Chapitre 16 : Notre-Dame aux oiseaux

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Bien le bonjour ! 

Le mois de mai s'achève, il fait chaud et beau. Plongeons dans Le jardin du peintre André Hardy, peint par Hugues-Claude Pissarro (qui n'est pas normand, certes, et qui est toujours vivant), et qui a des airs du parc de Caen où Amandine flâne. Bonne visite, ou plutôt bonne lecture !

* * *

Amandine adorait le parc de la Colline aux oiseaux de Caen. Rien que pour cela, même pour quelques instants seulement, elle regrettait un peu moins d'avoir quitté Clécy. Les allées pavées de pierre blanche, les fontaines chantantes et les arceaux croulants sous les lierres et autres plantes grimpantes, tout cela participait à une ambiance estivale chaleureuse et accueillante. Parfois, certains petits chemins étaient pavés de mosaïque, dont elle ne se lassait pas d'étudier les motifs complexes. Et surtout, elle adorait les oiseaux qui y nichaient. Même au plus rude de l'hiver passé, qui avait été exceptionnellement froid, au point que le bassin central avait gelé, elle allait rendre visite aux petits moineaux et autres passereaux qui survivaient tant bien que mal. Elle laissait dans son sillage un petit chemin de graines que les oiseaux suivaient, à bonne distance d'elle, en piaillant.

En cette saison, tout était vert, luxuriant, du fait de la pluie abondante ce printemps dernier. Elles habitaient désormais dans une coquette petite allée fleurie, non loin d'un hôpital qui faisait face au Mémorial de la ville. Lucie y avait emmené sa fille dans les deux premières semaines de leur arrivée. Amandine avait du mal à se défaire de l'image de l'immense sculpture de bronze d'un pistolet au canon noué. Son nom était « Non-Violence », et pourtant la jeune fille avait été mal à l'aise en sa présence et, bien qu'elle doive passer par le parc commémoratif pour rejoindre la Colline aux oiseaux, elle l'évitait soigneusement. Elle ne parvenait pas à comprendre qu'une statue aussi lugubre soit un symbole de paix.

Arrivant sur l'immense place aux innombrables drapeaux, elle bifurqua à droite, gravit quelques degrés irréguliers et avança le long d'une allée de graviers, entourée de pelouses impeccablement tondues. Rapidement, il y eut bien moins de monde autour d'elle et elle se détendit un peu. Les vigiles qui patrouillaient dans les environs de mémorial ne l'aidaient pas à se sentir à son aise là-bas. Ici, la végétation, bien que bien entretenue, n'était pas aussi contrainte. La place du bassin central, en forme d'amphithéâtre, était presque vide. Ce samedi matin, sa maman travaillait, mais l'avait autorisée à aller se promener, à condition qu'elle s'en tienne aux endroits qu'elle connaissait déjà. De toute façon, en ce jour, Amandine se sentait un peu lasse, et très loin de l'esprit d'une aventurière. Elle parvint assez vite à son espace préféré, une sorte de petite enclave végétale où il n'y avait quasiment jamais personne. Une fois, il y avait eu un couple, et Amandine, terriblement gênée de les interrompre alors qu'ils s'embrassaient, avait pris la fuite. Un geste inutile puisque la femme s'était excusée en rougissant joliment, et ils s'étaient éloignés assez vite, en se tenant la main. Ce jour-là, Amandine avait réalisé qu'elle n'avait jamais vu sa maman embrasser quelqu'un sur la bouche.

Son repère secret était déserté de toute présence. Elle s'installa sur le banc le plus en retrait, d'où elle était invisible depuis le chemin qui passait non loin. Elle s'allongea de tout son long et inspira profondément. Heureuse d'être là.

Au fur et à mesure que le temps passait, et voyant que l'intruse ne daignait pas bouger, les oiseaux reprirent leur petite vie autour d'elle. Un couple de mésanges nonettes se chantaient des mots doux. Un gobemouche gris, perché solennellement sur une barrière, guettait probablement quelque insecte à se mettre sous le bec. Elle finit par apercevoir, ravie, une linotte mélodieuse, reconnaissable à la petite tâche rouge au-dessus de ses yeux. La journée avançait, le soleil était désormais presque au zénith, mais Amandine bénéficiait de la fraîcheur ombrée d'un chêne.

Un doux bavardage vint perturber sa quiétude. Le crissement des graviers du chemin non loin. Un couple s'approchait. Elle était très grande, très blonde, vêtue de vêtements très colorés. Lui, au contraire, était d'apparence très banale, tout en gris, y compris ses cheveux qui atteignaient le menton de sa compagne. Car il s'agissait d'un couple, de cela elle en était sûre et certaine. Ils rayonnaient d'une énergie commune qui la fit taire sa frustration de voir son espace envahi de la sorte. Mais une fois à proximité, ils se turent, s'installèrent d'un même mouvement sur un banc perpendiculaire au sien, comme s'ils étaient un seul et même être. Ils se taisaient, et c'est en silence que l'homme exhiba un appareil photo à l'objectif démesuré, en silence que la femme lui adressa un discret signe de tête. Ils se fondirent dans l'environnement ambiant comme elle l'avait fait elle-même auparavant.

Seul le cliquetis de l'appareil photo troublait parfois la quiétude de la nature. Amandine les observait autant qu'elle guettait les oiseaux. Le jour s'étira, les heures s'étiraient. La fin d'après-midi, avec ses ombres allongées et son soleil rasant, vint se poser en douceur. Les oiseaux se firent plus rares. Puis Amandine sentit le froid tomber doucement et elle frissonna sans pouvoir s'en empêcher. Le couple se leva, toujours silencieusement. Ils lui adressèrent un signe de tête et regagnèrent le chemin. Amandine se leva d'un bond de son banc, ressentant un léger étourdissement, mais qui ne l'empêcha pas de se ruer à leur poursuite.

- Excusez-moi !

Sans réfléchir à ce qu'elle allait demander et qui la faisait sûrement passer pour une fille mal élevée, elle osa ajouter, une fois qu'ils se furent retournés :

- Est-ce que je pourrais voir vos photos ? Les photos que vous avez pris, ajouta t'elle en voyant qu'ils ne répondaient pas, des oiseaux du parc.

L'homme leva les yeux vers la femme et ils échangèrent un sourire.

- Bien sûr. Nous avons un atelier en ville. Tu peux venir quand tu le souhaites.

La femme lui tendit une petite carte de visite, aussi colorée que sa tenue. Amandine balbutia des remerciements, tout à coup intimidée d'être en face d'artistes. Le couple, après lui avoir dit au revoir, s'éloigna dans le jour tombant. Avant de ranger soigneusement la carte dans la poche de son pantalon, Amandine la détailla avec curiosité. La calligraphie, simple et soignée, annonçait qu'elle pouvait trouver l'atelier Notre-Dame des oiseaux au 12, rue de Vaucouleurs, à Caen, tous les jours, de 10 à 18 heures.

Réalisant tout à coup l'heure qu'il devait être et la faim qui grondait dans son estomac, Amandine se mit à courir dans la direction opposée. Il était temps de rentrer à la maison.

* * *

La suite jeudi, où Lucie et Amandine continuerons de dévoiler leur quotidien à Caen.

Prenez soin de vous et à très vite !

Les mésanges et JésusOù les histoires vivent. Découvrez maintenant