Chapitre 6

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Johann

Quand Paul, le garagiste, appelle Adrien, nous sommes en train de nous promener dans la neige fraîche tombée le matin même. Elle ne tient déjà plus sur la route, mais les prés sont tout blanc. Adrien s'arrête pour prendre l'appel pendant que je continue avec Sasha, en quête de traces d'animaux. Il nous rejoint un peu plus tard.

— La voiture est prête.

— On va pouvoir aller chez mamie ? fait Sasha.

— Oui, répond Adrien, sans joie, en me regardant droit dans les yeux.

— Tu veux partir maintenant ou demain matin ?

Il consulte l'heure.

— Si je pars d'ici une heure, nous y serons pour le dîner.

— C'est ce que tu veux ?

Il hausse une épaule. La nuit et la journée ont été parfaites et d'un seul coup, le charme est rompu. Adrien a l'air à deux doigts de se briser. Il est en mode « le devoir avant tout », il a arrêté de penser à lui, à ce qu'il désirait, dès qu'il a raccroché.

— Sasha, tu devrais aller voir au pied du grand arbre, là-bas. Des animaux viennent parfois manger les glands, ils ont peut-être laissé des traces.

Insouciant, il détale et je reste avec Adrien. Je le prends dans mes bras mais il ne réagit pas.

— Ce n'est pas ce que tu veux, n'est-ce pas ?

— Il faut que je parte, c'était prévu. Je sais que je peux leur laisser Sasha, que...

Un sentiment glaçant me saisit.

— Comment ça, leur laisser Sasha ? Que comptes-tu faire au juste ?

— Rien ! Juste... me reposer.

Il fuit mon regard.

— Tu n'allais pas le leur laisser... définitivement ? Adrien, réponds-moi !

Je prends son visage entre mes mains gelées.

— Non, bien sûr sur non ! Je veux juste pouvoir dormir un peu, me reposer et me changer les idées.

— Tu pourrais faire tout ça ici.

Il fait lentement non de la tête. Je me résigne. Il avait un plan et s'y tiendra. Je ne comprends pas son choix, mais je l'accepte. Je le lâche. Sasha est en train de tourner en rond autour du grand chêne, il va finir par s'ennuyer tout seul. Je décide de le rejoindre. J'entends bientôt les pas d'Adrien crisser dans la neige derrière moi.

Le retour à la maison se fait sous les paroles incessantes de Sasha qui n'a pas conscience de ce qu'il se passe. Avec une efficacité toute militaire, Adrien refait leurs bagages et les dépose dans l'entrée pendant que je fais goûter Sasha. Je prépare rapidement une boîte avec du pain d'épice et des biscuits pour le voyage, des bouteilles d'eau et un thermos de chocolat chaud. Je suis fébrile et en colère, pourtant je ne veux pas gâcher ces dernières minutes qui nous restent à passer ensemble. Je charge leurs affaires dans le pick-up. Sasha demande s'il peut aller voir les rennes une dernière fois, et je l'emmène pendant qu'Adrien prévient ses parents qu'il va reprendre la route.

Je les conduis jusqu'au garage. Je coupe le moteur et entends Adrien soupirer. Je serre son genou. Il m'adresse un regard que je n'arrive pas à déchiffrer. J'ignore s'il osera m'embrasser avec Sasha à l'arrière. J'ai le cœur serré.

— Est-ce que tu repasseras au retour ?

Il hoche la tête.

Je fouille parmi le bazar que je garde dans le vide-poche de la portière et en extirpe une carte de visite un peu cornée.

— Tu auras mon numéro comme ça.

— Merci.

Il la glisse dans la poche intérieure de son anorak.

— Je te souhaite un joyeux Noël, reprend-il. Tu diras au revoir à Sandrine et à Léa pour nous ?

— Bien sûr.

Là-dessus, il sort du véhicule et récupère ses bagages à l'arrière. Sasha en descend, son sac Spider-man sur le dos, son bonnet peinant à retenir la masse de ses boucles. Adrien l'entraîne vers l'entrée du garage où Paul les attend. Adrien se retourne, m'adresse un sourire et un signe de la main. J'hésite à rester. Je n'ai aucune raison de le faire. Je redémarre alors qu'ils franchissent la porte du hangar. 

En panne pour NoëlOù les histoires vivent. Découvrez maintenant