Princesse de Poussière (fantaisie)

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« Oh, regarde comme elle est jolie ! »

Elle ne parlait pas de moi, mais bel et bien d'une poupée.

J'explorais un magasin de jouets à l'ancienne, avec une tante éloignée dont je me rappelle à peine le visage, ou peut-être était-ce une vieille cousine ou une grand-mère par alliance — on ne sait jamais, avec les généalogies. J'avais tout juste sept ans, et pour fêter ce grand jour, cette dame en-dentelée, à laquelle mes parents m'avaient confiée pour l'après-midi, tenait à m'offrir un cadeau inoubliable. Je ne me rappelle pas de son visage, sinon qu'il était caché derrière une voilette noire ; je crois qu'elle était veuve, ou quelque chose comme ça.

Séparée de mes parents et bien loin de la fête d'anniversaire dont je rêvais, les ongles longs et vernis de cette grande personne floue m'avaient tirée par la manche jusque dans une boutique propre mais vieillotte, au cœur de la ville. C'était un petit magasin en bois composé de deux étages — enfin, un sous-sol et un rez-de-chaussée — séparés d'un escalier en colimaçon dangereusement glissant. Des jeux de société s'empilaient sur des étagères beiges et des pantins me lançaient des sourires glaçants, depuis le plafond d'où ils dégoulinaient comme des pendus. Bien élevée par ma famille de bons chrétiens à cheval sur la morale, je me disais depuis quelques instants qu'il allait falloir trouver le moins glauque de ces jouets, pour faire plaisir à tata (ou mère-grand, ou cousine, je ne sais plus), et sortir vite d'ici.

J'avais déjà arrêté mon choix sur une paire de petits soldats de plomb, à l'air sympathique, ma foi, quand mon aïeule m'appela de l'autre bout du magasin, ramenant comme par magie ma petite présence pavlovienne à ses côtés. Elle s'extasiait devant une poupée blonde aux mains délicates, à la jolie robe, au teint de porcelaine, et au regard tellement effrayant qu'il eut le mérite de me faire envisager, pour la première fois de toute ma courte vie, l'idée de me dérober en courant à la surveillance d'un adulte. Soyons clairs ; j'étais une petite fille sage, mais trouillarde. Du genre que le mot « vie » faisait angoisser, parce qu'il faisait penser à « mort ». Du genre à préférer mourir de soif dans son lit plutôt que d'affronter un couloir tout noir et plein de cauchemars. Du genre à se cacher les yeux devant les aliens de Mars Attacks !... Bref. Un cousin ou mon frère, je ne sais plus, m'avait raconté des histoires de poupées et de clowns tueurs. Depuis, je ne pouvais plus rester calme devant des yeux de verre ou un sourire de porcelaine.

Usant de mon charme de princesse (j'en avais conscience), j'esquissai donc une tentative de repli vers un magasin de jouets peut-être un peu plus commercial et aseptisé. Mais tata-veuve ne me laissa même pas le temps d'ouvrir la bouche, décrétant aussitôt :

- C'est le cadeau parfait pour toi, ma chérie. Mademoiselle ! On la prend.

Et moi de me retrouver avec la poupée sur les bras — « Princesse Tania », comme la vendeuse l'appelait. Inutile de préciser que Princesse Tania ne connut aucune escale entre le magasin et le fin fond de mon placard, là où je pouvais l'oublier à mon aise.

Les années passèrent, et comme dans n'importe quelle histoire ayant commencé ainsi, ma poupée glauque végéta sous une tonne de vêtements usés. Elle ne vint pas me couper la gorge pendant la nuit, et ne fut l'héroïne de mes cauchemars que sur une période de quarante-huit heures, ce qui est très raisonnable. Toutefois, si l'aspect traumatique de notre rencontre à toutes les deux s'effaça assez vite, une question demeura présente à mon esprit : comment tata-veuve, toute adulte et raisonnable qu'elle soit, avait-elle pu considérer ce cadeau comme adapté à une petite fille peureuse, et, à plus forte raison, joli ? Froide, creuse, coquille vide, superficielle, cauchemardesque, tout un tas d'adjectifs me venaient en tête à l'évocation de ma Princesse Tania, mais certainement pas « jolie ».

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