Chapitre 12

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18h30.

Alice marchait d'un pas rapide sur le trottoir. En sortant du palais, elle avait eu envie de rentrer à pied, profitant avec délectation des décorations en cette période de Noël, prenant enfin le temps de les contempler, s'arrêtant devant chaque vitrine. Les illuminations l'émerveillaient et elle se promit de revenir avec Fred et les enfants un soir prochain, à la tombée de la nuit.

Loin du centre et de ses lumières, elle arpentait désormais le trottoir de la ruelle menant à son appartement. Elle ne s'était jamais rendu compte qu'elle fût si sombre. Etonnée, elle leva les yeux sur le lampadaire et le découvrit éteint. Elle souffla. Ceci expliquait cela.

La tranquillité de la nuit l'accompagnait, rompue par le martèlement régulier de ses talons. Soudain, son inconscient perçut un deuxième son, assez proche. Elle ralentit subtilement son rythme tandis que les battements de son cœur s'accélérèrent. Elle continua d'avancer tout en affutant son ouïe. Les petits pas furtifs avaient également ralenti, se claquant sur ses pas. Elle s'arrêta mais n'entendit plus rien.

Elle prit le temps de scruter la nuit lentement autour d'elle, la sourde appréhension qu'elle avait ressentie l'après-midi même refaisant surface.

Elle reprit sa marche et aussitôt, le bruit de petits pas reprit de plus belle. Le doute fut remplacé par de la peur, qui s'insinua lentement en elle, l'envahissant inexorablement : elle était suivie. Alice accéléra le pas tout en se retournant de temps à autre et espéra que ses jambes, devenues cotonneuses, la soutiendraient jusque chez elle.

De plus en plus angoissée, elle se mit à courir tandis que les petits pas se hâtaient eux aussi.

Lorsqu'une silhouette imposante surgit devant elle, elle hurla. Aussitôt, deux mains se posèrent sur ses épaules et une voix masculine se fit entendre :

- Eh Alice ! C'est moi, n'aies pas peur !

Alice souffla longuement en se tenant le flan droit, à demi-courbée, essayant tant bien que mal de réguler sa respiration pour faire disparaitre ce point de côté douloureux. Enfin, d'une voix encore hachée par l'émotion, elle put répondre à l'homme qui attendait devant elle, patiemment, l'œil inquiet.

- Jérôme ? Mais qu'est-ce que tu fais ici ? Pourquoi tu me suivais ?

- Heu... Je ne te suivais pas, ça fait dix minutes que je t'attends sous ce porche. T'es sûre que ça va ? Tu es toute pâle !


Alice regarda encore une fois autour d'elle, tenant de percer l'épaisseur obscure qui les entourait, en vain. Elle se tourna de nouveau vers le légiste, la colère prenant peu à peu la place de la frayeur.

- Bon Jérôme, qu'est-ce que tu veux encore ? Je n'ai pas été assez claire avec toi cet après-midi ? Toi et moi, c'est fini ! FINI !

- Je sais Alice mais c'est difficile pour moi, essaie de me comprendre. Je t'aime moi. Je n'ai jamais pu t'oublier. On a vécu tellement de choses nous deux ! Tu ne peux pas tout effacer d'un trait, comme ça !

- Oui, mais elles font parties du passé Jérôme. C'est Fred que j'aime. C'est l'homme de ma vie, tu entends ? Bon Jérôme, le mieux pour toi, c'est que tu quittes Paris. Je ne vois pas comment on peut continuer à travailler ensemble !


Ils s'observèrent un instant. Ravalec lut une telle détermination dans le regard de la juge que progressivement, la désillusion s'empara du sien. Conscient qu'il avait définitivement perdu la bataille, il tenta le tout pour le tout :

- Un p'tit dernier pour la route ?


Cette phrase amena tellement de bons souvenirs à Alice qu'elle sourit inconsciemment, donnant au légiste la certitude qu'elle était d'accord, une sorte de feu vert pour un dernier baiser.

Il s'approcha donc et sans qu'elle puisse réagir, il emprisonna sa tête dans ses mains et l'embrassa, appuyant avec violence ses lèvres sur les siennes.

Aussitôt, Alice posa ses deux mains sur le torse masculin et tenta de le repousser avec force. Elle n'y parvint qu'après plusieurs essais et dès que le légiste recula, elle lui asséna une gifle monumentale sur la joue, qui résonna dans la quiétude de la nuit. Elle serra les dents et ivre de colère, elle hurla :

- Fous le camp Jérôme ! Je ne veux plus jamais te revoir. Sors de ma vie ! Sors de notre vie, à Fred et à moi !


Elle le planta sur le trottoir et se mit à courir jusque chez elle. Elle poussa la grille et après l'avoir refermée, s'adossa à elle, pour reprendre son souffle. Au même moment, la porte de l'appartement de Fred s'ouvrit et elle le vit sortir, accompagné d'une jeune femme brune.

Elle s'approcha d'eux, s'efforçant de sourire, pour ne pas offrir le moindre doute au commandant. Elle serra la main de la jeune femme tout en se présentant :

- Alice Nevers, vous vous souvenez de moi ?

- Bien sûr madame Nevers. Vous êtes un couple atypique. De toute ma carrière, c'est la première fois que j'ai dû trouver deux appartements côte à côte pour une famille aux parents non séparés ! Mais d'après ce que vient de me dire votre mari, c'est terminé ? Je peux remettre ce bien en location !

- Oui. Que voulez-vous, il nous a fallu un peu plus de temps qu'un couple normal, mais nous sommes prêts ! Mon chéri, tu as évoqué notre souhait pour un appartement plus grand aussi ?

- Non pas encore. Je t'attendais.

L'employée de l'agence immobilière sourit et leur promit de commencer à regarder ses fichiers pour leur soumettre quelques propositions au prochain rendez-vous.

Elle les salua et prit congé.


Aussitôt, Fred se tourna vers sa compagne :

- Ça va ? Tu avais l'air toute essoufflée tout à l'heure !

- Oui ça va. Je suis revenue à pied et j'ai couru les derniers mètres. Le lampadaire est cassé et il y fait vraiment très sombre. Les enfants ont fait leurs devoirs ?

Le commandant acquiesça et tous deux rentrèrent dans leur appartement. Alice ferma, avec empressement, la serrure de la porte à double tour et ignora royalement le regard suspicieux de son compagnon. Elle ôta son manteau et alla saluer les enfants.

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L'homme regarda les clichés qu'ils venaient de faire avec son appareil photo. Il passa lentement son index sur le contour du visage de la femme, un geste presque doux et affectueux. Il visionna les autres images et au fur et à mesure, ses doigts se crispèrent autour de l'appareil. Qui était ce barbu ? Ils s'étaient embrassés mais elle l'avait durement repoussé...

Un petit sourire illumina le visage de l'homme. Quel tempérament ! Quel caractère ! Il aimait tellement ça !

Oh, elle lui donnerait du fil à retordre mais il la soumettrait comme toutes les autres avant elle. Il était le Maître, le seul, l'unique !

Il retomba sur le gros plan de son visage. Elle regardait derrière elle, une légère frayeur habitant ses yeux couleur émeraude... Tu n'as pas fini d'avoir peur ma belle, je te le promets...

Il rangea son matériel dans sa sacoche en sifflotant, posa la lanière sur son épaule droite et s'éloigna d'un pas guilleret. Il ralentit devant la maison de la juge et jeta un rapide coup d'œil : les volets étaient fermés.

Agacé de ne pas avoir eu un instant volé sur son intimité, il accéléra le pas en jurant.

Il rejoignit sa voiture garée en contrebas et posa sa sacoche sur le siège passager. Il s'apprêtait à tourner sa clef pour démarrer la voiture mais il figea son geste.

Il regardait devant lui d'un air béat. La soirée s'annonçait plus prometteuse qu'il ne l'aurait imaginé.

Il démarra et appuya son pied à fond sur l'accélérateur.

Une vie mouvementéeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant