Le dernier Héraut

15 ans plus tard

Jordi s'était réveillé de bonne humeur ce matin. L'absence de nuage dans le ciel prévoyait une journée ensoleillée, comme il les aimait. Il ouvrit de bonne heure son armurerie.

Il avait prit soin au préalable de nettoyer chaque arme et armure qu'il avait confectionnée ces dernières années. C'est vrai que ces derniers temps il ne vendait pas beaucoup d'armes.

Karlsa est une petite ville paisible à l'est de Krios.

On peut y entendre les marchands de la grande avenue crier pour attirer le plus de clients. On y vend de tout, des épices, des baies, de la fourrure, des bibelots, de la viande, certains légumes ...

Mais moins nombreux sont ceux qui prennent la peine d'aller jusqu'au quartier des artisans au sud de la ville. C'est pour cette raison que Jordi s'était mis à faire dans « l'illégalité ».

Ses bonnes relations avec le sergent d'armes Elrik lui permettaient de faire ses affaires sans être importuné par la garde de Karlsa. Il n'était pas là question de corruption, mais de conflit d'intérêts. En effet, Jordi faisait des rabais sur les armes qu'il vendait à toute la garnison et c'était le seul forgeron de la ville. L'un fermait les yeux tandis que l'autre vendait de moins en moins cher ses armes.

La porte de son magasin s'ouvrit. Une silhouette à capuche noire se faufila devant son comptoir.

- Enlève ça tu veux ? t'en as pas besoin ici. Lui dit l'armurier.

L'ombre enleva sa capuche laissant apparaitre une jolie femme d'environ un mètre soixante-dix avec des cheveux noirs qui tombent jusqu'aux épaules. Sa peau est pâle comme les gens qui habitent cette région et ses yeux bleus promettent une froideur qu'elle s'empresse de livrer :

- C'est bon, j'ai ce que tu m'as demandé.

- On avait dit 80 non ? Tenta l'artisan.

Malgré la taille et la musculature imposante de son interlocuteur, la jeune femme ne faiblit pas.

- 100, ne me fait pas perdre mon temps Jordi. Reprit elle avec assurance.

Il déposa l'argent sur le comptoir sans la quitter des yeux.

- J'ai un gros coup pour toi !

- De quel genre ? répondit-elle intriguée.

- Des documents chez Ysul. Un messager officiel est venu lui rendre visite hier. Trouve les. Les informations qu'ils contiennent peuvent valoir leur pesant d'or. 

La jeune femme sembla hésiter mais elle saisit la bourse et tourna les talons :

- Je prends.

En sortant Ennei rabattu sa capuche sur sa tête. Elle aimait bien Jordi, c'est la seule personne qui la connaissait un peu. Avec qui elle avait des interactions. Même s'il essayait souvent de l'embrouiller sur le prix, elle savait qu'elle pouvait lui faire un minimum confiance.

Pendant ces 15 années, il avait été un associé fructueux, elle avait d'abord commencé à gagner un peu de pièces en vendant ces prises de chasse à des marchands mais très vite ses talents et sa discrétion firent d'elle une très bonne voleuse et une tueuse professionnelle. Jordi s'était donc imposé comme une évidence à ses yeux.

Il lui apportait les missions, elle les exécutait, il la payait. Elle ne voulait rien savoir, ni rien n'avoir à faire avec la politique ou les véritables motivations des meurtres ou vols qu'elle commettait.

Se nourrir, survivre et ne pas se faire remarquer, s'était tout ce qui importait pour elle.

Elle retournait toujours dans sa grotte à flanc de montagne après un travail accompli. C'était devenue son chez elle depuis cette nuit-là. Elle l'avait aménagé d'une commode où elle rangeait ses seuls biens : un arc et des flèches que Jordi lui avait offert après qu'elle lui ait rendu un service ainsi qu'une tenue de rechange, identique à la sienne en cuir brodée avec une longue capuche noire.

Elle s'y sentait bien. La jeune femme pouvait passer des heures à contempler la forêt de sa hauteur. La solitude lui paraissait comme une bouffée d'oxygène. Elle s'endormait paisiblement sur une paillasse de feuilles mortes qu'elle avait elle-même confectionnée tout en gardant dans un coin de sa tête la prochaine mission.

Elle se rendit le lendemain à Karlsa pour étudier le terrain et se préparer comme à chaque fois.

Ysul possédait la plus grande demeure de tout Karlsa. Elle était passée devant des centaines de fois. On disait de lui qu'il était fou, car personne ne le voyait jamais, il ne sortait qu'à de rares occasions mais son manoir était toujours sous bonne garde.

Elle attendit la nuit et se faufila par la grand place derrière les tavernes éclairées à l'ouest de l'immense maison. Un bosquet entourait sa cible, c'était une bonne chose, elle pouvait se camoufler et pénétrer discrètement dans l'enceinte de la propriété. Après quelques minutes de marche elle put l'apercevoir.

Tapie dans l'ombre elle resta plusieurs heures à récolter toutes les informations qui pourraient s'avérer utile : Trois gardes à l'extérieur, deux devant la porte d'entrée et un autre faisant une ronde. Ils n'avaient pas l'air très dégourdis. La faute au manque d'activité et de cambriolage se dit elle. C'est vrai que personne n'osait s'aventurer dans cette grande bâtisse qui paraît-il n'en valait pas le coup, trop de gardes et très peu de choses précieuses à voler mais en découvrant les gardiens de cette réputation, Ennei se dit qu'elle pourrait facilement la faire valser.

Il lui fallut plusieurs jours pour comprendre que les nuits se ressemblaient terriblement.

Elle était toujours excitée dans ces moments-là, la phase d'investigation lui avait toujours plu, bien plus que l'exécution surtout pour les meurtres. Elle n'avait pas accepté beaucoup d'affaires de ce type mais les seules fois qu'elle avait dû s'y atteler, la jeune femme l'avait fait à contre coeur.

La demeure était construite sur deux étages avec douze fenêtres de chaque coté, quatre par étage et à partir d'une certaine heure, seule la dernière à l'est restait allumée. Probablement la chambre d'Ysul. En escaladant le coté ouest, il lui serrait facile de s'introduire chez sa cible.

Le reste elle ne pourrait le découvrir qu'une fois entrée dans l'édifice. Elle décida qu'elle en avait assez apprit, elle passera à l'action demain.