Chapitre 25 : Il pleut encore

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Et bien voilà, nous y sommes. J'ai choisi pour cet ultime chapitre une peinture de Georges Moteley intitulée L'Orne, viaduc de Clécy. J'imagine bien Jésus se promener tranquillement sur ces berges, profitant des douces lumières de l'automne. Il aura oublié son parapluie, mais saura savourer la fine bruine de cet fin d'après-midi. 

Le temps coule inexorablement, emportant dans son sillage les êtres et les sentiments.

Bonne lecture !

* * *

Jésus était dans sa serre, où régnait une agréable chaleur. La pluie tambourinait violemment contre les battants de verre. Une douce mélodie qui le conviait à un état contemplatif, reposé.

Ses jardins n'avaient plus la splendeur d'autrefois. Il était seul désormais pour s'en occuper, et parfois, il manquait d'énergie, et abandonnait la brouette chargée de terreau sur place. Il y avait toujours le lendemain pour s'en charger. La maison également était un peu moins bien entretenue, en dehors des pièces principales où il vivait encore. Sa chambre, sa bibliothèque et sa cuisine. Un manoir pour une personne seule, quelle drôle d'idée. Mais il n'avait pu se résoudre à déménager, à quitter ce cocon qui était à lui depuis si longtemps. Alors malgré le manque d'argent, il subsistait, paisiblement. De temps à autre, il vendait un meuble ou un vase de décoration qu'il dénichait dans une chambre inoccupée. Il ne se sentait plus attaché à rien, en dehors de ses livres et de ses oiseaux.

Que la vie passe vite.

Un lent, très lent tourbillon, qui le saisissait par son ampleur, et dont la force était impossible à contrer. Jésus s'y laissait emporter sans remord, sans chagrin, sans regret. Plus rien ne le retenait ici.

Son état de santé ne cessait d'impressionner son médecin, qui s'exclamait sur la vaillance exceptionnelle de son cœur à qui mieux mieux. Jésus aurait tout donné pour transmettre son cœur à Amandine. Ou sa vaillance à Lucas. Ou sa longévité exceptionnelle à Lucie.

Il avait participé, contre son gré, à quelques événements censés célébrer sa vie. Le palier des 100 ans, surtout. Et depuis, les mois s'empilaient, Jésus était toujours capable d'errer dans sa maison, aidé d'une simple canne, et il avait assisté à l'enterrement d'Amandine avec l'impression d'y enfouir sa dernière parcelle de volonté de vivre.

Et pourtant, il était toujours là.

Parfois, il se disait que peut-être le monde ne pourrait continuer sans lui.

Parfois, il se demandait comment il était possible de continuer à vivre sans plus personne autour de soi.

Oh, bien sûr, il avait les infirmières, une infirmière par semaine qui passait le jeudi matin afin de lui faire une petite piqûre, il y avait aussi la cuisinière, qui faisait livrer chaque jour trois repas chez lui, et puis également l'aide-ménagère, qui, par un curieux hasard, s'appelait Camille. Douloureux souvenir. Jésus évitait de lui parler. Il ne devait plus s'attacher à personne. C'était trop risqué à son âge.

Les seuls liens qu'il chérissait encore, c'était avec les précieux ouvrages de sa bibliothèque, même si ses yeux s'y fatiguaient trop vite, et avec les petites mésanges qui batifolaient dans son jardin.

Tout était déjà réglé, ratifié, notifié dans des documents officiels. Le jour où il partirait, tout était prêt. Son manoir deviendrait un lieu d'accueil, sa bibliothèque accessible à tous, et son jardin transformé en petit parc naturel pour oiseaux.

Mais il était toujours là.

Jésus s'assit lourdement sur un banc ouvragé dans un recoin de la serre. Tous ses os le faisaient souffrir, mais il en avait pris l'habitude. Sur la petite console en face de lui, dans un écrin de verdure soigneusement composé et entretenu, la petite sculpture en bois d'Amandine, d'une finesse qui l'impressionnait toujours autant.

Une mésange, sur le point de s'envoler, irrésistiblement attirée par les cieux.

Jésus revoyait le sourire d'Amandine lorsqu'elle lui avait offert ce présent, son regard malicieux lorsqu'elle avait dit que, bientôt, son œuvre allait valoir une fortune. Jésus entrapercevait derrière ses souvenirs vaporeux le sourire de la petite fille qu'il avait rencontrée pour la première fois chez le dentiste, des milliers d'années plus tôt. L'après-midi embrumé où sa vie s'était crochetée avec celle d'Amandine, et où elle avait enfin pris un sens, sans qu'il ne s'en doute.

Jésus leva les yeux vers les lourds et lointains panneaux de verre, derrière lesquels la mésange en bois et son âme semblaient prisonnières. Juste au-dessus de sa tête, l'un des panneaux était brisé.

Il avait cessé de pleuvoir.

* * *

Ici sonne la fin de l'histoire de Jésus.

A tout de suite dans l'épilogue !

Les mésanges et JésusOù les histoires vivent. Découvrez maintenant