Chapitre 3.2

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Johann

Il est presque 20h quand je rentre à la ferme, les pieds en compote. J'ai hâte de me poser au coin du feu. Malgré la neige, de nombreuses personnes des environs sont venues assister à notre modeste défilé et sont restées pour le dessin-animé ou pour profiter de notre marché de Noël. Je les ai entendus s'extasier à propos des décorations et du labyrinthe. Je n'ai même pas eu le temps d'aller voir si tout était bien en place. Je regrette de ne pas avoir pu y replacer les automates, mais ils sont tombés en panne l'année dernière et personne n'ose y toucher. Ils vont prendre la poussière dans la grange jusqu'à ce qu'on les jette à la poubelle. J'essaierai d'y faire un tour demain. C'est mon rôle, après tout, même si j'ai la chance de pouvoir compter sur mon frère, William, ma mère, Pierre et les autres pour prendre leur part de travail.

Les deux voitures garées devant la maison m'indiquent que mon frère est là avec sa famille. Il devait ramener Adrien et Sasha. Pierre m'a dit qu'il avait ramené Nono à l'étable, mais les rennes sont toujours dehors. Non que cela leur déplaise, ils aiment le froid et la neige, mais ils ont leurs petites habitudes et attendent sûrement leur ration de céréales.

Je m'apprête à rentrer dans l'étable quand j'aperçois quelqu'un sortir de la maison. C'est Adrien. Plié en deux, les mains sur les genoux, il n'a pas l'air bien. Je traverse la cour, manque glisser dans la boue et dérape juste devant lui.

— Hé, ça va ?

Il relève la tête. J'ai l'impression qu'il respire trop vite.

— Ouais, souffle-t-il. Ce n'est rien.

— Ça n'a pas l'air.

— Juste besoin de prendre le frais.

Il se redresse, respire un grand coup et tente de sourire, mais ce n'est pas une grande réussite. Il a la même expression que la veille, quand je me suis dit qu'il était au bout du rouleau, ce regard un peu désespéré, cette crispation générale.

— Est-ce que tu veux venir m'aider à rentrer les rennes ?

Il acquiesce.

— Tu devrais aller chercher ton manteau, lui conseillé-je.

Un peu hébété, il retourne à l'intérieur et revient aussi vite en enroulant son écharpe autour de son cou. Nous traversons l'étable et sortons de l'autre côté, dans le pré. Les rennes viennent aussitôt à notre rencontre. Je vérifie qu'aucun n'a glissé et ne s'est blessé. Bon, ce sont des rennes, ils sont fait pour marcher dans la neige, mais ils ont aussi le droit d'être maladroits. Bref, tout le monde va bien, du moins chez les quadrupèdes, parce que mon assistant vacille plusieurs fois. La lumière à l'intérieur de l'étable est un peu faiblarde et j'ai l'impression qu'il me cache son visage, je n'arrive pas à distinguer s'il va bien ou pas.

— Comment s'est passé l'après-midi ? demande-je.

— Sasha a adoré, à l'exception du Père Fouettard qui l'a terrorisé.

— Et toi, tu as aimé ?

— Oui, évidemment, qui n'aimerait pas ?! Et puis j'ai pu passer tout ce temps avec mon fils, c'était chouette.

Je me retourne et le fixe.

— Tu veux dire que c'est exceptionnel ?

Il fuit mon regard. Il a l'excuse de distribuer du foin, mais je le sens mal à l'aise.

— Ouais, plutôt.

Il donne un vigoureux coup de fourche dans un ballot, en arrache une bonne quantité d'herbe sèche et crissante, et la dépose dans la mangeoire. Je suis presque sûr qu'il est en colère contre lui-même pour soi-disant ne pas être un bon père, alors que d'après ce que j'ai vu, il est génial, mais c'est vrai que je ne connais pas leur quotidien. William et Sandrine se plaignent de ne pas voir les week-ends passer et regrettent de ne pas avoir plus de temps à consacrer à leurs filles, et Adrien doit assumer à la fois le rôle du père et de la mère.

En panne pour NoëlOù les histoires vivent. Découvrez maintenant