Chapitre 1 : Mal du pays

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Jacob se leva de son lit et se dirigea vers la salle de bain. Il jeta un regard morne et fatigué à la glace devant lui où un triste visage lui apparaissait. Des cernes profonds se dessinaient sous ses yeux en amande, lui rappelant ses nombreuses nuits d'insomnie. Il retourna à sa chambre où il sortit un t-shirt et un jean d'un des cartons qu'il n'avait pas encore défait suite au déménagement et l'enfila. Il ramassa ses livres d'école qui trainaient sur son bureau, les fourra dans son sac et descendit à la cuisine où il passa sans s'arrêter. Au loin, il entendit sa mère lui rappeler d'un ton frôlant l'hystérie qu'il avait échouer son dernier examen. Il marmonna quelques excuses tout en enfilant son coton ouaté noir préféré. Il passa la porte et se dirigea à son arrêt en mettant son casque d'écoute sur ses oreilles où résonnaient maintenant de la musique plutôt sombre.

Le bus arriva quelques minutes plus tard. Il monta en gardant les yeux plaqués au sol, ne cherchant même plus à essayer de se faire des amis. Il avait déjà donné, il en avait marre maintenant de s'imaginer que quelqu'un lui ferait une place. Il prit le premier banc vide qu'il vit et regarda au loin par la fenêtre. Il se mit à penser à son pays natal avec nostalgie. Là-bas, il n'avait qu'à lever les yeux pour être époustouflé par la beauté des paysages et de la nature. Les ciels d'un bleu si clair parsemés de petits nuages fins, les eaux turquoise si magnifiques qu'il n'existait point de mots pour les décrire, les feuilles des palmiers se balançant doucement au gré du vent avec une telle élégance, les sourires de ses amis qui étaient heureux de le voir. Tous ces souvenirs se bousculaient dans sa tête pendant qu'il retenait les larmes qui ne cherchaient qu'à couler sur ses joues. Les images déchirantes de son départ lui revinrent alors en mémoire, les larmes, les faux sourires pour lui remonter le moral, les adieux, les signes de la main, les visages qu'il ne reverrait pas avant des mois voire des années. Il ne put les retenir cette fois, les larmes roulèrent sur ses joues. Il les essuya discrètement du revers de la manche de son coton ouaté. Il leva la tête rapidement et regarda autour de lui pour vérifier qu'aucun de ses jeunes québécois ne l'avait vu pleurer. Il ne croisa le regard de personne jusqu'à ce qu'il la voie dans le banc d'en face. Elle le fixait avec des yeux qui cherchaient à tout savoir, à connaître toute son histoire. Ils se regardèrent un long moment sans rien dire, aucun mot ne sortit de leur bouche, mais leurs yeux se racontaient leurs vies eux-mêmes.

Elle était assise d'une drôle de façon, un peu recroquevillée sur elle-même dans son banc d'autobus. « Une timide », se dit Jacob. Elle était frêle et fine. Ses cheveux châtains étaient un peu devant son visage comme si elle s'en servait pour se protéger du monde extérieur et des regards des autres. Elle avait un air juvénile, elle devait avoir quatorze ans peut-être. Jacob ne pouvait détacher son regard de ses yeux bleu océan, le replongeant une fois de plus dans ses souvenirs des Philippines. Il n'avait aucune idée depuis combien de temps ils se regardaient ainsi sans dire un mot, mais le tout prit fin aussi soudainement que cela avait commencé. Le bus s'arrêta, le chauffeur fit monter trois jeunes et ceux-ci passèrent devant eux, brisant leur connexion. Jacob détourna le regard en analysant ce qu'il s'était passé encore et encore. Le brouhaha qui résonnait dans l'autobus lui revint aux oreilles. Il ne connaissait pas cette fille, mais peut-être qu'elle le comprenait. Peut-être deviendraient-ils amis ? Ou peut-être était-ce simplement un hasard ? Il se rangea derrière cette idée en se demandant quelles étaient les chances qu'une jeune adolescente s'intéresse à lui, à ses malheurs et à son mal du pays.

L'autobus arriva finalement à destination. Il descendit et se dirigea vers la bâtisse qui manquait cruellement d'originalité et de personnalité. Il prit quelques secondes pour contempler la laideur de son établissement scolaire. C'était un long bâtiment en briques rouges et brunes de deux étages avec de nombreuses fenêtres qui auraient aimé un petit nettoyage.

Il marcha jusqu'à la porte numéro 9, celle réservé aux élèves de cinquième secondaire et se rendit à son casier. Il fit la combinaison. Une fois. Puis, une deuxième. Puis, une troisième. Il frappa son casier, en pestant contre cette journée. Une surveillante passa dans le corridor et s'approcha :

Dans nos têtesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant