Javier Jallabert
Il pleut des trombes d'eau et j'évite de justesse une énorme flaque sur le trottoir devant le portique permettant d'accéder aux quais du RER. Je replie ma trottinette électrique et secoue mes cheveux mouillés, puis mon imper.
La gare de Maisons-Alfort est bondée, j'ai l'habitude et me faufile avec ma trottinette sous le bras en costume vert sous mon imperméable noir, mon sac à dos sur les épaules.
C'est un lundi matin comme je les déteste, il est déjà neuf heures et j'ai trainé, nullement motivé à affronter la journée pourrie qui m'attend.
Ma Société est rachetée, la mauvaise nouvelle est tombée avant l'été et les postes de directeurs sont en double, dont le mien. Les nouveaux propriétaires sont déjà dans les locaux et font une razzia service par service.
Il faut donc, en théorie, que j'affronte le directeur informatique en face comme un adversaire pour prouver que je suis le meilleur !
Le problème c'est que je ne suis pas combatif, ce n'est pas mon genre et je trouve ça naze. Surtout, et je l'ai appris vendredi, alors que j'étais en déplacement, les dés sont pipés puisque ce type est un des patrons de l'entreprise qui nous rachète. Il a donc déjà gagné. J'aurais dû me faire porter malade et attendre ma lettre de licenciement à la maison. Là je vais aller me ridiculiser face à un gars déjà vainqueur.
L'évidence m'assaille : Je vais me faire virer et devoir trouver un nouveau poste. Argh ! pas envie !
Dépité, je me rends en tête de train, il y a toujours moins de monde et je mets mes écouteurs. Les musiques de ma playlist s'enchainent, alors que je me prépare mentalement à la journée pourrie qui m'attend.
Je l'aimais ma boite de matériel industriel et depuis que les rumeurs du rachat se sont confirmées, j'ai le moral au plus bas. J'y suis depuis mon premier stage et je m'y sentais bien. J'ai progressé et monté les échelons très vite, pour obtenir un titre de directeur, plutôt ronflant, pas tellement mérité, dans le sens où je ne suis pas un leader, mais juste un matheux timide.
Mes équipes ne me respectent pas et me mènent par le bout du nez, comme les autres directeurs de l'entreprise.
Pendant le trajet, tout en hochant la tête au rythme de ma musique, je m'avance en vérifiant que les batchs-les traitements informatiques de la nuit sont bien passés. Je lis mes messages, j'ai trop souvent des questions de mes troupes, une quinzaine d'informaticiens qui ne cherchent pas beaucoup puisque je réponds à la plupart de tête, ce qui veut dire qu'eux aussi devraient se rappeler. Je découvre aussi que je suis convoqué à une réunion cette après-midi avec tous leur staff informatique. Le titre de la réunion cadrage et transfert des compétences ne me dit rien qui vaille.
Arrivé à Châtelet, je change de RER en slalomant dans la foule. Je croise du monde mais rien de romantique à l'horizon. Et pour un gay c'est encore pire. En dehors des applications, point de salut ! Et sur les applis... le cauchemar.
J'ai su tout de suite que j'étais gay. À l'adolescence, les filles, certes belles me laissaient de marbre, alors que regarder certains garçons me rendait extatique. C'était un secret que j'ai enfoui, incapable d'assumer. Mon père est lieutenant à la gendarmerie de la Rochelle et c'est un bourreau d'autorité qui me fiche encore la frousse. Il m'a mis des claques jusqu'à mes dix-sept ans. Je devais m'entrainer avec ses hommes pour l'endurance et les sports de combat. Nous faisions du vélo, activité obligatoire, tous les dimanches matin. Si je ne travaillais pas bien, c'est-à-dire si j'avais le malheur de ramener seulement un dix-huit à un examen au lieu d'un vingt sur vingt : la punition pouvait être de me lâcher en pleine mer, avec obligation de regagner les côtes à la nage ou de m'obliger à sortir faire de la voile par temps de tempête. Je redoutais toujours ses lubies, sur ce qu'un homme devait faire. Il avait dû trop bien comprendre que je n'étais pas un « vrai » et entrepris de me guérir à sa façon.
VOUS LISEZ
J & L [M*M]
RomanceJavier rencontre un inconnu dans un train et le perd de vue. Une année plus tard son entreprise est rachetée et il se retrouve en concurrence avec le directeur informatique de la Société concurrente. C'est le L qu'il avait rencontré dans un train. Q...