Chapitre 1

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Adrien

Quel est le comble pour un mécanicien ?

Tomber en panne au milieu de nulle part parce qu'on n'a pas fait l'entretien de sa voiture.

Le garagiste se moque de moi quand je lui annonce que mon métier est d'entretenir les voitures de la gendarmerie de mon département. J'espère surtout que cela le dissuadera de m'arnaquer sur le prix des réparations. Il me tend le devis, je grogne, mais je le signe. Je n'ai pas trop de le choix.

— Par contre, M. Schaeffer, pour les délais... J'ai pas ce modèle-là en stock, donc je vais devoir le commander, on est vendredi et lundi je suis fermé donc je ne l'aurai pas avant mardi.

— Mardi ?! m'étranglé-je. Qu'est-ce que je vais faire pendant quatre jours ?

D'autant que je ne suis pas seul. Sasha, mon fils, lit tranquillement, assis sur l'autre chaise du bureau bien chauffé de l'artisan, depuis que nous sommes descendus de la dépanneuse.

— Vous êtes pressé ? Sinon il y a le festival de Noël, me répond le garagiste. Vous aurez de quoi vous occuper, vous et le p'tit. Allez voir au bistrot, le fils de Solange loue des chambres à la ferme.

Je commence à calculer combien ces quelques jours vont me coûter, entre les réparations, l'hébergement, les repas...

J'avais prévu d'arriver chez mes parents pour le dîner et naïvement espéré prendre la neige de vitesse, et à présent nous sommes coincés dans ce trou perdu, quelque part au milieu de la Lorraine. Je préfère ne pas demander à mes parents de venir nous chercher, les routes vont vite devenir dangereuses, et prendre un taxi nous mettrait Sasha et moi en danger, sans compter qu'après plusieurs mauvaises expériences, il est hors de question que je laisse un chauffeur de taxi me conduire où que ce soit.

En attendant, j'accepte la proposition du garagiste de nous rapprocher du centre-bourg, et du fameux bistrot. Nous sommes chargés : deux valises, mon vieux sac-à-dos de l'armée plein à craquer et celui de Sasha, aux couleurs de Spider-man.

— Bienvenue à Dampierre-la-Noël ! fait le garagiste en nous déposant sur la place de l'église avec notre barda.

Je cligne des yeux. J'ai l'impression de débarquer dans une carte postale. Ou l'un de ces téléfilms qui passent sur toutes les chaînes à partir de novembre. Les tilleuls dénudes qui entourent la place sont tous ornés de guirlandes lumineuses qui clignotent paresseusement dans la nuit. Ils entourent une crèche panoramique. Autour de la sainte famille en perdition blottie dans un abri qui sent la résine de pin, il y a toute une ménagerie, du mouton au chameau, des bergers, les rois mages, et toutes sortes de personnages. Ils ont tous l'air serein, recueilli ou franchement joyeux. Chaque statuette est faite en bois, peinte et bien entretenue. Le manteau bleu de la Vierge a l'air neuf. Les animaux ont l'air plus grossiers, sans doute taillés à la main par un artiste amateur qui a dû y mettre toute sa passion.

Des guirlandes de fanions verts, rouges et blancs sont accrochées en travers de chaque rue partant de cette petite place, intercalées avec des banderoles souhaitant un joyeux Noël à tous et annonçant un festival de Noël durant toute la période de l'avent.

Je ne sais pas où il la trouvé, mais Sasha me tend un flyer avec le programme du fameux festival : parade de Saint-Nicolas demain, confection de panier en papier et carton pour les enfants, concours des plus belles décorations, de pâtisserie, concerts de la chorale... Tous les week-ends et les mercredis sont occupés.

Il nous reste à trouver le bistrot. Le premier commerce que j'aperçois a l'air d'être la boulangerie, rebaptisée « Bredeles et pain d'épices ». J'attrape nos bagages et nous nous dirigeons vers cette rue. Toutes les maisons ont une couronne clouée à la porte et un minimum d'ornements, de la guirlande au Père-Noël ou au bonhomme de neige en plastique à la fenêtre. Je m'attends à voir surgir un lutin. Surtout avec toute cette neige qui tombe. Tirer nos valises devient pénible. Sasha s'arrête dès qu'il voit un sapin, et il y en a un à chaque réverbère, paré de gros rubans rouges et dorés. Nous passons devant la pharmacie, renommée « l'Apothicairerie de la Mère-Noël », puis « Le courrier du Pôle-Nord » avant d'arriver enfin devant « Au petit vin chaud ».

Ils ne plaisantent pas avec leur festival.

La neige s'accumule déjà sur ses cheveux couleur châtaigne foncée de Sasha qui, encore une fois, n'a pas mis son bonnet. Il n'a pas tout à fait les cheveux crépus de sa mère, mais sa tignasse de boucles épaisses atteint presque les épaules, autant dire qu'il qu'il a du mal à la fourrer sous un bonnet.

— Viens mon ange, allons nous mettre au chaud.

Le carillon retentit quand je pousse la porte du café. Ça sent la cannelle, la badiane et la vanille. Des boules en verre sont suspendues aux appliques, reliées par des guirlandes. Il n'y en a pas trop, juste ce qu'il faut pour donner un air festif, sans être kitsch. L'un des hommes assis au comptoir descend précipitamment de son tabouret pour m'aider. Nous casons nos bagages dans un coin de la salle. Je secoue les cheveux de Sasha et l'envoie s'asseoir.

— Bonjour, lancé-je, encore un peu essoufflé. Euh... Je suis tombé en panne sur la route, on m'a dit que je pourrai trouver une chambre ici pour quelques jours, le temps des réparations.

Une sexagénaire aux courts cheveux gris sort de derrière le comptoir. Une broche en forme de feuilles de houx rehausse son pull et je crois même qu'elle a décoré ses lunettes du même motif grâce à une petite pince fixée aux branches.

— Mes pauvres, par ce temps ! s'exclame-t-elle. Je vais déjà vous préparer des chocolats chauds, ça ne vous fera pas de mal, vous avez l'air d'être gelés. Ensuite je vais appeler Jo, il s'occupera de vous.

— Merci Madame.

— Appelez-moi Solange !

Elle retourne derrière son comptoir et moi auprès de mon fils. Sasha retire son manteau et reprend son livre. Je me laisse tomber sur l'autre chaise. Je suis frigorifié, je ne sais plus mes doigts ni mon nez. Je souffle dans mes mains pour les réchauffer.

— Qu'il est sage ! s'étonne l'homme qui m'a aidé un peu plus tôt.

— Oui, j'ai de la chance, souris-je.

La femme dépose devant nous deux tasses fumantes.

— Attention, c'est chaud ! nous prévient-elle. C'est l'heure du goûter, tu veux manger quelque chose bonhomme ?

Sasha n'ose pas lui répondre et me regarde. Notre déjeuner est loin alors j'accepte pour lui et elle lui apporte en plus quelques petits beurres qu'il s'empresse de tremper dans le chocolat. Je la remercie, couvant mon adorable petit ange du regard tout en soufflant sur ma boisson. Je me brûle les doigts sur ma tasse, mais ça ferait presque du bien. J'entends la dame passer un coup de téléphone, je suis rassuré, nous allons être rapidement fixés sur notre sort. 

En panne pour NoëlOù les histoires vivent. Découvrez maintenant