Chapitre 8

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Johann

Je suis content, je suis à l'heure pour accrocher les banderoles annonçant le grand concours de pâtisserie de samedi. J'ai déposé les jouets collectés à l'antenne locale des Restos du Cœur, mais il me reste encore pas mal de choses à faire. Je me gare le long de la salle polyvalente, vais chercher l'escabeau dans le local et suspend la bâche sans trop de problème. Pour une fois, j'ai hâte que ça se termine et que ma petite vie d'éleveur reprenne son cours. De petits chevreaux sont encore venus agrandir le troupeau, ce n'est pas le travail qui va manquer avec la reprise de la traite et de la fabrication du fromage.

Je ressors de la salle, la fermant à clé derrière moi, quand j'entends la voiture de mon frère faire crisser le gravier du parking. Je m'appuie contre la portière du pick-up et l'attend pendant qu'il cherche quelque chose. Je ne vois que par intermittence et devine son agacement. Il s'arrête et sort enfin de sa voiture en tenant un pot qu'il me tend.

— Tiens, Léa l'a fait pour toi mais elle ne t'a pas vu depuis l'autre jour.

C'est un pot-boule à neige. Les enfants ont fait leurs figurines et leurs décors, qu'ils ont collé dans le couvercle avant de remplir le pot de paillettes, d'eau et de glycérine. Celle-ci contient des personnages qui ressemblent à des Lego, aussi carrés, mais surtout à Adrien et Sasha. Je suis avec eux, avec un renne. Léa a beaucoup d'idées et de talent, mais il faut dire qu'elle est une habituée des ateliers.

— C'est gentil, fais-je en l'agitant pour voir retomber la neige sur les personnages.

— Ils te manquent ?

— Hum ?

— Tu sais très bien de qui je parle. Sandrine me dit que tu déprimes depuis qu'ils sont partis. Tu as des nouvelles ?

— Quelques unes.

— Comment ça se passe pour eux ?

Je hausse les épaules. J'ai du mal à savoir, Adrien ne se montre pas loquace dans ses textos. J'ai essayé de l'appeler, mais il n'a pas décroché et ne m'a pas rappelé. Je comprends qu'il veuille garder ses distances, éviter de s'attacher plus qu'il ne l'est déjà, mais je sens aussi que son séjour dans sa famille ne se passe pas très bien. Le samedi après son départ, l'un de ses frères est venu avec sa famille, et il m'a confié que cela avait été difficile d'éviter que Sasha entendent certaines choses. S'il a réussi à préserver son fils, cela signifie qu'il s'est tout pris en pleine tête. Il comptait se reposer, je crois que c'est raté. J'ai peur qu'il soit encore plus épuisé en rentrant chez lui et qu'il craque vraiment. Il m'a promis de passer au retour, et j'espère qu'il me laissera prendre soin de lui au moins quelques jours.

— Allez, reprend William en me tapant sur l'épaule. Viens, on va prendre un café chez maman et parler du plan de bataille pour samedi. Il y a combien de fours à installer ?

— Autant que de participant au concours !

Organiser un concours de pâtisserie comme on en voit à la télé est une vraie folie, mais au moins, les chances sont équitables. Les cuisiniers sont censés apporter leurs ingrédients secrets, leurs moules ou emporte-pièces, et leurs fours, s'ils sont électriques. Pour les autres, nous leur fournissons les nôtres. Il faut tout installer avant le début. Nous l'avons fait l'année dernière et à condition de faire deux groupes, l'un en début et l'autre en fin d'après-midi, nous ne ferons pas sauter les plombs.

Le bar que tient notre mère en centre-bourg est fréquenté par ses habitués. Monsieur le maire m'accueille chaleureusement. Même s'il n'incarne plus le Père Noël, il en a gardé la bedaine et la barbe.

— Ah, bravo, petit ! C'est encore une belle édition du festival, ton père serait fier de toi.

— Merci François.

— Les garçons ! s'exclame ma mère en nous voyant. Qu'est-ce qui vous amène ?

— Le vague à l'âme de Jo, me trahit mon cadet. Il a besoin d'un remontant.

— Juste d'un café, précisai-je.

Je m'assois à une table pendant que mon frère discute à une autre. C'est l'heure où je reçois un message d'Adrien quand il le peut. Il m'a dit qu'il se ménageait du temps pour faire la sieste après les cours du petit, il doit profiter de s'isoler pour m'écrire. Sa mère doit le fliquer. Je comprends pourquoi il a quitté le nid à 18 ans pour s'engager dans l'armée, loin de cette famille toxique. Se sentir bisexuel dans un tel carcan a dû être pénible. J'ai apprécié qu'il se confie là-dessus, quand il était ici. Nous nous sommes dit beaucoup de choses, des choses personnelles, intimes. Je me suis senti proche de lui, et maintenant, il est tellement loin !

Ma mère pose un grand café devant moi, et un autre pour mon frère.

— Will a raison, tu as une petite mine, dit-elle en saisissant mon menton pour examiner mon visage.

— Maman ! soupiré-je. Laisse-moi tranquille.

— Tu en fais trop.

— Ça va.

Je me réchauffe les doigts autour de ma tasse. William revient et nous nous mettons à parler raccordements électriques, tables, chaises et poubelles. Je prends des notes au fur et à mesure sur mon portable afin de ne rien oublier le jour J. J'ai hâte que le concours soit passé, même si j'ai un peu peur de l'overdose de sucre : je serai dans le jury.

En panne pour NoëlOù les histoires vivent. Découvrez maintenant