Chapitre 9.3

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Adrien

La tête de Johann devant la vingtaine d'assiettes devant lui ! Il n'est pas le seul juré, il sont cinq à goûter les réalisations des participants au concours. Il y a de tout, du cookie, du sablé, du biscuit à la confiture... Des petits paniers circulent et chacun goûte les gâteaux des autres. Les jurés dégustent leur part des productions en essayant de rester impassibles et attribuent une note.

Sasha a retrouvé Léa et d'autres enfants. Ils essaient de grappiller ce qu'ils peuvent. J'ai retrouvé Sandrine, la belle-sœur de Jo. Elle me donne un petit coup de coude.

— Ça fait deux minutes que je te parle mais tu n'as d'yeux que pour lui ! rit-elle à voix basse.

— Désolé, m'excuse-je.

— Il n'y a pas de quoi. Il t'a manqué ?

Je hoche la tête.

— Il a déprimé après ton départ, me confie-t-elle. Je ne l'avais pas vu comme ça depuis longtemps. Est-ce que tu comptes partir pour ne jamais revenir à la fin des vacances ? Excuse-moi d'être aussi directe, mais si c'est le cas, tu devrais le lui dire tout de suite.

Je me suis énormément attaché à Jo et à ces gens, mais...

— J'ai vécu une séparation difficile il y a six mois. Je ne sais pas si je suis prêt à me lancer dans une nouvelle relation. Je ne veux pas qu'il en fasse les frais, il mérite mieux.

— Si tu penses ça, c'est que tu tiens à lui.

— Oui, mais...

— Au moins, tu ne m'as pas répondu que la distance était un problème, fait-elle avec un petit sourire.

— Je n'y ai même pas pensé.

— Tu vis à combien de temps d'ici ?

— Deux heures et demi je dirais. Quand je ne tombe pas en panne.

— Jo ne se plaindra pas si ça t'arrive à chaque fois que tu viens, me taquine-t-elle.

— Je préfère éviter, ou je vais me ruiner chez votre garagiste !

— Tu recommences à le dévorer des yeux ! rit-elle.

Je me sens rougir.

— Ce sont les biscuits qui me font envie, me défends-je.

— Bien sûr ! En tout cas, bienvenue parmi nous Adrien. Je suis sûre que tu vas rester un bout de temps.

Je lui souris. Une part de moi le souhaite ardemment, une autre a peur de faire face à un nouvel échec. Je chasse cette pensée, je ne veux pas gâcher les prochains jours avec mes craintes.

Les jurés sont en train d'évaluer les dernières réalisations des pâtissiers. Jo griffonne sur sa feuille puis les rassemble toutes afin de trancher. Ils discutent, les participants attendent fébrilement le verdict. Les trois meilleurs biscuits leur feront remporter des bons d'achat dans un magasin d'ustensiles. Apparemment, le choix est difficile. Je sais que Jo redoutait cette étape, parce que l'an passé, il les trouvait tous aussi bons les uns que les autres, ou presque. Les gens faisaient de leur mieux, passaient un bon moment, c'était à ses yeux le plus important.

Les jurés se séparent. Jo se racle la gorge, remercie tout le monde d'avoir participé et sans les faire attendre davantage, révèle les noms des gagnants. Applaudissements. Distribution des gains et nouvelle distributions de gourmandises.

— Vous prenez combien de kilos pendant le festival ? interrogé-je Sandrine.

— Quelques uns ! rit-elle.

Elle réceptionne sa fille dans ses bras, déçue de ne pas avoir gagné. Sandrine s'y attendait, en tant que membre de la famille du président du jury, elle sait qu'elle ne sera pas sélectionnée, pas avant quelques années. Sasha me revient enfin. Il m'a ramené un morceau de sablé au cacao à moitié émietté dans sa main. Je le remercie, même si ça ne donne pas très envie.

Léa entraîne Sasha dehors avec d'autres enfants. À la maison, il est plutôt solitaire. Il a des copains et des copines à l'école, mais il les voit rarement en-dehors. Ici, il s'est déjà fait une place parmi les enfants du village, Léa l'a adopté. Je me dis que pour lui, passer plus de temps ici serait bien. Pour moi aussi. Contrairement à mes frères, Sandrine ne me juge pas. Solange et William non plus. Ils pourraient être ma nouvelle famille. Notre nouvelle famille. J'aperçois Sasha qui court et qui rit.

Jo apparaît devant moi.

— Je vais aider à ranger tout ça, tu veux rentrer ?

— Tu peux rester, suggère Sandrine, je vais récupérer les enfants. Tu viendras récupérer Sasha à la maison.

Je me retrouve très vite à enrouler des câbles électriques puis à aligner des chaises devant l'estrade pour le spectacle de demain. Jo file récupérer les rennes pour le départ du Père-Noël tandis que nous finissons de tout nettoyer.

Quand nous sortons de la salle, les chalets des artisans sont fermés et il n'y a plus personne. Il fait nuit, les rues sont illuminées et les habitants ont placé des lanternes derrière leurs fenêtres. L'atmosphère glacée porte des odeurs de soupe et de feu de bois. Est-ce que je pourrais vivre ici, moi qui n'ai connu que la ville ? J'ai toujours trouvé ça plus pratique que la campagne, mais s'il y a bien une certitude, c'est que si ce qui se passe entre Jo et moi est sérieux, ma vie sera ici, parce que la sienne, c'est la ferme et les animaux.

William m'accompagne à ma voiture et me guide jusque chez lui.

— Tourne à droite à la prochaine. Tu sais, mon frère, c'est un cœur tendre, fait-il. Je ne l'ai vu amoureux qu'une fois et David était un type bien, mais ça n'a pas fonctionné. C'est comme ça. Ça va faire cinq ans maintenant que Jo est célibataire et c'est dommage, parce qu'il a tout pour rendre un homme heureux.

— Je n'en doute pas, fais-je en actionnant mon clignotant.

— J'aimerais assez qu'il ne souffre pas, reprend-il. Il est mieux seul qu'avec quelqu'un qui lui fera du mal.

— J'ai compris le message. Ce n'est pas mon intention, je l'apprécie beaucoup. De plus, ta femme s'est déjà chargée de me demander mes intentions.

— Bien.

William ne se rend pas compte que leurs tentatives maladroites pour protéger Jo mettent en exergue les manquements de ma propre famille. Jamais un de mes frères n'a sorti ce couplet à Romain. Ils auraient peut-être dû...

— Merci, lui dis-je. Pour l'accueil et pour tout le reste.

Je reconnais la rue, nous sommes presque arrivés. Le pick-up de Jo est déjà là. Je me gare derrière et me dépêche de gagner la maison.

— Tu cours pour revoir ton fils, ou mon frère ?! rit William en me suivant.

En panne pour NoëlOù les histoires vivent. Découvrez maintenant