Quand elle sortit de l'autobus ce matin-là, Rose repensa à ce garçon qui n'avait su retenir ses émotions. Elle se demandait ce qu'il pouvait bien vivre pour se sentir ainsi. Il avait l'air presque apeuré, comme s'il s'attendait à ce qu'elle crie sur tous les toits qu'elle avait vu le nouveau pleurer devant elle. Pourtant, elle était sûre qu'après seulement quelques minutes à l'observer, il était possible de deviner qu'elle ne ferait jamais cela, elle n'en serait pas capable, tout simplement. Rose était d'une timidité rare et c'était même la première fois qu'elle soutenait le regard de quelqu'un aussi longtemps, surtout d'un garçon plus vieux qu'elle. Elle ne put s'expliquer à elle-même ce qu'il s'était passer entre eux. C'est comme s'ils avaient pu apprendre à se connaître seulement en se regardant. Pendant ce drôle d'instant, elle se sentit bien, la gêne avait quitté son esprit et elle ne faisait que se concentrer sur ce que vivait le garçon qui se trouvait dans le banc d'en face.
Elle ne savait pas grand-chose de lui. Il était nouveau, il venait d'Asie, il n'avait pas d'amis et il ne souriait pas beaucoup. Elle ne connaissait pas son nom, mais peut-être aurait-elle le courage de lui demander dans quelques mois, qui sait ? En attendant, elle gravait l'image de son visage bouleversé dans sa mémoire avec ses jolis yeux en amande un peu rougis par l'émotion, ses cheveux qui n'étaient pas peignés, son teint qui était assurément plus pâle que la normale, comme s'il était malade. Elle s'était dit que c'était parce qu'il ne dormait pas assez, comme elle, la veille d'un examen ou d'un test.
Rose alla dans sa classe où elle arrivait toujours la première ; il y a un an, elle était arrivée en retard, car elle s'était trompée de corridors et cela l'avait tellement marquée qu'elle s'était promis que plus jamais cela n'arriverait. Elle s'était sentie presque dégoûtée d'elle-même devant ce manquement au code de vie de l'école. Elle avait alors arrêté de regarder le professeur dans les yeux jusqu'aux vacances de Noël.
Rose s'était toujours mis la barre très haute en matière de performance et elle se laissait rarement de chances en cas d'erreur. Elle visait l'excellence et rien d'autre. Cette manie de toujours viser la perfection lui amenait du positif, mais beaucoup plus de négatif que ce qu'elle voulait s'avouer. Elle perdait confiance en elle à chaque petit pépin, ce qui la faisait douter d'elle-même encore plus. Elle était un mélange un peu malsain de fragilité et d'une trop grande ambition.
Au moment où sa professeure de français passait les copies de la dernière évaluation, elle sentit son cœur battre un peu plus fort dans sa poitrine. Elle eut une montée de stress, elle se mit à ronger nerveusement ses ongles. Madame Galipeau s'avança dans sa rangée de pupitres. Elle donna les copies en s'avançant tranquillement. Rose se mit à analyser les réactions des autres élèves : Léo semblait content, mais il se contentait bien de 70% donc elle ne devait pas trop s'y fier; Marie semblait déçue, mais tentait maladroitement de le cacher; Vincent lança une petite exclamation de joie, comme pour signifier à toute la classe qu'il les avait battus. Elle reçut enfin sa copie, 90%. Correcte, se dit-elle, mais au fond elle espérait plus au nombre d'heures qu'elle avait pris pour lire et relire toutes les règles de grammaire apprise depuis son secondaire 1. Elle se leva pour avancer sa chaise et regarda discrètement par-dessus l'épaule de Vincent pour apercevoir sa note. Elle fut tiraillée entre la jalousie et la déception, car il avait mieux réussi qu'elle, 95%. Elle respira plusieurs fois avant de lever les yeux de sa copie. Elle se fit mentalement un sermon, et se jura d'étudier encore plus fort et plus longtemps pour l'examen de la semaine prochaine.
Au diner, elle essaya de se changer les idées avec ses amies. Elles s'entendaient bien ensemble, mais Rose ne pouvait pas vraiment leur expliquer son incessant dilemme intérieur face à ses résultats scolaires. Elle était incapable d'exprimer les mots d'encouragement qu'elle dirait normalement à Samuelle ou à Anne lorsqu'il s'agissait d'elle-même. Elle préférait alors éviter le sujet des notes des examens, car elle ne voulait pas leur partager l'énorme pression qu'elle se mettait sur les épaules. Alors, quand Anne lui demanda combien elle avait eu lors du test, elle ne sut pas quoi répondre étant donné qu'elle n'avait pas battu Vincent et qu'habituellement, c'était elle la meilleure de la classe. Elle eut peur de les décevoir, puisqu'elle était elle-même déçue. Elle prétendit donc avoir une envie pressante et sortit rapidement de la cafétéria pour aller aux toilettes, ce qui lui permit de s'éclipser de la conversation.
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Dans nos têtes
SaggisticaAu cours de la lecture de ce roman, vous découvrirez 4 jeunes adolescents de 14 à 16 ans apprenant qu'ils sont atteints de troubles de la santé mentale. Ils feront alors la rencontre de la psychologue de l'école, Mme Annie Picard, qui les aidera à...