Chapitre 5.2

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Johann

Sandrine se tient là, tout sourire, son panier de clémentines à la main.

— J'interromps quelque chose ?

— Non, tu crois ? ricané-je.

Adrien s'écarte un peu en se dandinant sur le banc. Les enfants déboulent en courant et Sasha se pend au cou de son père.

— Qui veut des clémentines ? renchérit ma belle-soeur.

Les enfants en réclament alors qu'apparemment, ils en ont déjà eu. Sandrine en tend deux à Adrien, qui les accepte.

— Et toi ?

— Donne-m'en une.

J'ai les ongles très courts, je déteste devoir les éplucher sans couteau. D'ailleurs, Adrien me prend en pitié et me propose son aide avec un petit sourire en coin, lui aussi me trouve ridicule à ne pas pouvoir éplucher une simple clémentine. Sandrine est déjà loin, sinon elle se serait moquée de moi. Nous sommes un peu au-delà du cœur du labyrinthe, nous reprenons notre chemin vers la sortie, régulièrement dépassés par des enfants, preuve que nous traînons. J'ai encore envie de l'embrasser mais je ne suis pas du genre à m'afficher même si ici, tout le monde connaît mes préférences. Adrien semble éprouver la même réserve. Nous marchons en silence, échangeant sourires et regards complices.

Nous passons sous les deux sucres d'orge qui se croisent au-dessus de l'issue du labyrinthe. Les parents et les nounous profitent des bancs que nous avons installés sur le côté. Je les salue rapidement, tout le monde a l'air content, même s'ils auraient préféré attendre leurs rejetons au chaud. Je leur propose de traverser le labyrinthe en courant pour se réchauffer mais la vieille Mme Durand n'a pas l'air de trouver cela drôle. Ses genoux cagneux doivent trembler de froid dans ses bas de contention, sous sa blouse à rayure. Je m'étonne qu'elle n'ait pas l'un de ces fichus en plastique transparent sur la tête pour compléter la panoplie.

Je raconte ça à Adrien sur le chemin du retour, et ça le fait bien rire.

— Tu es vache, quand même !

— Mais c'est qu'elle me le rend bien la vieille bique ! Quelques semaines après l'installation de mon ex au village, j'ai trouvé un petit mot dans la boîte aux lettres. Tu sais, le genre de petit mot sympa.

— Comment tu sais que c'est elle ?

— Le parfum ! Le papier avait la même odeur de vieille carne qu'elle ! Et elle n'a pas nié quand je lui en ai parlé. Depuis, elle me déteste cordialement et c'est réciproque.

— Il y en a d'autres dans son genre ?

— Oh non ! Ma mère a fait le nécessaire ! Quand on tient un bistrot, on voit du monde. Quand on le tient depuis vingt ans, on connaît en plus les petits secrets de tout le monde. Elle les a remis à leur place dès qu'ils ont commencé à jaser.

— Tu as de la chance.

— Je suppose que tes parents...

— Sont des crétins qui frisent l'intolérance, soupire Adrien. Je tenais tant que j'avais Romain mais je ne sais pas si je pourrai, maintenant. Pour eux, j'ai été hétéro pendant trente-quatre ans. Mon histoire avec un homme, c'est une erreur de parcours. Une passade.

— Et ce n'est pas le cas ?

— Quoi ? Une erreur ? Certainement. À cause du type, pas de mes goûts amoureux.

J'aime son mordant.

— Non, souris-je, je voulais dire : tu n'as pas été hétéro pendant trente-quatre ans ?

En panne pour NoëlOù les histoires vivent. Découvrez maintenant