Chapitre 9.1

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Adrien

Aïe !

Ce cri, c'est le mien, et il est tout à fait sincère. Je jette quasiment la plaque à biscuits brûlante sur la gazinière avant de me précipiter vers l'évier et son eau froide. J'étais distrait et mes doigts se sont retrouvés en dehors du torchon censé les protéger. Sasha vient m'entourer de ses bras. J'ai l'impression qu'il est plus câlin, presque protecteur depuis une semaine que nous sommes ici. Il réagit à mon mal-être et je déteste ça.

— Est-ce que tu peux me donner une pomme de terre et un couteau, s'il te plaît chaton ? lui demandé-je.

Il s'empresse de me rapporter ce qu'il me faut et en découpe même une en deux que j'applique sur ma brûlure pour l'empêcher de cloquer. J'espère que ce sera suffisant. La douleur, en tout cas, est cuisante. Je ne me suis pas raté. Je n'étais pas attentif, ce qui rend maladroit et mène aux blessures stupides.

Ma mère, qui était allée faire des courses, rentre sur ses entrefaites. Il ne manquait plus que ça.

— C'est quoi ce bazar ? s'écrie-t-elle.

Évidemment, nous n'avons pas encore rangé ni fait la vaisselle, il reste des coquilles d'œufs et de la farine sur la table. Un petit morceau de beurre s'accroche encore au papier, mais nous l'avons presque fini. Pour ma défense, c'est celui que j'ai acheté la veille, en même temps que du sucre glace et du colorant alimentaire. Je n'ai emprunté que deux cents grammes de farine et de sucre. Je voulais juste passer un moment avec mon fils et fêter le début des vacances scolaires.

— Je vais ranger, me défends-je. Je me suis brûlé en sortant les gâteaux, je...

— Tu n'avais pas à toucher à tout, fait-elle en se mettant à déballer ses achats, poussant les saletés que j'ai faites.

Elle ne le dit pas, mais à son attitude, j'ai l'impression d'avoir commis une bêtise. Je me répète que je suis plus proches des 40 ans que des 10 ans, et qu'elle n'a pas le droit de me traiter comme ça. Sasha ne sait plus où se mettre, il est à deux doigts de pleurer. Je lui ai promis que ça irait mieux, que j'irais mieux quand nous serions chez papy et mamie. Qu'avais-je cru ? Ma mère couve Sasha, c'est une grand-mère très gentille et prévenante avec lui, mais elle reste une mère affreuse et au final, elle lui fait du mal.

Mon père nous rejoint. Je lui adresse un appel à l'aide silencieux. Il comprend, comme il l'a toujours fait. Il connaît sa femme, mais il n'a jamais pu empêcher quoi que ce soit.

— Ça suffit Évelyne, laisse-les garçons s'occuper de ça.

Il la prend par les épaules et la fait sortir malgré ses protestations. D'une main, je range ses courses et Sasha m'aide à tout nettoyer. Je me déteste de m'aplatir ainsi devant ma mère, de ne pas faire preuve de plus de courage devant mon fils. Je passe un dernier coup d'éponge, jette le premier morceau de pomme de terre et applique le second. La douleur commence seulement à refluer. Je sais que c'est efficace, mais cela demande un peu de temps. Les biscuits ne sont pas encore froids, alors je les place sur une assiette et les monte discrètement dans notre chambre afin qu'ils n'occasionnent pas une autre dispute. Sasha me suit comme mon ombre. Je m'assois sur mon lit et l'attire sur mes genoux.

— Tu as encore mal ?

— Presque plus, mens-je un peu.

— On n'a même pas goûté nos sablés.

— Va en chercher un.

Il m'en ramène un aussi et revient s'installer sur mes genoux, sa tête sur mon épaule. À côté de l'assiette de biscuits il y a la boîte vide de Johann. J'essaie de me souvenir du programme du festival. Cet après-midi, c'est le concours de pâtisserie et demain, le spectacle. Ils doivent bien s'amuser alors que nous, notre activité pâtisserie s'est terminée prématurément, nous rendant tous les deux malheureux.

Qu'est-ce qu'on fait là ?

— Chaton, ça te dirait qu'on retourne à Dampierre chez Johann ?

— C'est vrai ? Et on y restera jusqu'à la fin des vacances ?

— Si Jo le veut bien, oui.

— On part quand ?

J'éclate de rire et le serre dans mes bras.

— Fais ta valise.

Je crois que je n'ai jamais mis aussi peu de temps pour faire des bagages. Sasha s'agenouille pour vérifier que nous ne laissons rien sous les lits. Je m'assure que ses affaires de classe sont dans son sac, ses jouets, ses livres, nos vêtements. Je me sens déjà soulagé rien qu'à l'idée de partir. Enfin, je remplis la boîte en plastique avec nos biscuits que nous n'avons pas eu le temps de décorer de glaçage.

Je commence à descendre nos sacs et nos valises. Évidemment, je fais du bruit et je trouve ma mère au pied de l'escalier.

— Qu'est-ce que tu fais ? Où est-ce que tu vas ?

— Je retourne à Dampierre. Le festival de Noël n'est pas encore terminé.

— C'est Noël dans quelques jours, tu ne vas pas partir ! Toute la famille sera là.

— Une famille, ce sont des gens parmi lesquels on se sent bien et ce n'est pas le cas pour moi. Vous allez encore tous me juger. Tu vas me reprocher tout et n'importe quoi. Je n'ai pas besoin de ça. Je ne vais pas bien, maman. Je venais pour me reposer, je venais dans l'espoir de me soigner. Mais je vais encore plus mal. Je ne peux pas me le permettre, je dois être fort, pour Sasha. Je ne peux pas te laisser de me rabaisser en permanence. Je mérite mieux. Et là-bas, à Dampierre, il y a quelqu'un qui me fait me sentir bien, qui me fait du bien, pas comme toi. Alors Sasha et moi, on s'en va.

Sasha a déjà enfilé son manteau. Je passe les lanières des sacs sur mes épaules, attrape les valises, tiens tant bien que mal mon manteau et je sors à la suite de mon fils. Je l'arrête en lui disant d'embrasser ses grands-parents. Je croise le regard de mon père. Je crois qu'il regrette un peu que nous partions comme ça, mais je n'y lis aucun reproche. Je lui fais un petit signe de la tête et m'en vais.

Je fourre toutes nos affaires dans la voiture, demande à Sasha s'il a bien attaché sa ceinture et règle le GPS, direction Dampierre-la-Noël !

En panne pour NoëlOù les histoires vivent. Découvrez maintenant