Chapitre 8 : Dans le noir

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Bien le bonjour !

J'espère que vous allez bien, qu'il fait soleil, que les petits oiseaux chantent, toutes ces petites choses du printemps qui rendent la vie confinée un peu plus belle ! Ici un chapitre qui progresse tranquillement vers les retrouvailles entre Jésus, Amandine et Lucie.

Nous retrouvons Georges Moteley avec Bords de l'Orne à Clécy, très lumineux pour contrebalancer le titre de ce chapitre !

Bonne lecture, et à mardi pour la suite !

* * *

Par pur hasard, Lucie recroisa l'étrange monsieur qui lui avait avancé ses achats, quelques jours plus tard, dans cette même boulangerie. Elle régla sa dette promptement, croyant à peine en sa chance. Elle détestait se sentir redevable.

- Merci encore, pour ce que vous avez fait.

Visiblement, ses remerciements en effusion le gênaient, et pour une raison qu'elle ignorait, cela l'amusait.

- Vous habitez loin, monsieur Puntarias ?

- Non, pas vraiment. Un peu plus loin.

Ils s'engagèrent dans une même rue, un peu moins commerçante, et de fait, un peu moins bruyante. L'homme sembla être un peu plus apaisé, même s'il ne cessait de se tordre les mains, une furieuse habitude qui perturbait Lucie.

- Et vous ?

La jeune femme devina qu'il se forçait à une sociabilité dont il n'éprouvait visiblement pas le besoin, et cela la renvoya si brusquement à elle-même qu'elle trébucha stupidement en descendant d'un trottoir.

- Un peu moins loin je pense, nous habitons dans le quartier des mésanges.

L'homme lui adressa un regard en coin, assorti d'un sourire sincère.

- Très joli nom.

Elle ne put qu'acquiescer. Elle n'avait pas acheté la maison uniquement pour cela, mais ça avait été un argument tout de même.

- J'ai nombre de mésanges dans mes jardins, je les apprécie beaucoup.

- Amandine aussi. Elle pourrait passer des heures à les regarder dans le petit bout de verdure à l'arrière de la maison.

Ils marchèrent quelques minutes en silence, plongés dans leurs pensées respectives.

- Si vous voulez, votre petite fille pourrait venir contempler tout son content les oiseaux chez moi, je vous offrirai le thé.

Il parut regretter instantanément sa proposition. Lucie hésita, ne voulant pas lui forcer la main même s'il venait pourtant de les inviter chez lui.

- Échangeons nos coordonnées, nous pourrons peut-être organiser ça un jour ou l'autre.

L'homme parut invraisemblablement soulagé de sa réponse évasive, à la fois positive et négative. Elle lui écrivit son numéro de portable au dos d'un ticket de caisse lambda et il lui tendit une carte élégamment calligraphiée, où se détachaient en lettres dorées et élégantes « Manoir de la famille Puntarias, clos des vieux cirés, 14570 Clécy », suivi d'un numéro de téléphone fixe.
Intriguée malgré elle, Lucie le remercia et leurs routes se séparèrent, monsieur Puntarias empruntant une petite ruelle arborée sur la gauche, elle poursuivant tout droit pour rejoindre l'avenue principale.
L'un et l'autre persuadés de ne jamais se revoir, Jésus parce que sa proposition était terriblement indécente et ne méritait vraisemblablement pas de se concrétiser ; Amandine parce qu'après tout, il n'existait pas qu'une seule boulangerie à Clécy et que les chances de se croiser à nouveau par hasard, après tant d'années sans se rencontrer, tenaient du miracle.

C'est pour toutes ces très bonnes raisons que Jésus Puntarias, confortablement installé dans son petit salon extrêmement privé aux alentours de 22 heures un mardi soir, resta confus lorsque l'homme chargé de veiller au bon ordre de la maisonnée vint le trouver pour lui apporter le téléphone fixe sans fixe qui ne sonnait jamais ou presque.
Il avait mis sur attente une madame très polie mais un peu paniquée, qui avait demandé à parler à monsieur Puntarias de toute urgence.

Jésus considéra longuement le téléphone comme un serpent susceptible de jaillir à tout moment pour lui administrer son venin fatal, puis se résolut à abréger l'attente douloureuse de son employé, qui était censé rentrer chez lui pour retrouver sa famille. Comment s'appelait-il déjà ?

- Merci, Daniel, je vais prendre l'appel.

L'appareil lui fut prestement remis et l'homme prit congé sans plus tarder.

- Bonsoir, monsieur Puntarias à l'appareil, articula Jésus, se souvenant à l'ultime seconde de la politesse dont il devait faire preuve, quand bien même il était très tard et que l'appel le perturbait.

- Monsieur Puntarias, je suis vraiment désolée de vous déranger à cette heure tardive, c'est Lucie Taillefer, la maman d'Amandine, je ne sais pas si vous vous souvenez de nous, je suis terriblement gênée mais nous avons un gros problème, le courant a sauté dans tout le quartier, les services de la mairie sont venus et les réparations peuvent prendre plusieurs jours, je m'en veux de vous demander cela mais je n'ai pas de famille dans les alentours et la mairie propose un relogement dans un centre social à plusieurs kilomètres, et, je -

- Madame Taillefer, tenta Jésus, essoufflé comme si la diatribe venait de lui, Lucie, reprit-il une fois assuré de son attention. Ne vous en faîtes pas, j'envoie mon chauffeur vous chercher.

- Je...

- J'ai votre adresse, il n'y a aucun problème. Préparez quelques affaires, on viendra vous chercher d'ici une vingtaine de minutes. À très vite.

Jésus raccrocha, stupéfait de son assurance soudaine. Il jaillit de son fauteuil rembourré, ouvrit la porte à la volée et dévala les marches.

- Daniel ! scanda t'il.

Ledit Daniel, la main sur la poignée de la porte le menant à la liberté, se retourna vers lui, afficha un sourire poli malgré la conduite inhabituelle de son employeur et « Monsieur ? ».

- S'il vous plaît, prenez la voiture et allez chercher une demoiselle et sa mère à l'adresse que voici.

Il extirpa le papier fin du ticket de caisse de son portefeuille et le tendit à Daniel, qui soupira imperceptiblement.

- Oui, Monsieur.

Jésus culpabilisa, avant de se souvenir qu'il l'employait précisément pour ce genre de situations, et pas seulement pour organiser les emplois du temps des femmes de ménage et autres employés, et qu'en plus, il le payait grassement. Mais il continuait de culpabiliser en entendant le moteur de la ronflante et luxueuse voiture berline démarrer dans la nuit.

Il se rendit subitement compte qu'il attendait stupidement dans le noir, inactif, alors qu'il devait vérifier les chambres disponibles et demander une collation peut-être. Il tourna les talons derechef. Il sélectionna après un tour complet des chambres des invités la petite suite jaune, dotée d'un ample lit moelleux et d'une petite dépendance comportant deux lits simples d'enfants. Il eut un petit pincement au cœur. Depuis qu'il vivait ici, il n'avait jamais vu personne occuper cette suite. Ni les autres chambres d'ailleurs.

Il alluma toutes les lampes réparties dans la pièce principale, comme pour conjurer le sort.

Les mésanges et JésusOù les histoires vivent. Découvrez maintenant