Chapitre 2. Brisée

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Malaïka





Je me relève et court en direction de la maison. Je me fait bousculer au passage, et je tombe. Un pied écrase ma main gauche au sol. Je la retire et essaie tant bien que mal de me mettre sur le côté à reculons sur mon postérieur. Ma main est rouge, et me fais mal. J'arrive à me relever et je reprends ma course vers notre logis. Mon coeur crise, je tremble. J'ai peur, très peur, et mes poumons me font savoir qu'ils n'en peuvent plus. Ma respiration saccadée soulève rageusement ma poitrine.


Quand j'arrive à quelques mètres de celui-ci, je m'arrête un moment essoufflée. Je reprends mon souffle et avance.


J'arrive devant la clôture à barreaux métallique, quand un objet volant tombe sur ma maison, ce qui fait tout exploser. Je suis projetée à quelques mètres. La chute est rude, j'ai mal et je peine à me relever. Je m'efforce de me lever, je tiens à peine sur mes jambes. J'avance et une seconde explosion fait couler des larmes de mes yeux figés dans ces flammes.


Je sais que je viens de perdre ma mère, elle était à l'intérieur. Mon cerveau me le confirme, mais mon cœur lui, ne veut rien entendre. Mon cerveau chauffe, il tourne à plein régime. Et sur le moment, mille et une alternatives pour sauver ma mère défilent dans ma tête.


Mais la réalité me frappe de plein fouet, c'est trop tard, je ne peux plus rien pour elle. Une douleur atroce s'empare de moi, j'ai l'impression que mes veines s'ouvrent à l'intérieur de moi et qu'elles laissent gicler mon sang hors d'elle partout dans mon corps. J'ai mal et je ne pourrais décrire la douleur que je ressens. Mes mains se placent sur mes cheveux, les tirant comme pour les arracher. Un cri strident émane de moi, Je tombe sur mes genoux en larmes. Tel du bois sous les frottements de la scie aiguisée d'un menuisier, je sens mes entrailles se scier de douleur. Le poids que je ressens dans ma poitrine n'en est pas moins léger, cette pression, je sens mon cœur emprisonné par la douleur, qui à chaque battement perfore cet organe vital, le transformant en passoire.


-Maman, maman, non maman, non.


Les seules mots que j'arrive à aligner. Je fini allongée sur le sol, le visage noyé dans mes larmes. Je n'ai plus de force. Je revoie son sourire, ses yeux. Mon corps tremble de douleur, je suis comme paralysée, quand soudain, une petite lueur d'espoir naît en moi. Papa, je pense. Je me relève et fais le chemin inverse. Je cours à l'entreprise. Je la trouve en feu. L'étage du bureau de mon père n'existe plus. Mon cerveau me dit qu'il n'y a plus rien à faire, mais mon cœur ne veux rien savoir.


Mes mains passent energiquement sur mon visage pour balayer ce torrent d'eau qui brouille ma vue, laissant au passage des traces noires des cendres touchées peu avant. Je fouille, je creuse nerveusement, je déplace difficilement des amas de pierres. Mon dos me supplie d'arrêter, mais je creuse encore, essuyant mes joues de temps en temps.


Je découvre horrifiée des corps calcinés. Je cherche mon père en vain. J'ai l'impression que mon cœur va exploser. Mais qu' est-ce qui se passe ? Pourquoi ? Je reste là assise sur mes jambes, balayant la scène des mes yeux humides. J'ai l'impression de perdre la tête.


Par je ne sais quel miracle je me lève et me rends en titubant, vers ce qui il y a moins de trois heures était la zone de criblage. Les murs tiennent encore mais tous le reste est un tas de débris. Il y a des corps gisant sur le sol, d'autres enfouis sous les amas de toiture et des vitres. Ces gens qui il y a peu sifflaient en m'ayant vu sont inertes. Cette pensée et le rouge des marres de san, toutes ces images atroces font remonter mon déjeuner, que je fini par rendre. En me relevant, mes yeux tombent sur un corps calciné avec la chaînette en or que j'avais offert à Hervé, autour de ce qui fut autres fois un cou. Mes joues s'humidifient encore plus. Non pas lui crié-je à l'intérieur de moi. Je m'avance à quatre pattes vers ce corps, le corps de mon aimé.


-Non ! Non non non non non pas lui ! Non pas mon Hervé non !


Je sens mon cœur se faire transpercer. La douleur est vive et entretenue tel un feu qui embrase une forêt. La douleur embrase mon être et m'empêche de respirer, avec elle, je tremble. Et ma tête se secoue négativement. Non ce n'est pas possible !

Avec beaucoup de délicatesse, je retire la chaînette que je place autour de mon cou. Je me redresse subitement quand j'entends une détonation, elle est proche et fait trembler les murs autour de moi.


Je quitte les lieux avec une célérité sans précédent. Une fois dehors, je me retourne et regarde le bâtiment continuer de s'écrouler. Les corps de ceux que j'aime gissent sous les décombres, et mon cœur avec eux. Je le sens écrasé dans ma cage thoracique, exécutant avec une lourde difficulté les mouvements qui me permettent de tenir encore debout. Mes mains sont sur ma tête, qui continue de se secouer. Mon cerveau a du mal à traiter toutes ces informations, elles ne passent pas.


- Je ne peux pas.... Non.... Ce.... Ce n'est pas possible ! Ils... eux...Non... Mais...Non.... Non !!!!


De la fumée et de la poussière s'élèvent dans l'air. Tout ceci n'est pas possible ! Comment ? Pourquoi ?

je crie, je crie de douleur, de toutes mes forces, jusqu'à en perdre la voix.
Je suffoque et me laisse tomber sur le sol, toujours en larmes. J'ai tout perdu, je n'ai plus rien.
Dans mon grand désarroi, je chante instinctivement la chanson que me chantait ma mère quand j'étais triste petite.

Le temps semble être arrêté, je ne sais pas combien de temps je reste là.


Le soleil commence à se coucher. je dois voir Hervé tout à l'heure, je me souviens. Alors, je me rappelle qu'il n'est plus. Mes larmes coulent toutes seules, mes yeux fixés dans le vide. Je sens mon cœur battre vigoureusement dans mes tempes. J'ai mal et je sens ma tête chauffer.


J'ai pleuré toutes les larmes de mon corps. Je crois que je n'en n'ai plus en stock.

Plus tard, je me lève et traine mon corps fatigué et endoloris à travers les rues d'Elisabeth Ville, de ce paradis changé en enfer. Mes bras et mes jambes sont pleins de petites écorchures, ma jolie robe est déchirée, sale, mais je ne m'en préoccupe pas.


J'erre dans les rues comme l'âme en peine que je suis. Je me sens vide, complètement brisée.

Le décor est macabre, des corps gisant sur le sol, du sang, du feu, de la fumée, des cris, des pleurs. J'entends des tirs au loin, je vois des gens courir. Je devrais aussi, mais je n'en ai plus la force.


Ma ville ne ressemble plus à rien.


Si l'on m'avait dit quelques instants plus tôt que ma ville serait le théâtre d'un tel massacre, je ne l'aurai pas cru.


Je marche sans savoir où aller, sans savoir pourquoi. Mes yeux sont braqués dans le vide tel un mort vivant. Parce que c'est ça, je suis morte à l'intérieur. Ma marche se poursuit, quand soudain, je sens quelqu'un maintenir un linge humide devant mon nez. Je me débat comme je peux mais au bout de quelques minutes, je m'écroule.









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