Chapitre XXI : Dilemma*

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*du grec ancien, signifie dilemme


Ceux qui affirment que le temps guérit les blessures sont des putain de menteurs. Ne les croyez pas. En ce qui me concernait, le temps n'avait pas guéri mes blessures. Je m'étais juste habitué à la douleur. Car, oui, on s'habitue à tout... ou presque.

— Deux briquets, s'il vous plait. Et 50 dollars de carburant.

Le mec derrière le comptoir tenta de me sourire. Je m'en foutais. Je quittai la station-service après avoir mis le plein, direction l'aéroport de Christchurch, en Nouvelle-Zélande. J'y avais passé plusieurs semaines. Après avoir fait l'Afrique du Sud, Madagascar et le Brésil. Je n'y avais trouvé rien d'autre qu'un peu de paix, dans mon coin, toujours aussi prudent.

Je voyageais sous un faux nom. Andrew Fox. Ce nom, je l'avais enfilé comme une casquette que je n'avais plus enlevée. Il me collait à la peau. Pourtant, je n'oubliais pas qui j'étais réellement...

— Vous allez en vacances où vous rentrez chez vous ?, me demanda la belle rousse qui s'assit près de moi.

— Des vacances.

Elle se pencha subtilement et me sourit.

— Je vois...

Elle insista pour me parler tout le long du vol. Je la trouvais très sympathique en plus d'être très jolie mais... parler aux gens n'était pas un de mes hobbies. Encore moins depuis que j'avais quitté Los Angeles. A notre arrivée à Seattle, elle m'arracha un simple sourire qui n'aboutit à rien d'autre. Je rejoignis, grâce à un taxi, ma chambre de motel.

C'était dans des chambres de ce genre que je passais la plupart de mon temps. A Madagascar, j'avais pu me poser trois semaines dans une petite maison discrète en bord de plage mais les chambres glauques qui puaient la cigarette étaient devenus mon quotidien.

Ce n'était pas une vie. L'affaire, la mission n'avançaient que très peu. Deux mois et demi plus tôt, deux hommes avaient réussi à infiltrer le gang et avaient confirmé la thèse de la vengeance. Rien de plus... Les Dolores étaient toujours à mes trousses avec à leur compte une deuxième exécution avérée. Quant à Paula, son corps n'avait jamais été retrouvé... Tout comme moi, les autres avaient certainement pris leurs précautions et étaient désormais (presque) introuvables. Nous étions entraînés pour ça, après tout... La survie en milieu hostile.

Comme souvent, j'allumai la télévision, allongé dans le lit désagréable de la chambre, mon flingue posé près de ma main. Je n'avais pas posé les pieds sur le territoire américain depuis que j'étais parti soixante-dix jours plus tôt. Et, je n'avais pas réussi à passer à autre chose. Je pensais à elle, tout le temps. D'ailleurs, je l'avais surveillé de loin, grâce à mes contacts. Après mon départ, elle avait fait deux semaines chez sa mère. Elle était revenue à Los Angeles ensuite. Puis, elle était allée vivre à New York avec Camilla, dans Brooklyn... Sa carrière au cinéma avait stagné, elle n'apparaissait plus tellement aux évènements publics, semblait n'avoir personne d'autre dans sa vie.

Une fois. J'avais craqué une seule putain de fois peu de temps après mon départ. Un seul dérapage. Et, j'avais pris contact avec elle. Je lui avais demandé de ne pas s'inquiéter, de prendre soin d'elle... Après ça, j'avais pleuré. Mon cœur était brisé. Je culpabilisais, je souffrais de toute cette situation tout en étant totalement conscient qu'elle était nécessaire.

Mais, il y avait quelque chose que je sous-estimais... Le pouvoir de l'Amour que j'avais encore pour elle. Cet amour qui m'avait fait craquer une fois et qui n'allait pas tarder à me surprendre...

Pourtant, je devais la laisser vivre sa vie. Elle méritait le bonheur, en paix. Je ne pouvais pas débarquer subitement dans sa vie comme ça, l'espace d'un instant... juste pour pouvoir sentir son odeur ou la regarder dans les yeux... Non, c'était impossible... Pas pour mon petit plaisir.

Du côté de ma famille, Ruby et Derek, eux, venaient d'apprendre qu'ils attendaient leur premier enfant... J'avais eu des nouvelles très récemment. Enfin, une chose qui m'avait mis un peu de baume au cœur...


***


Malgré les efforts que je fournissais pour ne pas le faire, je finissais toujours par penser à Kiana. Tout ce que j'avais d'elle n'étaient plus que des souvenirs et quelques photos que j'avais gardé. Elle me manquait. J'avais même l'impression que mon amour pour elle était plus fort... peut-être parce qu'elle n'était plus qu'un fantasme pour moi.

Pourtant, après deux longues semaines passées à Seattle, je finis par prendre le risque de me rendre à New York pour quelques jours. Quelques simples jours...

Croupi dans un vieux motel du Bronx, je m'étais dit que plus je me positionnais loin de Brooklyn, moins j'allais avoir envie de la voir, moins j'allais avoir de chance de la croiser... Pourtant, il ne me fallut que très peu de temps pour prendre une mauvaise décision. En 24 heures, j'avais des informations sur les deux colocataires. Elles vivaient au quinzième étage d'un immeuble qui en avait vingt, dans un quartier plutôt calme. A quelques pas d'un joli parc boisé. En 48 heures, j'ai appris que Camila tournait dans un film, que son petit ami était avocat et qu'elle passait beaucoup de temps avec lui. Kiana, elle, ne semblait pas avoir d'homme dans sa vie... Puis, rapidement, je me suis retrouvée devant leur immeuble, à veiller que quelque chose se passe. J'allais probablement la revoir, elle faisait sa marche dans le fameux parc, un jour sur deux.

J'avais peur de ma réaction. Je ne savais pas comment j'allais réagir en la revoyant, même de loin. Je craignais ne pas pouvoir retenir mes larmes, ou même de disjoncter et de faire une bêtise.

Vers quinze heures, alors que j'étais assis sur un banc du parc depuis plus d'une heure, je l'ai aperçue. Elle avait une tenue de sport, un leggings super moulant... Nom d'un chien, elle était encore plus belle que dans mes souvenirs... Un tel plaisir pour mes yeux que je dus me retenir de baver... Alors que les battements de mon cœur s'accéléraient, je luttai pour être discret tout en paraissant normal. Puis, elle traversa la route lorsqu'elle put et rejoignit le trottoir du côté du parc. Elle s'enfouit à travers les buissons et reprit une des allées.

Je pouvais la rattraper... Mais, je ne devais pas le faire. C'était une prise de risque inutile. Et je devais la laisser vivre sa vie, ne lui donner aucun espoir... Merde... Mon pouls s'affola, une chaleur insoutenable me monta à la tête... Je perdis le contrôle prématurément, l'envie étant plus forte que moi...

Alors, j'écoutai mon cœur, décrochai et me mis à la suivre. Elle marchait à un rythme raisonnable, les écouteurs implantés dans les oreilles. Positionné à quelques mètres derrière, je pris le temps de rattraper tout ce temps sans pouvoir la voir et scannai la moindre portion de son corps, le moindre de ses gestes. Elle était au téléphone, comme si de rien n'était, ne se doutant de rien du tout, répandant son odeur fruitée derrière elle. Nous avons croisé plusieurs personnes, nous nous sommes fait dépasser par d'autres aussi.

Je faisais une bêtise et j'en étais conscient. J'étais déjà allé trop loin, attiré comme un aimant. Plus j'avançais plus je prenais le risque qu'elle me voit... comme si je voulais qu'elle me voie. Au même moment, la culpabilité me gagna. Je réalisais que je n'aurais jamais dû poser les pieds sur le sol américain...

Maintenant, elle riait aux éclats. Qui donc pouvait la faire rire de cette manière ? Puis, soudainement, elle s'arrêta et s'appuya à une des rambardes du chemin bétonné.

Tout se passa très rapidement : elle tourna nonchalamment la tête vers moi, je me figeai. A ce moment-là, me dissimuler était le dernier de mes soucis : j'étais obsédé par l'envie de plonger mes yeux dans les siens.

Tout d'abord, elle ne se rendit pas compte de qui elle avait vu. Elle détourna le regard le temps d'une seconde avant de le diriger à nouveau dans ma direction. Je ravalai ma salive. J'avais eu le temps de partir bien avant mais non, j'étais resté là, comme un con.

Addicted (suite de Lust)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant