Départ pour Fjora

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L'heure du départ était imminente. Ennei avait profité du temps qu'il lui restait avant qu'on ne découvre les corps ou que Rui ne la vende à Elkir pour acheter des vivres pour son départ. Mais déjà quelques heures après sa discussion avec l'antiquaire, le nombre de gardes dans les rues avait augmenté. La population de Karlsa était en émoi. On ne parlait que de ce qui s'était passé chez Jordi. Rien de semblable ne s'était produit en vingt ans. Les visages étaient fermés, beaucoup de gens appréciaient le forgeron, à raison. On ne mettrait pas longtemps à lui faire porter le chapeau. La place du marché toujours en ébullition, Elle se faufila à l'entrée de la ville, à l'ouest, en prenant soin de ne pas croiser les regards.

Elle fut tentée de retourner chez elle, dans sa grotte, mais quitte à tout abandonner, autant le faire jusqu'au bout sans regarder derrière elle. C'est à cet instant qu'elle réalisa. Elle avait toujours pensé être dénuée d'attache, avait tout fait pour ne pas donner dans le sentimental mais savoir qu'elle ne reviendrait plus, qu'elle ne reverrait plus jamais la grand place, qu'elle ne sentirait plus ces odeurs lui fit un pincement au coeur. Et Jordi. Son sourire et son optimisme lui manquaient déjà. Elle l'avait su au fond d'elle bien avant son assassinat mais maintenant qu'il n'était plus de ce monde ses sentiments étaient comme exacerbés. C'était son seul ami. Elle jeta un coup d'oeil par dessus son épaule. Personne ne semblait la retenir. Cette pensée la tira de sa morosité. Elle chassa les larmes naissantes de ses yeux et se reprit. Il fallait partir et vite.

Le premier jour, Ennei longea l'immense lac gelé. Ce dernier lui faisait faire un détour par l'est mais le traverser était trop risqué. Le froid ardent ne lui faisait pas peur. Elle avait l'habitude des expéditions enneigées, si bien qu'elle parvint à marcher pendant de nombreuses heures sans s'arrêter. La nuit tombant elle se réfugia sous un arbre à l'abri du vent pour faire un feu et entama ses rations. Son sommeil fut entravé par de violentes bourrasques. Le mental jouait beaucoup dans ce genre de situation, Ennei se forçait à ne pas flancher, elle tremblait mais tenu bon.

Le deuxième jour fut plus rude, le vent s'intensifia et sa progression en fut affectée. Elle commençait à vraiment ressentir le froid. Elle n'était jamais restée aussi longtemps dehors et la fatigue jouait son rôle et aggravait sa situation. Elle ne pensait pas que la traversée serait si dure. Une petite voix dans sa tête la sommait de rebrousser chemin, de repartir et de se réfugier dans sa grotte. Mais il était trop tard. Il fallait continuer. Marcher encore et encore.

Lors du troisième jour avancer devenait de plus en plus complexe.

Après seulement deux heures les jambes de la voleuse cédèrent. Elle tomba à genoux les mains dans la neige. Elle ne les sentait plus, des engelures avaient fait leurs apparitions. Ses espoirs d'arriver en vie à Fjora s'amenuisaient. Ce climat qui l'avait toujours rassuré était en train de la tuer. Il fallait qu'elle se réchauffe. Elle décida de faire une pause et prit le temps d'allumer un feu avec beaucoup de difficultés. Ses mains la faisaient terriblement souffrir mais la chaleur lui fit du bien. Elle reprit sa marche peu avant la nuit. Les extrémités de son corps ne se manifestaient plus, elle ne sentait presque que son coeur battre dans sa poitrine. Peut-être aurait elle du se rendre. Après tout elle était un danger ambulant. Ses parents puis les gardes de Karlsa. « Où arrêteras-tu ton bain de sang ». Cette phrase tournait en boucle dans sa tête. Ils avaient surement raison. Sa mort ne pouvait être qu'une bénédiction. Elle n'eut pas le temps d'y réfléchir plus longtemps qu'elle distingua d'abord des lumières au loin puis une gigantesque forteresse lui faisant face. Cette vision lui redonna de l'espoir : sa mort n'était peut-être pas pour tout de suite.

Elle redoubla d'efforts pour atteindre cette montagne de pierre façonnée. En se rapprochant elle put constater que la forteresse semblait former un arc de cercle contre la mer à flanc de montagne. Elle avait déjà vu la mer, pendant des chasses au sud de Karlsa mais celle-ci était déchaînée et de nombreuses vagues martelaient la falaise sur laquelle reposait la fortification. Elle arriva devant une immense porte ouverte. Cette dernière ne paraissait pas sous surveillance, elle décida donc d'entrer en longeant les murs de manière à ne pas se faire remarquer.

Elle entra ainsi dans l'immense ville. Devant elle se trouvait une grande place, une statue de loup ornait son centre et deux bâtiments facilement assimilables à des tavernes se faisaient face de chaque côté. Devant elle un grand chemin se dessinait vers un imposant château. Elle tourna la tête à droite et à gauche, deux chemins différents partaient dans des directions opposées, l'un était éclairé et avait l'air sur et l'autre était plongé dans le noir.

Deux enfants très pauvrement vêtus et tremblotants s'approchèrent d'elle.

« S'il vous plaît étrangère nous mourrons de faim, une petite pièce pour que nous puissions nous nourrir ma soeur et moi ? ». La jeune femme déboussolée s'accroupit pour se mettre à leur hauteur mais elle n'eut pas le temps de formuler une réponse. Le petit garçon mit la main sur sa bourse, la poussa et partit en courant en direction des rues sombres à droite de la place. Ennei manqua de tomber et se rattrapa d'une main. Elle se releva et partit en courant à leur poursuite. Elle traversa un enchevêtrement de plusieurs ruelles étroites. Les maisons étaient sinistres, le sol de terre et de boue, des échanges se faisaient de mains en mains visages cachés par des capuches en chuchotant et les gens détournaient le regard quand ils la voyaient.

Fatiguée par son voyage elle s'arrêta essoufflée aux abords d'une sorte de temple dans lequel les enfants s'étaient réfugiés. Elle reprit son souffle et se dirigea vers eux bien décidée à récupérer sa seule monnaie d'échange contre un lit dont elle rêvait. Elle toqua une première fois à la porte. Pas de réponse. Elle hésita puis la poussa de toutes ses forces restantes. Cette dernière s'ouvrit la laissant tomber au sol. Ennei releva la tête. Elle avait pénétré une grande salle vide. Au centre de la pièce elle put apercevoir une statue d'un homme, le bras gauche tendu vers elle et l'autre dans le dos. Elle examina de plus près cette sculpture, remarqua une dague dans sa main droite ainsi que le dessin d'un visage sur son poignet.

« Que puis-je faire pour toi mon enfant ? »

Ennei sursauta et se retourna. Un homme dans une tenue similaire à la sienne, capuche rabaissée se tenait devant elle. Elle fut prise de peur, une lumière noire recouvrait cet homme. Elle fit un pas en arrière.

- Je ne suis pas ton ennemi. Dit-il d'une voix presque rassurante. Tu n'as rien à craindre en ces lieux.

La main sur sa dague prête à dégainer mais tremblant de peur Ennei reprit.

- Qui êtes-vous ? Où suis-je ?

- Je me nomme Sett, tu te trouves dans le temple de Larco, Dieu des voleurs, maitre de la nuit.

La jeune femme n'avait jamais cru en toutes ses histoires de dieux, pour elle ce n'était que des mythes racontés par des marchands pour vendre des bibelots à leurs effigies. Mais cette lumière noire qui émanait de lui ne pouvait pas être le fruit de son imagination.

- Je ne m'attends pas à ce que tu comprennes tout maintenant. Pourquoi es-tu venu ici ?

Ennei se méfiait beaucoup de Sett mais elle sentait une sorte de bienveillance de sa part, malgré la peur qu'elle ressentait, elle accepta de lui répondre :

- On m'a volé ma bourse, je suis venue la récupérer.

- Je crains de ne pas pouvoir t'aider pour cela. Ces enfants sont des orphelins, nous les recueillons et leur promettons la protection en échange ils nous rapportent de l'argent qu'ils volent à ceux qui entrent dans le quartier des ombres. Je ne peux malheureusement pas te rendre ce que tu as égarée mais je pense pouvoir t'aider autrement. Tu as l'air éreinté. Reposes-toi ici.

Ennei le regarda fixement. Quelles étaient ses intentions ? Cette proposition la mettait mal à l'aise, elle ne se sentait pas en sécurité en ces murs mais elle pouvait difficilement refuser. Il savait surement tout de cette ville et elle était à bout de forces et ne pensait qu'à une chose dormir :

- J'accepte mais avant, savez-vous où puis-je trouver Perco ?

Sett sourit.

- Tu trouveras celui que tu cherches dans l'arène en milieu de journée, il aime bien passer le temps à regarder des gens s'entretuer.

Il fit volte-face et s'apprêta à partir.

- Attendez, pourquoi m'aidez-vous ?

Sans se retourner l'homme répondit :

- Je sais ce que tu ressens au fond de toi. 

Le dernier HérautOù les histoires vivent. Découvrez maintenant