soupçonneux, puis haussa les épaules.

— On s'en fout. Je préfère largement le savoir mort lui, plutôt que toi.

Sa main se posa sur celles de Yachi, puis elle lui toucha distraitement les cheveux.

— Yachi. T'as fait ce qu'il fallait, répéta-t-elle. On s'en fiche de savoir s'il était jeune, vieux, blessé ou en pleine forme. Toi, tu vas bien.

Le supermarché était redevenu silencieux, mais nul doute que le bruit avait du attiré les infectés les plus proches. Ou pire, si ce gars n'était en fait pas si seul que ça.

Mika lui tira doucement la main.

— Lève-toi. Il faut qu'on s'éloigne.

Yachi lui obéit sans discuter, et devant le regard qu'elle lança au cadavre de ce type, Mika ne put s'empêcher de murmurer :

— Pense à moi. Dans ces moments-là, pense à moi, ok ? Je peux largement vivre sans lui, je le connais pas, mais je peux pas vivre sans toi.

Puis elle rajouta :

— Ta vie est bien plus importante.

____________________________

🌱

La mort à genoux || HaikyuuOù les histoires vivent. Découvrez maintenant