Cambriolage

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Le voile noir de la nuit avait recouvert Karlsa. Il était l'heure. Ennei était calme et concentrée. Elle n'eut aucune difficulté à traverser les tavernes, enjamber le mur d'enceinte et se retrouva rapidement à l'orée Ouest du bâtiment d'où elle pouvait voir les gardes. Le premier dans sa ligne de mire faisait sa ronde comme tous les soirs. Il passa une première fois devant elle puis une nouvelle fois quelques secondes plus tard. Elle prit ce timing pour courir jusqu'au mur. Ses pas étaient silencieux, aucun caillou ne bougeait sur son passage. Elle n'avait pas beaucoup de temps et entreprit d'escalader. À l'instar d'un chat, Ennei parvint à se hisser au dernier étage sans encombre. Arrivée devant la fenêtre elle inséra une de ses dagues entre le verre et le cadre puis appuya doucement cette dernière entre le support et le verre pour faire levier. Elle avait répété ces gestes des dizaines de fois. Ses mouvements étaient précis, fluides. La fenêtre ne mit pas longtemps à céder et elle et souleva le verre hors du support.

Elle était rentrée.

Elle arriva dans un débarras. Des objets sans intérêt se battaient pour pouvoir exister.

C'était une bonne nouvelle, la pièce ne devait pas être fermée à clé. Ennei s'avança jusqu'à la porte en prenant soin de ne pas toucher d'objets autour d'elle puis tourna la poignée.

Elle avait vu juste, la porte s'entrouvrit laissant apparaitre un couloir. Une seule pièce était allumée, la dernière au fond à droite comme depuis des semaines. Elle se glissa devant elle et regarda dans le trou de la serrure : Un homme était assis dos à elle dans ce qui semblait être un bureau. Les documents qu'elle cherchait avaient de grandes chances d'être ici mais il lui fallait attendre que ce dernier daigne se coucher. L'attaquer de front en crochetant la porte était trop risqué et elle n'avait pas été missionné pour un bain de sang.

Le plus sage était de trouver sa chambre et de l'y attendre. De là elle pourrait le prendre par surprise et le neutraliser sans bruit.

La porte d'en face s'y prêtait totalement, les moulures qui s'y trouvaient présageaient un lieu plus important que les précédents. Au même titre que le bureau, on remarquait bien la différence avec les autres.

La crocheter ne lui prit que quelques secondes et elle esquissa un sourire. Elle avait lutté contre cet art qu'elle avait eu du mal à maîtriser. Des semaines durant la jeune femme s'était entrainée sans relâche. Personne n'aurait pu lui enseigner. Elle avait dû l'apprendre toute seule, à la sueur de ses mains. Mais le résultat en valait la peine, aucune serrure ne lui résistait désormais.

La chambre d'Ysul était grande et luxueuse, comme elle n'en avait jamais vu.

Les rideaux et les draps étaient brodés. La chaise et l'armoire énorme à droite du lit étaient faites en bois rare, comme on n'en trouve pas en Krios. Mais Ennei reprit ses esprits, il ne fallait pas perdre de temps. Une malle ainsi que deux commodes de chaque côté du lit n'attendait qu'à être fouillées.

Elle commença par la malle. Elle n'y trouva que des vêtements et quelques pièces qu'elle s'empressa de mettre dans sa besace. La première commode était elle aussi sans intérêt. Des tonnes de feuilles, dessins et notes en tout genre qu'elle ne prit pas le temps de lire. En revanche la deuxième renfermait quelque chose d'une tout autre envergure. Lorsqu'elle l'ouvrit, les yeux d'Ennei s'ouvrirent en grand. Un parchemin avec un sceau laissant comprendre son authenticité et son caractère officiel. C'était ce qu'elle cherchait. Mais soudain le silence se rompit. Une première porte s'ouvrit. Des voix dans le couloir, elle n'avait pourtant entendu personne monter les escaliers :

« Maitre il se fait tard, puis-je vous raccompagner ? »

« J'ai fini de toute façon »

Ennei fut prise de panique. Elle regarda autour d'elle, la fenêtre était sa meilleure option mais elle n'avait pas le temps. Des clés étaient déjà dans la serrure de la chambre.

Le lit, elle s'empressa de se glisser en dessous.

La porte s'ouvrit avec fracas :

« Quelqu'un est entré ! Gardes ! Il doit encore être dans le bâtiment. »

Des bruits de pas résonnaient dans toute la maison, le premier garde s'éloigna pour aller chercher les autres laissant Ysul seul dans sa chambre. Le coeur d'Ennei battait à tout rompre. Il fallait qu'elle sorte de là. Mais personne ne savait où elle se trouvait et sortir maintenant ce serait laisser une chance à Ysul d'avertir les gardes. Ce dernier s'avança dans la pièce, la voleuse put voir ses pieds s'arrêter à coté d'elle. Il marqua un temps. Elle retint son souffle. Il fit alors demi-tour et se dirigea vers la porte. Avant de sortir il dit :

« J'espère que tu feras le bon choix ... »

À qui s'adressait-il ? À lui-même ? À elle ? Elle était perdue, l'avait-il repéré ? Si oui alors pourquoi la laissait elle sans la dénoncer ?

Des bruits de pas montant les escaliers en trombe virent la tirer de ses pensées. Il fallait qu'elle parte d'ici au plus vite.

La jeune femme sortit de sa cachette et courut rejoindre la fenêtre.

Elle l'ouvrit mais les gardes étaient déjà presque là. À peine avait-elle mit ses pieds sur le rebord que trois hommes armés se tenaient sur le palier de la porte : 

« Rends toi ! Tu n'as nulle part où aller. » Ils n'avaient pas tort. Escalader lui prendrait trop de temps, un des hommes avait déjà anticipé sa descente et était parti en direction du jardin. Il ne lui restait qu'une solution.

Sauter.

Son corps ne voulait pas. Elle risquait sa vie, peut-être pour la première fois. Son coeur battait la chamade. Elle regarda le sol, prit une grande inspiration et sauta.

Malgré une réception quasi parfaite, elle ressentit instantanément une grosse douleur à la cheville.

En se relevant elle vit des ombres et entendit des bruits se rapprocher dangereusement de sa position. Ennei voulut courir mais sa cheville la faisait terriblement souffrir. Elle serra les dents et partit se réfugier dans le bosquet en boitant. Cachée derrière un arbre, elle entendait les hommes s'organiser pour la chercher dans le domaine. Elle n'avait jamais ressenti autant de pression. Elle commença à se dire que ses confrères avaient raison d'éviter ce lieu, elle avait sous-estimé sa mission. 

Elle savait où aller, les gardes passaient au crible les environs mais devenir invisible était de loin sa spécialité. D'arbre en arbre, lentement, elle rejoignit le mur d'enceinte et l'escalada avec difficulté.

Il fallait qu'elle disparaisse mais sa cheville l'empêchait de partir cette nuit pour sa grotte. Elle devait se reposer. Des idées se succédaient dans sa tête mais elle les écartait une à une. Les tavernes, non, les gardes l'ont vus et elle était trop reconnaissable. Entrer chez quelqu'un par effraction ne lui semblait pas réalisable, surtout avec sa blessure et elle avait déjà donné pour aujourd'hui. Jordi. Son dernier espoir, lui accepterait de l'héberger, contre une certaine somme certes mais elle n'avait pas vraiment le choix. Elle se dirigea en direction du quartier des artisans au sud de la ville. L'armurerie de Jordi était fermée à cette heure. Elle frappa à la porte. Pas de réponse. Elle reprit de plus belle. Toujours rien. Elle était épuisée et à court d'idée. « Il ne m'en voudra pas si je rentre sans sa permission ». se dit-elle. Elle crocheta la porte, prit soin de la refermer, de remettre le verrou et s'installa par terre adossée au comptoir, morte de fatigue. 

Le dernier HérautOù les histoires vivent. Découvrez maintenant