Adrien
Tout le monde sait que je suis l'abruti de mécanicien qui est tombé en panne à quelques kilomètres d'ici. Le garagiste, Pierre ou bien Jo, ont cafté, mais tout le monde se montre gentil et nous prend en pitié. Avoir le parrainage de Jo semble être une sacrée garantie, et avoir sa belle-sœur comme chaperon aussi. Cela ne m'étonne pas qu'on lui ai confié l'organisation du festival, ils lui font tous confiance. Ils le connaissent depuis qu'il est tout petit, il fait partie de la communauté. Je l'envie un peu. J'ai connu cet esprit d'unité à l'armée, et je me suis senti un peu perdu en entrant dans la gendarmerie, ce n'était pas pareil. J'ai ensuite trouvé ma moitié, mais nous n'avons pas été ensemble très longtemps. J'ai perdu la plupart de nos amis après son décès et le reste lorsque je me suis mis en couple avec un homme. Et depuis six mois, il n'y a plus que Sasha et moi.
Alors les voir en famille, unis, souriants et heureux me file d'abord le bourdon puis je finis par partager leur bonne humeur, malgré ma piètre performance pour aider mon fils à fabriquer son panier. J'ai autant de paillettes sur les doigts que j'en ai collé sur le papier. Il est tout fier, là, au premier rang, avec Léa, la nièce de Johann, à attendre le passage de Saint-Nicolas. Je suis à l'arrière, avec les autres adultes.
— Tu inscriras Sasha à l'atelier boule à neige de samedi prochain ? me demande un autre papa en charge de trois petits.
— Nous serons repartis d'ici là.
— C'est dommage de manquer ça !
Mon attention est attiré par des cris de joie. Je suis assez grand pour voir par-dessus quelques têtes et j'aperçois la mitre rouge et or de Saint-Nicolas. J'ai du mal à reconnaître Pierre sous le costume. Jo, qui marche devant, guide son âne. Quelques pas derrière, je découvre le Père Fouettard qui s'amuse à faire peur aux enfants derrière son masque. Il arbore une barbe noire, de longs vêtements noirs et un fouet qu'il brandit en vociférant. Quand Sasha le voit, il se retourne et me cherche parmi les parents. Je le rassure d'un sourire.
Depuis sa calèche, Saint-Nicolas délivre de généreuses poignées de friandises aux enfants qui lui présentent leurs paniers, mais Sasha est pétrifié par le méchant personnage. Je le rejoins et l'entoure d'un bras protecteur. Quand l'évêque lui demande s'il a été sage, c'est à peine s'il hoche la tête. Je tends le panier que Pierre remplit d'un petit Saint-Nicolas en pain d'épice et de bonbons.
— Ne t'inquiète pas mon garçon, je sais que tu as été gentil cette année, lui souffle-t-il avant de s'intéresser au panier de Léa.
Le Père fouettard menace les enfants qui rient plus ou moins franchement, certains sont intimidés. Il leur jette des boules noires qu'ils attrapent ou ramassent tous quand elles leur échappent. Sasha se serre un peu plus contre moi. L'homme se penche. D'aussi près, je vois que son masque lui colle à la peau, il est vraiment bien fait, lui donnant des traits grotesques qui en font un méchant très convaincant. Durant quelques secondes, il fixe mon fils qui n'ose plus bouger.
— Grompf, trop gentil ! grommelle-t-il. Par contre, son père... un vilain garçon qui ne s'occupe pas bien de sa voiture !
C'est à moi qu'il tend la boule noire, que je saisis avec un poil de méfiance. On ne sait jamais. À côté, Léa rigole quand il la chatouille. Pour qu'il se permette un tel geste, il doit être de sa famille. Je devine que ce doit être son père, le frère de Jo.
Je regarde ce que contient la boule, et découvre des chocolats soigneusement emballés. Le Père Fouettard est un gentil méchant ici. Je les donne à Sasha qui oublie un peu sa frayeur en regardant trois danseurs qui représentent les enfants sauvés par Saint-Nicolas, si je me souviens bien de l'histoire. Ce sont de grands adolescents, dans des vêtements colorés, qui agitent des tambourins. Viennent ensuite deux joueurs de flûte.
Puis Sandrine nous entraîne vers le marché de Noël et ses petits chalets, sur la place devant la salle municipale. Un dessin-animé va bientôt être projeté à l'intérieur mais en attendant, les enfants s'égayent. Je n'ai pas le temps de retenir Sasha qu'il me fourre son panier entre les mains pour suivre Léa. Je me retrouve avec une nouvelle couche de paillettes sur les doigts.
— Tu peux en profiter pour faire un tour, je vais garder un œil sur les enfants, me dit la belle-sœur de Jo. Ton fils ne craint rien ici, tu peux te détendre.
J'ai bien envie de lui répondre que les enfants ne sont jamais à l'abri, mais je me retiens. Elle a raison, je peux bien prendre dix minutes pour moi si elle les surveille. Ils se mettent à jouer à chat sur le parking, il ne sont pas loin.
J'entreprends de faire le tour du petit marché de Noël. Un stand vend des boissons chaudes et des gaufres, rien de tel quand on patauge dans la neige. Un autre propose des chocolats, il y a aussi un biscuitier, un marchand de jouets en bois du Jura et une tricoteuse qui vend des écharpes, des chaussettes de Noël mais surtout des enveloppes à bouillotte qui me font très envie. Plus loin, un fromager fait goûter ses produits. Une association vend des décorations faites à la main pour soutenir les familles dont les enfants sont à l'hôpital. J'en achète deux, pour orner le sapin chez mes parents. Je prends le temps de déguster une gaufre au sucre avant de prendre des chocolats chauds pour Sandrine, les enfants et moi. J'ai assez dépensé pour aujourd'hui, il vaut mieux que je les rejoigne dans la salle polyvalente avant que le film ne commence.
Saint-Nicolas gare sa calèche sur le parking déserté par les enfants du village. Je croise le regard de Jo qui m'adresse un clin d'œil au moment où je sens Sandrine se glisser à mes côtés.
— Le dessin-animé va commencer, tu viens ?
Elle fait signe à son beau-frère qui lui répond. Je lui confie une partie des gobelets de chocolat et la suis. Je me faufile jusqu'aux places que Sasha et Léa ont gardé pour nous. Les lumières sont partiellement éteintes et le générique retentit. C'est le Robin des bois de Disney. Sasha se love sous mon bras. De l'autre côté, Sandrine se penche pour me chuchoter à l'oreille :
— Ça fait plaisir de voir Jo comme ça.
— Comment ?
— Intéressé par quelqu'un. Ça fait quelques années qu'il est tout seul avec son âne, ses chèvres et ses rennes.
— Ah mais euh... il n'y a rien entre lui et moi, bafouillé-je. Je ne suis que de passage.
— Bien sûr, bien sûr...
Malgré la pénombre, je vois bien son petit sourire en coin. Elle n'est pas dupe, mais je fais comme si de rien n'était. J'adore Robin des bois...
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En panne pour Noël
RomanceQuand Adrien tombe en panne avec son fils à quelques kilomètres de Dampierre-la-Noël, il est loin d'imaginer faire une rencontre qui bouleversera leur vie à tous les deux...