Chapitre 9.2

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Johann

— Je déclare le concours de pâtisserie ouvert ! Vous avez deux heures pour réaliser vos biscuits. Bonne chance !

Je descends de l'estrade. La plupart des équipes sont composées de la maman et d'un ou deux enfants, parfois d'un papa. Il y a des gens du village mais aussi des environs. Et toutes les places sont prises. Je laisse mon frère et quelques autres membres de l'association gérer le concours. Dehors, c'est le dernier week-end pour le petit marché d'artisanat et j'ai laissé quelques rennes dans un enclos que je préfère surveiller. Je fais le tour des stands, repère quelques trucs que j'aimerais pouvoir acheter, si j'en trouve le temps, et rejoins une nuée d'enfants pressés contre les barrières. Je réponds à leurs questions et les aide à caresser les animaux. Je leur raconte les histoires habituelles à propos du Père-Noël, elles font toujours leur petit effet, même sur les plus grands qui n'y croient plus.

L'arrivée du deuxième groupe de pâtissiers ponctue l'après-midi. Un bruit de clochettes retentit et on annonce que le Père-Noël pourrait venir faire un tour par ici. Il faut que j'aille chercher les autres rennes pour tirer la calèche. Cette fois, c'est Étienne, un voisin, qui se cache sous le déguisement. J'affuble les rennes de clochettes et d'un nez rouge pour celui qui doit incarner Rudolf. La calèche est décorée de rubans dorés, de guirlandes lumineuses et d'un gros sac rempli de boîtes vides. Les lutins distribueront des clémentines et des chocolats. Et après ça, les caisses de l'association seront vides !

Pour ne pas dénoter, j'enfile ma panoplie de lutin : collants vert foncé, tunique assortie, bonnet rouge et bottines à grelots. J'ai une veste longue bordée de fausse fourrure blanche mais je me caille les genoux. Dans ces moments-là, je hais mon père et ses idées farfelues. Avoir des rennes pour faire plus authentique ! Tout le monde se contente de chevaux, pourquoi pas nous ?

Nous nous mettons en route. Étienne se moque de moi. Le collant me rentre dans les fesses, c'est une horreur et je tintinnabule à chaque pas. Nous rejoignons les autres lutins et partageons nos inconforts respectifs en riant. La chorale est là aussi, elle doit ouvrir le cortège. Ils se mettent à chanter et les habitants sortent dans leurs jardins ou nous regardent passer depuis leurs fenêtres. Quand nous rejoignons la place de l'église, nous rencontrons des groupes de familles. J'entends « c'est des vrais rennes ! ». Les gens sont rassemblés sur la place et le Père-Noël descend de la calèche pour faire des photos devant la crèche, puis nous reprenons notre chemin vers la salle polyvalente

Je suis concentré sur les rennes qui commencent à s'impatienter. Il y a du monde, du bruit, la chorale est applaudie. Le Père-Noël s'installe sur un grand siège pour d'autres photos. Je peux enfin diriger l'attelage dans la cour de l'école communale, plus calme, de l'autre côté de la rue. Je dépasse les stands du marché quand j'aperçois un garçon métis qui ressemble comme deux gouttes d'eau à Sasha. Mon cœur rate un battement et je me mets à chercher autour de lui alors que déjà, le garçon vient vers moi et me saute dans les bras.

— Hé, bonhomme, qu'est-ce que tu fais là ?

— On est revenu !

— Où est ton père ? demandé-je en le reposant.

— Juste ici.

Je me retourne. Adrien est bien là, avec une mine horrible mais il sourit. Je tinte jusqu'à lui et l'enlace, frottant mon nez gelé contre le sien.

— Tu es en avance, constaté-je.

— Tu avais raison, j'étais mieux ici.

— Ah ! Tu vois !

— Tu m'as manqué, souffle-t-il.

— Toi aussi tu m'as manqué.

Je le serre un peu plus.

— Ton déguisement est très chouette, ajoute-t-il.

— Ah, ça. Euh...

— Hâte de l'enlever ?

— Tu n'imagines même pas ! Tu m'aideras ?

— C'est envisageable. Tu allais où avec tes rennes ?

— Dans la cour de l'école. Sandrine et Léa doivent être à l'intérieur si vous voulez.

— On va aller voir.

Ils s'éloignent et disparaissent dans la salle. Je parque la calèche dans la cour et détache les rennes. Je les récompense de quelques morceaux de carotte, de caresses et de mots doux.

J'entends les pas d'Adrien se rapprocher. Je souris avant même qu'il ne soit là. Il enroule ses bras autour de ma taille et reste juste là, à me tenir contre lui. Mon cœur de midinette s'emballe. Je pivote pour voir son visage et le prendre entre mes mains. C'est la première fois que je le vois rasé de près. Cela le rajeunit, mais il a les traits tirés, le regard triste, ces derniers jours ont dû être éprouvants ; malgré tout il sourit.

— Je vais m'occuper de toi. Vin chaud, biscuits au miel et lait de chèvre.

— Si tu me prends par les sentiments...

J'aime le voir sourire. Je caresse sa pommette de la pulpe de mon pouce. J'ai très, très envie de l'embrasser. J'appuie mon front contre le sien, ferme les yeux, savoure ce moment suspendu, le désir qui monte, son souffle qui s'accélère à mesure que l'attente s'éternise. Je caresse ses lèvres des miennes, il les entrouvre, je capture sa lèvre inférieure et la suçote. Il émet un petit gémissement qu'il réprime bien vite. Je raffermis ma prise sur son visage et l'embrasse enfin. Enfin ! Je prends sa bouche avec avidité, joue avec sa langue, cherche à lui faire oublier tout ce qui n'est pas nous dans un simple baiser.

Rudolf me bouscule. Je m'écarte d'Adrien pour voir ce qui l'effarouche mais il n'y a personne. Moi qui me montre discret d'habitude, j'étais en train d'embrasser un homme au milieu de la cour de l'école. Je ris doucement en secouant la tête :

— Tu me fais faire n'importe quoi !

— C'est réciproque, tu sais. Je suis parti de chez mes parents sur un coup de tête, on a fait nos bagages et on est parti pour une histoire de cuisine pas rangée.

— Sérieux ?

Il acquiesce et soupire, puis porte le regard derrière moi. Je me retourne. Pierre nous rejoint.

— Bonjour le revenant ! Il me semblait bien avoir vu ton fils à l'intérieur. Jo, est-ce que tu veux aller te changer avant de jouer les goûteurs de gâteaux ?

— Avec plaisir ! Adrien, tu m'accompagnes à la maison ?

— Je vais plutôt récupérer mon fils, et peut-être faire quelques achats.

— On se retrouve tout à l'heure.

Je l'embrasse sagement avant de suivre Pierre qui va me conduire en voiture. Mon frère vient surveiller les rennes. Je suis pressé de revenir.

Le retour d'Adrien, c'est mon cadeau de Noël avant l'heure. Je ne m'attendais pas à le revoir avant Nouvel an, j'ai gagné dix jours et j'en suis plus qu'heureux. J'ai hâte que cette journée se termine pour pouvoir les ramener à la maison, Sasha et lui. Pour prendre soin d'eux comme ils le méritent. Pour aimer Adrien comme il le mérite.

Arrivé à la ferme, je fonce dans ma chambre me changer. Que ça fait du bien ! Je suis bien plus à l'aise en jeans et en pull. Ça gratte moins. Je prépare la chambre d'Adrien et de Sasha. J'ai loué toutes mes chambres le week-end dernier à plusieurs familles et je n'ai pas eu le temps de refaire les lits. Je veux qu'il se sente comme chez lui.

Je regarde l'heure. Il me reste juste le temps de retourner à la salle pour goûter les gâteaux des participants avec les autres membres du jury.

En panne pour NoëlOù les histoires vivent. Découvrez maintenant